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Alors que l’économie est plombée par un secteur bancaire encore peu performant, une dette interne élevée, la perte de confiance du public envers l’immobilier submergé de dettes, le chômage des jeunes et un secteur industriel en souffrance fragilisé par une épidémie de semi-faillites, en partie conséquence de la politique « Zéro-covid », le taux de change du Yuan par rapport au Dollar chute depuis le printemps. Dans ce contexte, la Banque de Chine est confrontée à un choix difficile. Elle peut soit laisser couler le Yuan, soit maintenir son lien au Dollar, ce qui l’obligerait à hausser les taux d’intérêt au détriment de la relance économique. Pour l’instant, ses réactions indiquent qu’elle a fait le choix de freiner la chute et de limiter la fuite des capitaux.
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Cette vidéo française est publiée au moment où l’excédent commercial chinois atteint des sommets inédits largement au-dessus de 400 Mds de $. La performance s’est confirmée malgré les ratés industriels dus à la politique de zéro-covid et en dépit d’un sérieux freinage de la croissance à l’œuvre de manière insistante depuis 2011. Pour 2022 ses perspectives sont tombées à plus ou moins 3% selon les sources alors qu’en 2011 elle était encore à 9,5%. Le rebond à +8% en 2021 était un rattrapage de la chute à 2,8% en 2020 due à l’épidémie.
Mais alors que la croissance ralentit, les performances du commerce extérieur chinois offrent une toute autre image. Les abysses du déficit français à 110 Mds d’€ annuels, record absolu, se creusent quand l’excédent chinois a en, 2021 atteint +458 Mds de $ (Soit 472 Mds d’€), en hausse de 25% par rapport à 2020.
Une petite partie de l’excédent est due à l’explosion (+140%) des ventes des véhicules électriques notamment les SUV à prix cassés vers Europe (lire : L’offensive des véhicules électriques chinois).
Néanmoins, le plus gros surplus commercial de la Chine se creuse toujours avec les États-Unis, son premier partenaire commercial. Quand en 2021, avec l’UE, il était de 248 Mds d’€, il a atteint +393 Mds de $ avec les États-Unis, soit 85% de l’excédent total du commerce extérieur chinois.
Si on se souvient que les premières frictions sino-américaines portées au rouge par Donald Trump avaient commencé en fustigeant le déficit commercial américain, il est intéressant d’en analyser les causes. Elles sont les mêmes dans tous les pays du G7 et, à quelques nuances près, notamment les écarts de niveau de vie, dans la plupart des émergents [1].
En réalité, le principal facteur du surplus commercial tient aux écarts de dépenses sociales et aux différences de niveau de vie qui se mesure au PNB/habitant. A 16 000 $/hab, seulement au 79e rang mondial, le niveau de vie des Chinois est en moyenne inférieur de 30% à la moyenne des 50 pays les plus riches de la planète et permet des salaires et des coûts de production moins élevés.
Alors qu’en Chine, la main-d’œuvre, les biens et les services sont beaucoup moins chers, les consommateurs des pays du G7 achètent volontiers à un prix réduit d’au moins 20% les équipements informatiques (ordinateurs, appareils électroniques, téléphones portables), les jeux, les appareils ménagers et toujours, malgré la concurrence des pays d’Asie du sud-est, les vêtements, notamment les articles de sport, au style copié des grandes marques mondiales.
L’analyse qui suit explore l’hypothèse que le Parti parvienne à ajuster son modèle de développement alors même que 40% des Chinois vivent avec moins de 200 $ par mois et que la croissance a, pendant quatre décennies, tiré profit des bas salaires et des différences de niveau de vie avec ses concurrents.
L’idée fausse d’une manipulation de la monnaie.

Le graphe de droite montre clairement qu’entre 1995 et 2020, le taux du Yuan, contrôlé par la banque de Chine, n’a varié que dans des limites étroites. Il est vrai qu’entre 1980 et 1995, il avait fortement été dévalué, mais la période n’avait généré aucun surplus commercial. La réalité est que celui-ci n’a commencé à exploser en même temps que le PIB, qu’au début des années 2000 quand la Chine est entrée dans l’OMC.
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Contrairement à certaines assertions, il n’est donc pas exact que le surplus commercial chinois serait dû à une manipulation du Yuan par la banque de Chine. Le meilleur indice que la stratégie financière de Pékin n’est pour l’instant toujours pas articulée à la manipulation de sa devise pour favoriser ses exportations est la fébrilité du pouvoir pour freiner la chute du Yuan depuis le printemps 2022.
L’examen du taux de change par rapport au Dollar montre clairement que, durant la période de dix ans entre 1985 et 1995, où il est vrai, la monnaie chinoise par rapport au Dollar US a fortement été dévaluée, passant de 2 Yuan à 8,7 Yuan pour Un Dollar US, l’excédent commercial généré a été très faible, voire nul. Entre 1985 et 1993, la balance commerciale a même été plusieurs fois déficitaire, une première fois entre 1985 et 1989 et encore une fois en 1993.
En revanche, entre 1994 et juillet 2005, alors que le taux de change était stabilisé en moyenne à 8,2 Yuan pour Un Dollar US, le surplus commercial chinois a été multiplié par plus de dix, passant de 11 Mds de $ à 124,3 Mds de $.
