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A l’ombre de Pékin, un « Double Dix » à l’esprit de résistance

Brutalité de Pékin et ralliement patriotique d’un milliardaire.

Robert Tsao, 73 ans, milliardaire fondateur de UMC, basé à Hsinchu géant des microprocesseurs, n°2 du secteur à Taïwan, à la capitalisation boursière de 13 Mds de $, a abandonné sa nationalité singapourienne et son ancienne position politique pro-réunification pour militer pour un esprit de résistance sans concession à la Chine de Xi Jinping. Le montage photo montre à sa gauche Tsai Ing-wen avec Lee Hsien-long, fils de Lee Kwan-yu, Premier ministre de Singapour. A sa droite Xi Jinping, dont il critique la « brutalité unificatrice » sans nuance – qu’il compare au comportement d’un syndicat du crime -, dont la pratique est en contradiction avec « la marche naturelle de la civilisation ».


*

L’histoire de Tsao est un jalon marquant l’éveil de l’esprit de défense d’une partie des élites industrielles et financières de l’Île. Elle contredit l’idée que les grandes fortunes taïwanaises seraient seulement motivées par leurs intérêts d’affaires apatrides. Son itinéraire depuis 2005 est celui de la prise de conscience de son identité taïwanaise dont la force a été favorisée par la brutalité de l’appareil communiste sur le Continent et ses incessantes démonstrations de force dans le Détroit.

Alors qu’il avait développé d’intenses liens d’affaires avec la Chine, ce militant du KMT convaincu que pour réunification serait bénéfique pour l’Île, avait même en 2011 renoncé à sa nationalité taïwanaise et organisé sa vie à la recherche d’investisseurs entre Hong Kong et Singapour.

Sa vision de la Chine dit-il, a changé quand, à Hong Kong, il fut le témoin des incidents de la gare de Yuen Long, au nord-ouest des nouveaux territoires, quand, au soir du 21 juillet 2019, des gangs des triades armés de tiges de fer et de cannes de bambou avaient agressé sans discernement les passagers des navettes qui rentraient des manifestations monstres de Central et Mong Kok. Parmi les victimes se trouvaient une journaliste qui réalisait un reportage en direct.

Encore n’avait-il pas imaginé à quel point à Hong Kong, la situation allait se tendre trois mois plus tard au milieu de heurts qui, depuis le début des troubles au printemps 2019, avaient en novembre 2019, déjà fait 1500 blessés, tandis que la police de la R.A.S avait arrêté 3000 personnes. Lire : Chaos à Hong-Kong : Après un mort et un blessé grave, la situation se tend dangereusement.

Rendu fébrile par la dérive indépendantiste des insurgés qui réclamaient un référendum d’appartenance ou non à la Chine en 2047, le pouvoir à Pékin alourdit ses répressions au cours des quinze premiers jours de novembre. La période marquée par un chaos général donna le sentiment que Carrie Lam et la mouvance démocratique modérée avaient perdu le contrôle de la situation.

Celle-ci avait été enflammée par la maladresse brutale du pouvoir à Pékin qui, 25 ans avant la rétrocession, avec son projet de loi d’extradition finalement retiré, suivi de la « Loi sur la sécurité nationale », avait touché à l’indépendance de la justice du territoire, principal pilier de l’arrangement politique « d’un pays deux systèmes » qui devait gouverner l’Île jusqu’en 2047.

En novembre on 2020 on déplorait le décès d’un manifestant tombé d’une terrasse, la blessure d’un autre atteint au ventre par le tir direct d’un policier et, surtout, le drame épouvantable d’un ouvrier du bâtiment opposé aux manifestations brûlé vif le 11 novembre par les jeunes émeutiers à Ma On Shan, 20 km au nord de Victoria Harbour.

Pour Tsao, l’épisode avait été le signe que le souverainisme absolu du Parti s’exercerait toujours avec férocité, sans jamais tenir compte des libertés individuelles ou des traités. Dès lors que ses intérêts directs étaient menacés, il se comportait, dit-il, comme « un syndicat du crime déguisé en Nation ».

Aujourd’hui, ayant repris sa nationalité taïwanaise, il estime que les pressions incessantes que l’appareil exerce sur l’Île, allant jusqu’à imaginer une réunification par la force, contre la volonté des Taïwanais sont du même ordre que celles qui ont mis au pas les jeunes Hongkongais « localistes » militant pour la rupture avec la Chine.

Le 10 octobre dernier, jour de la fête nationale de l’Île, Tsao a terminé sa mue d’homme d’affaires d’abord militant pour la réunification propice à ses affaires en celle d’un inflexible indépendantiste favorable à la normalisation du nom de « Taïwan » et au remplacement de la « politique d’une seule Chine » par « la Théorie des deux États ».

La raison essentielle dit-il, est que par sa violence, exprimant sans la moindre intention de compromis, une impétuosité unificatrice contraire aux tendances du monde civilisé, « le Parti communiste chinois a rompu le statuquo ».

Durcissement et disparition des interstices d’apaisement.

