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›› Chronique

P4 de Wuhan et accord France-Chine sur les maladies infectieuses. La France a-t-elle manqué de clairvoyance pendant plus de 15 ans ?

Un coût exorbitant pour la France.

Pendant ce temps, un autre volet de l’accord, avançait rapidement avec la montée en puissance de l’Institut Pasteur de Shanghai (IPS). Vu de Paris, c’était une manière de faire patienter les chinois. Et pour l’Ambassade de France, d’envoyer des signaux positifs. Depuis Paris, le Quai recrutait en effet des chercheurs et d’autres personnels de haut niveau pour les mettre au service de l’IPS en Chine.

C’est-à-dire à un prix exorbitant, puisque des expatriés à haute valeur ajoutée payés par les impôts des Français furent mis gratuitement à la disposition d’un institut chinois sous la coupe de l’Académie des sciences de Chine. Au bilan, les initiatives destinées à faire patienter les Chinois agacés par le retard pris par le projet P4, eurent un coût démesuré pour un très faible résultat de coopération scientifique à l’IPS.

Jamais réellement évalué, ce gaspillage sur lequel l’ancien président de l’Institut Pasteur (2013-2017) garde le silence, allait jusqu’à céder gratuitement à la Chine la propriété intellectuelle des travaux des chercheurs français. Dans ce processus resté opaque et sans contrôle, à la diligence du Quai, ces générosités françaises furent attribuées sans appel d’offres ni mise en concurrence, au grand dam des autres établissements universitaires ou scientifiques français, par ailleurs incités à d’avantage coopérer avec la Chine.

Le Quai ne s’est pas arrêté là. Avec zèle et régularité, il entreprit de recruter d’autres experts pour préparer les transferts de technologies entre la France et la Chine pour le P4 de Wuhan. Nous sommes là au cœur sensible du dossier. En réalité, le seul qui intéressait les Chinois, d’une valeur inestimable.

Et les 40 millions de $ que l’Institut de Virologie de Wuhan dit avoir dépensé pour acquérir les technologies ne les compense pas. Il s’agit des plans français de construction du P4, des spécifications techniques (« specs ») et des cahiers de procédures de confinement du laboratoire.

Ainsi de 2012 à 2017, un expert français de haut niveau affecté au service scientifique de l’ambassade de France à Pékin venu tout spécialement du CEA, fut à la fois chargé des transferts sensibles à la partie chinoise et de faciliter les relations sur ce sujet entre Pékin et Paris.

A 12 000 km de distance, on comprend bien que l’exercice, télécommandé depuis Pékin était une aubaine pour les Chinois qui pouvaient opérer en toute discrétion à Wuhan, l’envoyé du CEA n’ayant lui-même que des moyens de contrôle réduits. D’autant que la délicate phase de mise en conformité et de certification avait commencé en 2016.

Dans l’esprit de l’IVW, il ne s’agissait que d’une étape vers une certification du laboratoire comme un « Centre de référence P4 » par l’OMS (qu’il n’a toujours pas obtenu aujourd’hui). Pendant ce temps, la belle générosité du Quai d’Orsay continuait sur sa lancée.

En octobre 2017, arriva à l’IWV/CAS un autre scientifique français de haut niveau, le professeur René Courcol, épidémiologiste chargé d’accompagner les processus de conformité du P4 et de contribuer au montage des collaborations bilatérales. De façon annexe, sa présence à l’IVW/P4 était aussi pour la France une manière de savoir ce qui s’y passe.

Naturellement, l’intrusion contraria beaucoup YUAN Zhiming. Un expert français sur place, pour quoi faire ? Ne craignant plus de se dévoiler dès lors que le P4 étant quasiment sur les rails, la partie chinoise s’en ouvrit à l’Ambassade et dans les réunions bilatérales.

Le professeur Courcol sera quand même maintenu. Ironie du sort, il était sans doute à l’IVW/CAS de Wuhan lors du déclenchement de l’épidémie de COVID 19 et la prétendue fermeture du P4 (23 janvier 2020). Cela fait de lui un témoin de tout premier plan. On peut comprendre qu’il fasse valoir son devoir de réserve.

Mais l’expertise fournie par le MAE n’était en pratique qu’une partie de l’assistance française à la montée en puissance de la Chine dans le domaine des maladies infectieuses. Parmi les 8 cadres sur 30 personnes qui composaient le service scientifique (SST) de notre Ambassade en Chine, plusieurs furent mobilisés quasiment à temps plein par la mise en œuvre de l’accord de 2004.

Vu de Paris, on a même pu croire que le dossier était la priorité exclusive du SST. L’Ambassade, en lien avec les attachés des consulats, a supervisé pendant des années, non seulement le travail des experts dont nous venons de parler mais aussi les programmes d’échanges.

Le SST dépensait à cette époque près de 500 000 € de budget d’intervention annuellement et près d’un million si on y inclut les crédits d’intervention liés aux salaires des expatriés et des experts mis à disposition des institutions chinoises.

