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La Chine, la Russie et l’Ukraine. Les embarras de l’alliance sino-russe

Une stratégie extérieure éclatée

On le voit, les actes parfois provocateurs de la politique étrangère chinoise contredisent ses bonnes paroles et induisent des raidissements qui gênent ses objectifs du long terme. Cette réalité renvoie à l’idée d’une absence de coordination des stratégies extérieures dans un contexte où les diplomates ou responsables des Affaires stratégiques n’ont jamais eu de véritable influence dans ce système très tourné vers lui-même. Après le maréchal Chen Yi, MAE de 1958 à 1972, seulement 2 des ministres des Affaires étrangères – Wu Xueqian (1992 – 1988) et Qian Qichen (1988 – 1998) ont été membres du Bureau Politique.

Aucune stratégie au monde n’est jamais complètement rationnelle et aucune n’est un modèle de cohérence dans le temps et dans l’espace, d’autant que les situations et les rapports de forces dans le monde évoluent. Mais en Chine, du fait du moindre poids de l’appareil diplomatique, la politique étrangère est sous l’influence d’une série de groupes d’intérêts qui vont du ministère du commerce aux grands groupes publics en passant par les lobbies de l’énergie, l’appareil de sécurité, l’école du Parti qui tentent de tenir les influences étrangères à distance. L’Armée Populaire de Libération, elle-même éclatée en divers groupes d’intérêts, que sont les différentes armées, les commissaires politiques, les forces nucléaires, le Département général logistique, l’état-major des armées etc. n’est pas en reste.

Dans un récent papier Jonathan Fenby, (successivement journaliste chez Reuter, à The Economist, au Guardian à l’Observer et au south China Morning Post, auteur de « the History of Modern China : The Fall and Rise of a Great Power », Penguin Press and Harper Collins, 2008) va plus loin en expliquant en forçant le trait que la politique étrangère chinoise, sous l’influence de groupes de pression variés, souvent en compétition entre eux, poursuit des objectifs différents selon l’époque, selon les acteurs et selon les zones géographiques.

C’est bien cette absence de cohérence qui avait déjà conduit le Bureau Politique à décider en mars 2013 le regroupement sous une même autorité des quatre flottilles paramilitaires - surveillance maritime, garde-côtes, assistance aux pêches et douanes - dont la présence, parfois désordonnée autour des zones contestées porte d’importants risques de dérapage.

L’éclatement des responsabilités est aussi à la racine de la décision prise en janvier dernier par le Bureau Politique de placer le Président Xi Jinping à la tête de la nouvelle Commission de sécurité en charge de superviser les crises internes et externes et dont la mise sur pied avait été jusqu’à présent freinée par l’APL opposée à la prise de contrôle des questions de sécurité par l’appareil civil.

La Commission dont les vice-présidents sont le premier ministre Li Keqiang (n°2 du Parti), et Zhang Dejiang (n°3), président de l’ANP, a désormais la charge de coordonner en priorité les mesures de sécurité intérieure face aux questions ethniques au Xijiang et au Tibet et de gérer les tensions avec l’ASEAN et le Japon, qui s’était lui-même doté d’un Conseil National de Sécurité en 2012.

Il est certain que la question ukrainienne et ses implications pour la Chine ont été évoquées en Commission par Xi Jinping qui était avec de nombreux autres chefs d’État aux côtés du président Poutine le 7 février dernier lors de l’inauguration des jeux de Sotchi, premier grand événement international organisé par la Russie depuis 1991 et boudé par les États-Unis, le France, l’Angleterre et l’Allemagne. C’est ce qui a permis à Willy Lop Lam qui lui aussi force le trait, de décrire l’événement comme une « quasi alliance anti-américaine » entre la Russie et la Chine.

NOTE de CONTEXTE


Une fracture des confins d’Europe : l’Ukraine

Par Yannick Harrel 9 décembre 2013.

Lorsqu’en 2010 le Président ukrainien Victor Yanoukovitch est enfin élu après son échec six ans plus tôt, c’est un rebalancement de l’équilibre politique intérieur de l’Ouest ukrainien nationaliste vers l’Est pro-russe qui s’est effectué avec l’apport des déçus de la Révolution Orange de 2004. Les déchirures entre le Premier Ministre Ioulia Tymochenko et le Président d’alors Viktor Iouchtchenko précipitèrent il est vrai la victoire du camp de Yanoukovitch.