Au fil des menaces de Pékin et des ripostes de Tsai Ing-wen qui, avec Robert Tsao attise l’esprit de défense irréductible des Taïwanais, les marges de négociation dans le Détroit se sont sérieusement réduites. Fin décembre 2021, une enquête de la « Taiwan Foundation for Democracy (臺灣民主基金會), révélait que 72,5% des Taïwanais affirmaient qu’ils se battraient pour défendre l’Île si elle était envahie par l’APL. En revanche, la proportion tomberait à 62% si l’invasion avait lieu à la suite d’une déclaration unilatérale d’indépendance contredisant la promesse de Tsai Ing-wen de respecter le statuquo.

Les résultats ne préjugent pas de l’état réel de l’opinion en vue du prochain scrutin local du 26 novembre. Également vu par les Taïwanais comme « un tour de chauffe » des présidentielles de 2024, auxquelles Tsai Ing-wen ne pourra pas se représenter, le vote élira pour quatre ans les responsables de 22 administrations locales de l’Île.

Pour l’instant, alors que se mobilisent les structures de lutte contre les « trolls » chinois, la figure qui domine dans tous les sondages avec un taux de satisfaction de 70%, est Hou You-Yi le maire du « nouveau Taipei » appartenant au KMT. Le deuxième, le ministre de la santé Chen Shih-chung du DPP est loin derrière avec seulement 57% d’opinions favorables.

S’il est vrai que les chiffres confirment une tendance générale à la prévalence du KMT dans 14 scrutins locaux sur 22, ils pourraient être perturbés par un nouvel accès de fièvre martiale de Pékin, faisant basculer l’opinion vers un candidat DPP.


*

En arrière-plan du raidissement taïwanais, flotte dans les sphères proches du pouvoir de l’Île, l’exemple de la coagulation nationaliste de l’Ukraine exprimée par la détermination à résister à l’invasion de V. Poutine par tous les moyens possibles. L’espoir est également que l’appui de l’Occident sera aussi efficace que celui apporté à Kiev par l’Europe et les États-Unis au nom des « valeurs démocratiques ».

Fermentant dans la société civile de l’Île à mesure que s’exprime la brutalité souverainiste de Pékin, l’esprit de résistance s’exprime aussi par l’organisation d’une défense opérationnelle du territoire ayant anticipé une invasion de l’Île par l’APL, en cas d’échec de la coopération militaire avec Washington.

Même si pour le Pentagone, l’éventualité est impensable, puisqu’elle signerait une aggravation du déclassement stratégique des États-Unis, dont le statut « d’hyperpuissance » est sérieusement écorné [1], les élites taïwanaises ont même intégré l’hypothèse, cependant controversée en Chine depuis les déboires de l’armée russe en Ukraine, que l’APL réussisse à prendre pied sur l’Île. Lire : L’œil sur la crise en Ukraine, la querelle des concepts de défense. L’implication américaine en question. Le 5 octobre, en visite dans l’archipel des Penghu (Pescadores), la Présidente avait elle-même affirmé que Taïwan s’efforcerait de ne dépendre de personne pour sa défense.

Enfin, le parallèle avec la situation en Ukraine rappelle aussi que les interstices possibles de négociation se sont sérieusement réduits. Le durcissement est à l’œuvre depuis 2014 et le désaveu de l’Accord Cadre de Ma Ying-jeou.

Alors que l’initiative portait un espoir de rapprochement pacifique dans le Détroit, sa perspective fut cependant étouffée par l’empressement unificateur de Pékin. La précipitation mit en difficulté Ma Ying-jeou, accusé d’être trop proche de Pékin, ce qui cristallisa contre lui, le raidissement rebelle du Yuan Législatif. Lire : Taïwan : Craquements politiques dans l’accord cadre. Les stratégies chinoises en question.

Deux ans après ces turbulences qui, au passage signalait la force de contestation du parlement démocratiquement élu, Tsai Ing-wen portant une stratégie de rupture avec le Continent – copiée par les « Localistes » de Hong Kong – arrivait au pouvoir dans l’Île. En 2020, en dépit d’un net affaiblissement de son audience interne où les sondages prévoyaient la défaite, elle était réélue, en réaction à la mise au pas de Hong-Kong dont les péripéties brutales provoquèrent même un basculement d’une parie des élites initialement favorables à la réunification.

Note(s) :

[1Dans l’esprit des stratèges chinois l’affaiblissement de « l’hyperpuissance » qui en 1999 pouvait se permettre de bombarder la Yougoslavie sans aval de l’ONU et au passage détruire au missile de croisière l’ambassade de Chine à Belgrade le 7 mai 1999, est homothétique d’un mouvement planétaire de contestation de l’Amérique. Il est en cours depuis le 11 septembre 2001 et l’effondrement catastrophique des tours de Manhattan retransmis en direct dans le monde entier.

Pékin l’a vu se poursuivre dans les années 2004 – 2005 avec les premiers rapports de l’embourbement de l’opération en Irak, lancée par le mensonge de Colin Powell, servilement inféodé à Georges Bush, puis récemment en août 2021 avec le retrait chaotique d’Afghanistan.


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