Cette ressource fut naturellement consacrée à l’étude des MIE. Mais comme, visiblement, ce n’était pas suffisant, l’Ambassade lança sans aucune concertation avec la recherche française un programme pompeusement intitulé « Émergences 2015 ».

Son objectif était d’attirer des ressources humaines et des projets. Comment ? En organisant au profit de chercheurs chinois des visites de sites scientifiques français travaillant sur les MIE. Une sorte de tourisme scientifique, tous frais payés destiné à susciter l’intérêt de la recherche française.

Alors aveuglement ? Souci d’efficacité ? Ou zèle excessif ?

Difficile de trancher mais une chose est sûre : à Paris, aux Affaires étrangères et, dans l’ensemble des sphères publiques destinataires des télégrammes diplomatiques de Pékin sur les prétendues « avancées » majeures de l’accord de 2004, personne ne réagissait. L’Ambassade y a vu un blanc-seing.

Et même une opportunité. A chaque visite ministérielle ou à l’occasion des « dialogues de haut niveau » rien n’était négligé pour mettre en valeur les contributions françaises et entretenir la conviction de l’excellence des relations bilatérales et de la bonne marche du projet.

A sa décharge, les signaux qui parvinrent à notre Ambassade à Pékin furent d’abord encourageants. En 2008, pour débloquer le projet de P4 toujours dans les limbes, Alain Mérieux accepta de prendre la tête du comité de pilotage prévu dans l’accord de 2004. Ce choix fit naturellement l’unanimité.

Outre qu’Alain Mérieux lui-même est connu pour être un ami de la Chine et que sa famille y entretient des liens historiques, le Groupe y développe des affaires depuis des décennies. Enfin et surtout, c’est la Fondation Mérieux qui a contribué à l’édification du P4 français de Lyon, devenu un laboratoire au service de la recherche française.

Du coup, le projet fut relancé et les travaux engagés. Dans la pratique, Alain Mérieux comprit cependant très vite qu’il évoluait en terrain miné au milieu de forces opposées en France. Notamment de la part des décideurs de la recherche française, tous réticents.

Afin de faciliter la tâche d’Alain Mérieux, Paris désigna Jean-Michel Hubert, haut fonctionnaire et homme d’affaires, proche de Jacques Chirac portant le titre de « Représentant du gouvernement français pour l’accord franco-chinois de lutte contre les maladies infectieuses émergentes de 2004. »

Sa mission : aplanir les aspérités franco-françaises tout en envoyant des messages de bonne volonté à la partie chinoise pour la faire patienter. A la manœuvre sur le dossier de 2010 à 2017, dont il avait en réalité pris la direction, il sera récompensé en octobre 2014 par les Chinois qui lui décernèrent le « Carillon d’Or du Hubei » et la « Grue jaune de Wuhan ».

Turbulences et jeux institutionnels

Plus sérieusement, et jusqu’au départ d’Alain Mérieux fin 2015, les choses semblaient mieux engagées, même si plusieurs irritants laissèrent augurer de nouveaux obstacles à venir.

Il y eut tout d’abord l’affaire des 4 P3 mobiles qui jeta un froid à l’Ambassade sans toutefois susciter un véritable émoi à Paris, sauf dans les institutions en charge de la sécurité. Ces dernières avaient en effet bien réalisé que des équipements français avaient été détournés de leur usage initial, en contradiction avec toutes les dispositions de la section 3 de l’accord de 2004.

Un voyant rouge s’était allumé.

Simultanément, et comme le P4 était sorti de terre le 31 janvier 2015, la pression augmentait du côté français pour que l’infrastructure de Wuhan serve aussi à mettre en œuvre des projets bilatéraux. Mais, une nouvelle fois, les industriels et les organismes scientifiques français approchés ne répondirent pas aux sollicitations.

Sur place, le comité de pilotage ne se réunissait plus, les parties chinoises étaient moins allantes, et, déception supplémentaire pour l’Ambassade, le programme « Émergence 2015 » ne donnera au final aucun résultat malgré les communiqués de victoire transmis aux administrations centrales.

L’Ambassade misa alors sur « un coup » susceptible d’inscrire la coopération sur les MIE dans le haut des priorités bilatérales afin d’attirer la recherche française ainsi que des moyens financiers et humains supplémentaires. Il y aura en fait plusieurs occasions.

La première eut lieu le 16 juin 2016, lors de la cérémonie de « réception du P4 » en présence de l’Ambassadeur.

On le sait aujourd’hui, la participation chinoise fut très faible. L’événement intéressait peu les Chinois et l’Ambassade a même été, contre tous les usages, obligée de défrayer la réception !

Pour autant, l’arrière-plan politiquement correct du fonctionnement de l’administration française perturba sérieusement l’information vers Paris, puisqu’en dépit de l’affront que représentait la faible représentation officielle de la partie chinoise à l’inauguration d’un projet majeur de la coopération bilatérale, l’exercice fut présenté comme un grand succès sur le site de l’ambassade de France. Y compris en trahissant la vérité des faits.

