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›› Politique intérieure

Lettre ouverte pour une ratification. Dialogue avec la société civile

Toutes les grandes agences de presse et les médias occidentaux ont rapporté qu’une centaine d’intellectuels chinois, certains d’entre eux liés au pouvoir, ou écrivains indépendants, éditeurs, avocats, chercheurs, poètes, hommes d’affaires, médecins, font circuler depuis le 26 février sur les réseaux sociaux une lettre ouverte réclamant la ratification par la Chine du Pacte International relatifs aux droits civils et politiques, que la Chine a signé en 1998, mais reste un des derniers pays au monde à n’avoir pas ratifié.

L’initiative regroupe quelques figures connues du mouvement réformiste, comme He Weifang, Docteur en droit, professeur démissionnaire de l’université de Pékin et fervent avocat d’une justice indépendante, Mao Yushi, 83 ans, économiste, ancien chercheur associé à Harvard (1986), critique sévère du système politique, Ran Yunfei, activiste écrivain et blogueur, en résidence surveillée depuis août 2011 après avoir été détenu pour subversion, l’avocat Pu Zhiqiang, défenseur des dissidents et son collègue Xu Zhiyong, constitutionnaliste, docteur en droit de l’université de Pékin, élu indépendant à l’assemblée populaire de Haidian (au nord de Pékin), tous deux régulièrement harcelés par le pouvoir.

Sont également parmi les signataires, Wang Keqin, journaliste, critique des questions sociales et politiques et Wang Lixiong. Personnalité hors du commun, ce dernier est un défenseur de l’environnement, aventurier et sportif (en 1984, il a descendu en radeau le cours supérieur du Fleuve Jaune sur le plateau du Qinghai). Ecrivain et chercheur tibetologue, il est marié à la poétesse sino-tibétaine Tsering Woeser - auteur de « Mémoire interdite, témoignage de révolution culturelle au Tibet » – Gallimard 2010 -. Enfin, activiste des causes tibétaine et ouïghour, il a été régulièrement emprisonné, dont une fois en 1999 dans un quartier de haute sécurité de la prison de Miquan au Xinjiang, où il tenta de mettre fin à ses jours.

Le ton non polémique et constructif de ce texte est remarquable. En répondant à une préoccupation clairement exprimée par le nouveau Secrétaire Général sur la nécessité de renforcer la constitution, il amorce le dialogue entre la société civile et le pouvoir politique chinois. Alors que le Parti est lui-même conscient de la nécessité d’ajuster ses rapports à la loi et à la société civile, l’efficacité politique de cette démarche, dont le ton tranche radicalement avec l’agressivité sans détours de la Charte 08 (décembre 2008), reste toutefois à prouver.

Pressions critiques des pétitions et lettres ouvertes.

La pétition s’inscrit dans un mouvement politique plus large qui, depuis plusieurs années, tire profit d’une ouverture des certains organes de presse et de la popularité des réseaux sociaux pour exercer une pression sur le pouvoir politique, parfois au prix d’une brutale réaction du Parti. On se souvient que, le 22 mars 2008, 29 intellectuels – dont faisait partie Wang Lixiong – avaient exigé la fin de la répression au Tibet par une pétition en 12 points qui critiquait durement la politique de Pékin dans la province autonome. Presqu’en même temps une lettre ouverte signée par 10 000 citoyens appelaient déjà la signature du Pacte, aujourd’hui à nouveau sur la sellette.

Neuf mois plus tard, le 10 décembre 2008, jour anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’homme, 350 intellectuels cosignèrent un texte public, baptisé Charte 08 bien plus radical que celui qui circule aujourd’hui. Lui aussi demandait le respect des droits civils et politiques, mais surtout il prônait l’abandon du système du Parti unique, l’instauration d’une vraie démocratie et la mise en place d’un état fédéral.

Ces derniers points, qui remettaient en cause la légitimité du parti, résonnèrent comme une déclaration de guerre, provoquant la mise en détention de Liu Xiaobo, prix Nobel de la paix, l’un des signataires du manifeste, dans lequel on lisait notamment :

« La vision du gouvernement chinois des droits de l’homme a privé le peuple de ses droits, détruit sa dignité et corrompu le cours normal des relations humaines. Alors nous posons la question : où va la Chine au XXIe siècle ? Poursuivra-t-elle sa “modernisation“ autoritaire, ou épousera-t-elle les valeurs universelles ? Rejoindra-t-elle le flot des nations civilisées en adoptant un système politique démocratique ? Il n’est pas possible d’éluder ces questions. »

La vague des pétitions continua en 2010, toujours axée sur les droits individuels et agitée par le mauvais sort fait à Liu Xiaobo. Début octobre, quelques jours avant l’attribution de son Prix Nobel, 23 anciens dignitaires du Parti soumettaient un requête publique au Comité permanent de l’Assemblée Nationale Populaire, demandant au Parti d’abolir la censure.

Le texte de la pétition se référait à l’article 35 de la constitution qui prévoit formellement la liberté d’expression. 15 jours après, une centaine d’intellectuels, chercheurs, écrivains, artistes, journalistes et activistes des droits de l’homme, adressèrent une nouvelle lettre ouverte au Parti pour demander la libération du Prix Nobel.

Mais, attestant que le Parti est conscient de ses propres dysfonctionnements, les critiques très sévères des intellectuelles vinrent aussi de l’intérieur du Parti et des centres de recherches, parfois relayés par les organes de presse officiels, qui, là aussi, prennent le public à témoin.

En septembre 2011, le China Daily publiait une diatribe d’une extrême violence signée de l’historien Xiang Lanxin. La charge expliquait sans détours que le Parti était au centre d’une vaste organisation de captation de la richesse publique au profit de l’oligarchie, provoquant des inégalités et des frustrations telles que la stabilité du régime était menacée.

La pétition qui circule depuis le 26 février est dans cette veine, puisqu’elle aussi met en garde contre les risques de secousse politique, dont la perspective est évoquée depuis des années par les chercheurs sociaux chinois. Mais elle le fait incontestablement sur un mode moins agressif.

Mettant à profit la première réunion plénière de l’ANP depuis le 18e Congrès, convoquée le 3 mars, théoriquement le creuset des lois de la République et garant du système judiciaire, dont elle abrite, au moins formellement, la Cour Suprême, les intellectuels réformateurs interpellent le nouveau Secrétaire Général, futur président de la République, ainsi que tout l’appareil de gouvernement qui sera désigné derrière Li Keqiang futur Premier Ministre, sur la nature juridique et constitutionnelle réelle du régime.

Le levier d’action choisi n’est pas nouveau. Il est aussi très peu contestable, puisque la Chine qui affiche sa modernité, est un des derniers pays n’ayant pas ratifié le Pacte International relatif aux droits civils et politiques. L’intention des signataires, qui utilisent la caisse de résonance de l’ANP, est aussi de jeter une lumière crue sur les écarts existant encore entre la lettre de la Constitution – qui garantit de nombreuses exigences du Pacte - et les errements politiques de sa mise en œuvre. Elle incite le pouvoir, placé publiquement au pied du mur, à réduire le fossé entre les discours et la réalité.


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Par Anonyme Le 3/03/2013 à 00h09

Lettre ouverte pour une ratification. Dialogue avec la société civile.

Il est étonnant de voir,et je l’ai déjà souligné sur ce site, la ressemblance frappante entre la situation chinoise et vietnamienne . Au vietnam depuis le début de l’année ,circule sur internet une pétition demandant la révision de la constitution et le multipartisme . Vendredi 1 et mars on en était a près de 6000 signatures.

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