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›› Politique intérieure

Répressions internes et coercitions internationales

Un défi stratégique.

La plaque posée par Vilnius à l’entrée de la représentation taïwanaise en Lituanie qui mentionne « Taiwan » au lieu de « Taipei  » a déclenché la fureur de Pékin.

En réalité le torchon brûle entre les deux depuis quelque temps. Dès le printemps 2021 Vilnius avait clairement indiqué son intention de quitter le format 17 + 1 de coopération entre la Chine et les pays d’Europe centrale et orientale.

Le retrait faisait suite à l’interdiction votée par le parlement, signifiée à Huawei de développer un réseau 5G en Lituanie, tandis que Vilnius soutenait ouvertement l’octroi du statut d’observateur à Taïwan au sein de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

En représailles, Pékin a rétrogradé le statut de sa représentation diplomatique en Lituanie au niveau d’un bureau de chargé d’affaires, 中國駐立陶宛代辦處. Peu après, les diplomates lituaniens en Chine ont été contraints de quitter Pékin en urgence. Puis, à partir de décembre 2021, les exportations lituaniennes vers la Chine ont été presque complètement bloquées, avec plus de 90% du flux habituel de marchandises empêché d’entrer sur le marché chinois.

Fin janvier 2022, l’UE a porté le différend avec Pékin à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) avec l’appui de l’Australie, du Canada, du Japon, du Royaume-Uni et des États-Unis.

Un an plus tard plusieurs députés lituaniens, dont le président de la commission de la sécurité nationale et de la défense, ont visité Taïwan où ils ont été reçus par Tsai Ing-wen, le premier ministre Su Tcheng-chang et plusieurs autres responsables taïwanais, dont You Si-kun, qui s’est rendu à Vilnius en juillet 2022, le secrétaire général du Conseil de sécurité nationale Wellington Koo et le ministre des Affaires étrangères Joseph Wu.


*

La brutalité qui confine toujours au chantage au marché chinois, assez souvent à propos de Taïwan partie « d’une seule Chine » et à la réfutation des accusations d’atteintes aux droits que Pékin assimile à une ingérence indue, s’exerce aussi officiellement par des prises de position coercitives de l’État chinois lui-même.

Récemment, la marque « made in Lithuania  » est non seulement bloquée en Chine après que Vilnius ait osé ouvrir un bureau de représentation de « Taïwan » au lieu de « Taipei  », mais également dans toute une nébuleuse de clients ayant des relations commerciales avec la Chine.

Dans un article du New-York Times du 21 février dernier, Adrew Higgins raconte comment, même une marque allemande pourrait être gênée en Chine simplement parce que ses modèles comportent des micro-capteurs laser fabriqués par le Lituanien Brolis Group.

Résultat, la marque allemande effrayée par les menaces de représailles qui pourraient la frapper sur le marché chinois, a annulé un projet d’usine en Lituanie pour le basculer en Belgique.

En même temps, la Lituanie a disparu de la liste des douanes chinoises, tandis que plusieurs compagnies en Allemagne et ailleurs, commencèrent à signaler des difficultés à exporter en Chine des produits comprenant des composants fabriqués en Lituanie.

L’affaire tourne au bras de fer stratégique d’ampleur mondiale, décrite par le Financial Times (payant).

A Varsovie, Jakub Jakobowski, chercheur émérite du « programme Chine » du « Centre d’études orientales  » financé par le gouvernement, estime qu’il s’agit d’un « test. » (…) Le bras de fer « permettra à la fois de mesurer les limites des représailles chinoises, les capacités de riposte taïwanaises pour réparer les dommages économiques infligés à ses soutiens et, en même temps, la réalité de la solidarité américaine et européenne. »

Le fait est que répondant aux interrogations de Jakobowski, la stratégie de riposte se met en place. Taïwan a créé un fond de 200 millions de $ pour aider aux investissements en Lituanie et propose des prêts à hauteur d’Un milliard de $ pour financer des projets bilatéraux conjoints entre Taipei et Vilnius, notamment dans le secteur des semi-conducteurs, des technologies de l’information, et de la biotechnologie.

A la suite, Washington a débloqué 600 millions de $ de crédits utilisables par Vilnius pour soutenir ses entreprises frappées par l’embargo chinois. Selon le département d’État qui promet que Washington ne réduira pas ses soutiens, le défi est global et pas seulement lituanien ou européen.

Au centre de recherche pan-européen du Conseil des Relations extérieures de Berlin - sigle anglais ECFR - ayant des antennes dans toutes les capitales européennes, dont l’objet est essentiellement la sécurité, l’Allemand Jonathan Hackenbroich, à la tête d’un groupe de réflexion visant à renforcer la riposte européenne contre les coercitions commerciales, estime que la tendance chinoise à exercer des pressions à l’étranger n’est pas nouvelle, mais qu’elle s’aggrave.

La répression qui frappe la Lituanie s’inscrit en effet dans une longue histoire de représailles exercées par Pékin en cas de désaccords politiques. On l’a vu récemment contre le Japon, l’Australie et le Canada, avec parfois des appels publics au boycott de leurs exportations en Chine relayés par des manifestations organisées et encadrées par l’appareil.

La séquence de représailles internationales inflexible que personne n’a oubliée, est celle exercée contre la Norvège.

Elle touchait à la fois à la brutalité de l’appareil, à sa tendance à externaliser ses pressions, à l’institution du Nobel et à la question des droits en Chine, directement liée à l’épisode chinois de la « Charte 08 » signée en 2010 par trois cents intellectuels dont l’un d’eux était Liu Xiaobo, prix Nobel de la paix mort en détention d’un cancer du foie, le 13 juillet 2017 (lire : Liu Xiaobo par Pierre Hasky).

Dans la foulée, de l’attribution du prix Nobel à Liu Xiaobo, ignorant ostensiblement que l’institution du Nobel était séparée de l’exécutif à Oslo, le régime avait infligé à la Norvège des représailles commerciales. Question Chine avait rendu compte des efforts de contrition d’Oslo pour renouer avec Pékin, quatre années après l’attribution du prix. Lire : Les longues stratégies chinoises dans l’Arctique.

Le mal que s’est donné Oslo pour apaiser ses relations avec la Chine après la séquence des représailles ayant « puni » la Norvège pour l’attribution du prix Nobel à un des plus emblématiques dissidents chinois de l’histoire moderne, jette en creux la lumière sur la difficulté d’une riposte coordonnée entre tous les partenaires de Pékin attentifs à leurs intérêts sur le marché chinois.

Bruxelles a riposté par une plainte contre la Chine à l’OMC. Mais, dit le Financial Times, l’Europe peine à trouver un équilibre entre la nécessité de défendre le marché unique et la réalité de la dépendance des entreprises européennes vis-à-vis de la Chine.

Certains responsables européens – non cités – n’ont pas apprécié l’approche de la Lituanie. Ils l’accusant d’agir unilatéralement contre une si grande puissance, « On ne voit pas vraiment ce qu’il y avait à gagner en forçant une question à laquelle les Chinois sont si sensibles  ».

Quant à Eric Jiun-Yaw Huang représentant de Taïwan à Vilnius, il est formel. « Si nous cédons aux nouvelles tactiques répressives chinoises hors de ses frontières, alors en effet, la Chine gouvernera la monde. »


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