Il s’agissait alors d’entretenir la flamme en laissant croire que les MIE demeuraient la vitrine de la coopération franco-chinoise. Au passage, les nouvelles positives justifiaient les initiatives du service scientifique de l’ambassade, elles-mêmes motivées par la prétendue volonté des parties chinoises de poursuivre les échanges.

Fin octobre 2016, une autre opportunité se présenta. Encore plus porteuse. Il s’agissait de la visite en Chine du Ministre des Affaires étrangères, M. Jean-Marc Ayrault. Ce dernier fit un bref passage à l’Institut Pasteur de Shanghai et promit dans un de ses discours une contribution française de 5 millions d’euros pour la coopération sur les MIE. Cette promesse sera reprise en janvier 2017 à Wuhan par Bernard Cazeneuve, Premier Ministre, lors de l’inauguration officielle du P4.

Rien n’y fera. En France, ces déclarations tombèrent toutes à plat. L’Agence Nationale de la Recherche (ANR), organe public de financement de la recherche fonctionnant sous forme d’appels à propositions, pressentie pour gérer cette manne, ne bougea pas.

Certes, comme l’explique très bien « Le point » du 30 avril 2020, les organes de sécurité français faisaient barrage à la mise en œuvre d’une coopération bilatérale une fois le P4 opérationnel.

Mais en réalité, les freins ne venaient pas seulement des structures de sécurité françaises. Aujourd’hui il faut reconnaître que, depuis 2004, la coopération franco-chinoise sur les MIE n’a jamais véritablement mobilisé les chercheurs français et les entreprises privées, malgré les moyens déversés pendant 15 ans par le Quai d’Orsay.

Or ce constat ne s’applique pas à tous les domaines d’échanges avec la Chine. Plusieurs exemples montrent en effet que, sur d’autres sujets de R&D sensibles (matériaux, procédés chimiques, maths appliqués) ou sur des projets franco-chinois majeurs (satellites CFOSAT et SVOM [2], les scientifiques français se montrèrent beaucoup plus motivés à travailler avec leurs collègues chinois.

Il convient aussi de souligner qu’il n’y a guère eu d’entrave liée à la « sécurité » dans la mise en œuvre de leurs travaux, preuve que, lorsqu’il existe un intérêt partagé et un cadre bien défini, la coopération se met en place d’elle-même et que les responsables de la sécurité n’y font pas obstacle.

Le Quai isolé, mais toujours allant.

Si on prend la peine d’examiner les réponses aux sollicitations adressées par le Quai aux universités et aux organismes scientifiques français, pour leur demander de participer au projet sur les MIE, force est de constater qu’ils n’ont jamais considéré le sujet comme prioritaire. Ils n’y ont consacré ni budget, ni ressource humaine, ni équipement.

Pire encore, à certaines époques, les appels à coopération de l’ambassade à Pékin provoquèrent même de la défiance de la part ces institutions. Ces dernières avaient en effet le sentiment qu’on leur forçait la main et qu’on cherchait à les obliger à prendre des risques qu’ils étaient réticents à prendre.

En relisant a posteriori depuis Paris les messages concernant l’accord de 2004, on constate que les signaux envoyés depuis l’Ambassade manquaient à tout le moins de clairvoyance et de modestie. Elle ne fut pas la seule. Le zèle d’une partie de l’administration s’explique évidemment par le souci légitime de mettre en œuvre l’accord de 2004.

Quant aux chinois, la vérité oblige à dire qu’ils sont très rapidement passés à autre chose. Dès 2015, ils considérèrent le P4 comme une installation chinoise. Et, pour différentes raisons, ils entendaient sinon ne pas poursuivre la coopération une fois le P4 opérationnel, du moins voler de leurs propres ailes. L’épidémie de COVID 19 et les décisions prises à l’IVW/CAS début 2020 confortent ces hypothèses.

Évidemment, ce scénario interroge. De deux choses l’une. Ou bien les chinois ont agi par pur opportunisme nationaliste, jugeant que la poursuite des échanges avec les français était désormais sans intérêt, la Chine ayant désormais atteint un niveau scientifique suffisant, sinon supérieur à leur partenaire de 2004.

Ou bien, ils ont estimé que la Chine avait rempli ses obligations de l’accord de 2004 et qu’elle en était quitte vis-à-vis de la France. Obligations dit contreparties. Mais lesquelles ?

C’est une question. En échange du P4, et plus largement de l’accord de 2004, la France a-t-elle reçu une contrepartie ? Si cette seconde explication était confirmée, elle expliquerait l’élan jamais démenti de la diplomatie française, contrastant souvent avec les réticences des chercheurs français et l’indolence de la partie chinoise.

Note(s) :

[2Satellites franco-chinois de plusieurs centaines de millions d’euros. CFOSAT, lancé en octobre 2018, vise le suivi des courants et vagues sur les océans. Le Président Macron a visité le site d’assemblage à Pékin en janvier 2018. Quant à SVOM, il s’agit d’un satellite d’astrophysique dont la mise en orbite est prévue en 2021.


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