Plus encore, à partir de juillet 2005, date à laquelle la banque de Chine a commencé à laisser flotter le Yuan entre des limites hautes et basses fixées à plus ou moins 2%, sa valeur a progressivement augmenté pour atteindre 6,01 Yuan pour Un Dollar US en 2014. Pendant ce temps, nullement gêné par ce renchérissement de la monnaie, le surplus commercial est passé à 221 Mds $ en 2014, après un pic à 348 Mds $ en 2008.
Entre janvier 2014, et décembre 2021, la valeur de la monnaie a fluctué en dents de scie entre 6,04 et 6,37 Yuan pour Un Dollar soit une baisse négligeable de 0,5%. Pendant cette période le surplus commercial est néanmoins passé de 221 Mds de $ à 458 Mds de $.
Depuis mars 2022, le Yuan chute sévèrement, passé de 6,37 à 7,11 Y pour Un Dollar le 5 octobre 2022, soit une chute de 10% en six mois. Mais le « dévissage » n’est pas l’effet d’une manipulation de la banque de Chine, mais la conséquence de la hausse des taux d’intérêt par la Banque Fédérale Américaine.
Le « grand écart » économique de l’appareil.

Avec Xi Jinping à la tête de l’appareil, c’est la tendance la plus centralisatrice qui domine. Le grand écart entre les promesses d’obédience au marché et la réalité ne cesse de s’élargir.
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Après avoir été autorisée à rejoindre l’Organisation mondiale du commerce le 11 décembre 2001, alors même qu’elle ne remplissait pas les conditions de l’obédience au marché – au passage véritable racine de l’expansion rapide du commerce extérieur chinois [2] – la Chine avait, par sécurité, ancré le Yuan au Dollar américain, liant ainsi son économie à celle des États-Unis.
En appliquant le régime de taux de change fixe analysé plus haut, assorti d’un contrôle strict des capitaux, la Chine a, jusque récemment, bénéficié d’entrées massives de devises principalement en raison des faibles taux d’intérêt aux États-Unis.
Dans un article de Zero Hedge, du 4 octobre 2022, Tyler Durden pseudonyme collectif emprunté au personnage joué par Brad Pitt dans le film de David Flincher « Fight Club » (1999 – fiction critique du consumérisme sans âme inspirée du livre de Chuck Palahniuk, auteur américain aux origines françaises et ukrainiennes), explique que Pékin a jusqu’à présent réussi une improbable quadrature du cercle.
Celle-ci a consisté à maintenir à la fois un taux de change contrôlé et une politique monétaire rigoureusement souveraine tout en réussissant à accumuler les avantages d’une économie de marché. Le « grand écart » se lit dans le fait qu’en Chine, aucun des principes du marché - exigences de la libre entreprise non soutenue par les pouvoirs publics ; libre circulation des capitaux, des biens et des services. – n’est réellement respecté.
Pour réussir cette acrobatie, les technocrates de l’appareil ont mis en place un système hybride articulé 1) à un taux de change quasi fixe, en réalité indexé au Dollar américain, 2) à des flux de capitaux étroitement contrôlés et 3) à une politique monétaire « semi-souveraine. »
Ce montage économique hétérodoxe a, durant les vingt dernières années, permis à la Chine de bénéficier du cycle économique américain où les très faibles taux d’intérêts de la Banque fédérale permettaient à la Banque de Chine de fixer des taux d’intérêt légèrement supérieurs plus attractifs, mais suffisamment bas pour favoriser les politiques de relance.
Aujourd’hui, alors que la banque fédérale américaine relève ses taux, l’équilibrisme chinois devient plus difficile, impactant l’économie et ses perspectives à deux niveaux.
1. L’époque des flux d’argent facile vers la Chine est révolue. Pendant une grande partie des 20 dernières années, les taux d’intérêt chinois étaient de 3 à 5% supérieurs à ceux des États-Unis. Le taux de change fixe ou, depuis 2005, semi-fixe, offraient aux investisseurs en Chine des assurances et des rendements plus élevés qu’aux États-Unis. Mais dès lors que les rendements de la dette publique américaine augmentent, l’avantage comparatif d’un investissement en Chine s’effrite.
2. Au moment où l’économie chinoise faiblit, la hausse des taux américains pour juguler l’inflation et la surchauffe de la demande oblige la banque de Chine à relever les siens, l’ancien schéma économique se grippe et fait entrer le pays dans les aux mal balisées de la croissance la plus faible depuis l’ouverture de la fin des années quatre-vingt.
Note(s) :
[1] Principaux pays affichant un déficit commercial avec la Chine en $ américain : États-Unis : 357 : 4 Mds ; Hong Kong : 304 Mds ; Pays-Bas : 79 Mds de $ ; Inde : 61 Mds de $ ; Royaume Uni : 55,4 Mds de $ ; Mexique : 43,7 Mds de $ ; Vietnam : 42,8 Mds de $ ; France : 39 Mds de $ ; Philippines : 29,3 Mds de $ Pologne : 28,1 Mds de $ ; Espagne 21,4 Mds de $.
[2] De 2001 à 2007, premières années après l’entrée de la Chine dans l’OMC la croissance du PIB est passée de 8,34% à 14,23%. Et le PIB réel de 11 000 à 27 000 Mds de $. Au cours de cette période, l’excédent commercial augmenté de 37 à 340 Mds de $.