Avant d’être désavoué par Poutine, Yanoukovitch avait réussi à obtenir un accord sur le gaz profitable à son pays non sans rompre les liens et les velléités d’arrimage à l’Union Européenne. Il a cependant été acculé à un choix qui causa sa perte : celui d’entrer dans l’orbite de l’Union Européenne dont l’Ukraine avait manifesté sa volonté d’être membre depuis… 1994, acté par un accord d’association. Renforcé par un accord complémentaire sur la liberté du commerce transfrontalier en 1999 qui ne sera pourtant finalisé qu’en… juillet 2012.

Dans le même temps, la Russie en oripeaux des années 1990 s’est relevée, a recomposé les moyens de sa puissance et par là même de sa politique étrangère sous la houlette de Vladimir Poutine. S’offrant un levier de première importance par le pétrole et surtout le gaz via des conglomérats survitaminés, les autorités russes ont employé à plusieurs reprises l’arme redoutable qu’est la menace de couper la distribution de gaz (mise à exécution contre la Biélorussie et l’Ukraine, dont la plus importante démonstration fut la crise de l’hiver 2004-2005).

Par ailleurs, la Russie mit en porte-à-faux les dirigeants occidentaux en insistant sur le fait que les prix du gaz préférentiels autrefois accordés sous l’Union Soviétique ne pouvaient plus avoir cours après les indépendances. Affirmant que les anciennes Républiques soviétiques devaient désormais être traitées comme des clients et des espaces de transit, Moscou avait beau jeu de souligner que tel était au fond la logique du système libéral économique défendu par les Européens et les Américains.

Un accord en avril 2010 entre Medvedev et Yanoukovitch mit cependant temporairement fin à la crainte récurrente d’une coupure en l’assortissant de clauses diverses dont la reconduction du bail pour vingt-cinq ans du port de Sébastopol au profit de la marine russe. Au passage, Yanoukovitch en profita pour faire accuser de corruption l’ancienne égérie de la révolution de couleur, Ioulia Tymochenko, qui fut à l’origine du précédent accord gazier bilatéral : une manière de solder le camouflet de 2004.

Après l’échec du sommet de Vilnius les 28 et 29 novembre 2013 où le président Yanoukovitch avait maintenu sa préférence pour Moscou, c’est vers l’Union Eurasiatique (EURASEC) que se tournèrent désormais les têtes à Erevan et Kiev. Il s’agit d’un ensemble économique de libre-échange regroupant pour l’heure la Russie, le Kazakhstan et le Bélarus, visant à faciliter le transit de marchandises en levant les obstacles douaniers, avec en ligne de mire une union plus large visant les personnes, les capitaux et la monnaie (sous une forme à déterminer).

C’est en effet le dilemme qu’eurent à évaluer les autorités ukrainiennes : l’étape de plus vers l’Union Européenne fermait les marchés de cet ensemble. Une menace même pas voilée depuis le Kremlin rappelait que la Russie était, et de loin, le premier client de l’Ukraine à hauteur de 25% de ses exportations et dessinait une perspective de complications administratives et d’étranglement économique dans un contexte où l’envolée presque ininterrompue depuis 2007 de la dette ukrainienne laissait craindre le pire.

Il est aussi vrai que l’état économique peu reluisant de la zone Euro, l’une des plus neurasthéniques du monde selon les chiffres de la Banque Mondiale en terme de croissance du PIB, n’appelait guère à l’enthousiasme quant à une compensation des pertes des marchés de l’Est pour des gains substantiels de ceux de l’Ouest.

En outre, il n’est pas impossible que la décision de Yanoukovitch se soit aussi jouée en considérant les réseaux d’acheminement concurrents de gaz et de pétrole dont les plus emblématiques sont South-Stream et Nabucco. Le plan des ressources énergétique, dont le choc South-Stream / Nabucco fut le plus emblématique s’est soldé à l’avantage de la Fédération de Russie : cette dernière ayant non seulement avancé sur la réalisation technique du projet South Stream (mise en activité prévue pour 2015) mais aussi sur la finalisation des accords bilatéraux permettant le transit des pipes (avec le rôle géostratégique de la Turquie en arbitre).

En novembre 2013 Nabucco recevait un quasi-coup de grâce par le consortium SDC mené par BP qui pour le très stratégique gisement de Shah Deniz II d’Azerbaïdjan, déclara opter pour Trans Adriatic Pipeline, un troisième projet concurrent. Privant de facto Nabucco d’une alimentation essentielle pour atteindre ses objectifs de rentabilité.

Cette donne de la manne énergétique et sa répartition n’a pas peu joué sur l’évaluation pessimiste des dirigeants ukrainiens d’échapper à la fermeture des vannes depuis la Russie.


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