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Le 1er septembre dernier, près de l’île de Jinmen un militaire taïwanais armé d’un missile « manpad » a abattu un drone civil non armé chinois volant au-dessus de l’îlot taïwanais du Lion, 獅 嶼 (photo) situé à trois nautiques de Xiamen, dont la superficie est inférieure à un hectare. L’incident a provoqué une spectaculaire réaction en chaîne du système de défense taïwanais. Exprimant la naissance d’un esprit de résistance civile qui, jusque-là s’était peu manifesté, le raidissement martial est une réponse aux harcèlements de l’armée de l’air chinoise dont la fréquence a augmenté depuis la réélection en janvier 2020 de Tsai Ing-wen qui porte une intentionde rupture avec le Continent.
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Cette année, à la veille du 20e Congrès, à Pékin la fête nationale du 1er octobre était assombrie par les soucis de la guerre en Ukraine, la sévérité de la lutte contre la pandémie à l’origine d’un baisse de près de 20% des voyages de la semaine d’or du 1er au 7 octobre, l’important freinage de la croissance et la chute de la monnaie commentés par Jean-Paul Yacine : Excédent commercial, taux de change du Yuan et modèle de développement.
A Taïwan, harcelée avec insistance par la Chine après la visite de Nancy Pelosi, le « Double Dix », ne fut pas non plus entouré du même enthousiasme festif qu’à l’habitude. L’heure était à l’affichage d’une posture martiale.
Le 6 octobre, le ministre de la défense Chiu Kuo-cheng qui réagissait aux récentes intrusions des chasseurs de combat aux limites de la Zone de défense d’identification et d’alerte (ZIDA) de l’Île et surtout à celle d’un drone civil abattu le 1er septembre dernier, à proximité de Jinmen, au-dessus du minuscule îlot taïwanais du « Lion –獅 嶼 Shiyu - proche du Fujian, dont la surface n’est que de 7000 m2, prévenait « qu’une intrusion chinoise dans l’espace aérien taïwanais, - ce qui, hormis le drone civil abattu le 1er septembre ne s’est jamais produit – serait considérée comme une attaque directe de la Chine contre l’Île. »
Alors que le survol d’une zone aussi insignifiante par un drone civil non armé, même d’origine chinoise, peut difficilement être considéré comme une agression directe, le branle-bas de l’exécutif taïwanais trahit à la fois un inconfort et une détermination pugnace que la présidente Tsai Ing-wen a exprimés lors de son discours de la fête nationale du « Double dix ».
De la Défense des démocraties à l’esprit de résistance.

En visite dans une unité de l’armée de terre, Tsai essaye un lance-missile anti-aérien portable.
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Pour la présidente, la souveraineté de l’Île qui fait consensus chez les Taïwanais, tous décidés à défendre leur territoire, « ne sera jamais l’objet d’un compromis ». Il s’agit, a-t-elle dit, « de protéger notre liberté et notre mode de vie démocratique. »
Comme elle le fait déjà depuis plusieurs années, elle a haussé les enjeux à hauteur de la défense globale des systèmes démocratiques. « La communauté internationale reconnaît clairement que défendre Taïwan revient à défendre la stabilité régionale ainsi que les valeurs démocratiques (…) Attenter à la liberté des Taïwanais porterait un coup majeur aux autres démocraties de la planète. »
Elle a aussi exhorté Pékin à considérer que la guerre ne devrait pas être la seule option du règlement de la question taïwanaise. Pour elle, respecter le désir des Taïwanais d’être souverains et de vivre libres en démocratie serait la condition d’une reprise apaisée des échanges entre les deux rives.
En même temps, elle a rappelé que Taipei avait renforcé sa défense nationale, augmenté la production d’armes de précision et développé avec sa population le concept de « défense asymétrique » pour parer à l’éventualité d’une tentative d’invasion de l’Île.
L’éveil de la résilience est en cours avec la multiplication des initiatives de défense du territoire, comme celle de l’Académie Kuma 黑熊學院. Organisation à but non lucratif de défense civile, créée en 2021, elle s’est donné la mission de dispenser un entraînement militaire à trois millions de Taïwanais en l’espace de trois ans.
Une partie des cours dispensés par des « hackers » émérites bénévoles, vise à apprendre à débusquer la désinformation en ligne et à réagir à l’intrusion des « trolls » venant du Continent dont l’invasion insistante avait déjà gravement perturbé les élections municipales de 2018, portant à la tête de la mairie de Kaohsiung Han Kuo-yu, du KMT, de toute évidence téléguidé par Pékin. Lire : A Taïwan la démocratie directe éloigne l’Île du Continent.
Un autre volet de l’enseignement a une vertu d’alerte stratégique. Il comporte des cours d’authentification et d’exploitation du renseignement provenant des sources ouvertes (en terme technique Open-source Intelligence – OSINT), comme les échanges sur les médias sociaux ou les images satellites en ligne permettant de suivre des mouvements de forces.
Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine qui, pour les Taïwanais symbolise à la fois la puissance de la désinformation et la résistance à une agression brutale, le nombre de volontaires pour suivre les cours de l’Académie Kuma a explosé.
Illustrant la prise de conscience civique des Taïwanais, le Taipei Times citait récemment la contribution financière du milliardaire de l’industrie des microprocesseurs Robert Tsao 曹興誠, fondateur de United Microelectronics Corp (UMC), n°2 des microprocesseurs taïwanais.
Le 21 septembre dernier, une interview publiée dans le Financial Times révélait qu’il avait fait un don d’au moins 30 millions de $ US (les chiffres varient du simple au triple selon les sources) à l’Académie Kuma. Ils sont destinés, entre autres, au renforcement de l’esprit de défense et à la construction de drones de combat pour défendre l’Île en cas d’invasion, dont il espère qu’ils seront opérationnels d’ici deux à trois ans, avant une invasion chinoise.