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Mise en scène stratégique sino-russe dans le cadre gandiose des JO

Les dessous d’une mise en scène théâtrale des « vieux amis – 老 朋友 - »

Dans ce contexte où le n°1 chinois affiche sans mesure son pouvoir, la spectaculaire mise en scène de la proximité entre Vladimir Poutine et Xi Jinping est l’aboutissement d’un long processus de rapprochement entre la Chine et la Russie à l’œuvre depuis le début des années 90.

Il fut d’abord une connivence de deux régimes autocrates contre « l’hubris » prosélyte américain dont les menées qui menaçaient leurs régimes, à partir de l’ancienne Asie Centrale soviétique et de l’Europe orientale, ne furent jamais freinées par l’Union européenne.

Toujours hantés par leurs culpabilités historiques épouvantables, Bruxelles et ses nations membres sont restés inertes face aux avancées de l’OTAN, alliance défensive devenue agressive du point de vue de Vladimir Poutine, tandis qu’à l’Est, les pays de l’ancien glacis soviétique européen gardaient le souvenir douloureux des méthodes expéditives du pacte de Varsovie.

Il reste que sous la surface de cette ostentation affichée, fermentent de grands malentendus entre la Russie dont la longue histoire, au moins depuis Pierre le Grand (1672 – 1725), balance vers l’Ouest, tandis celle de la Chine est habitée par une sourde méfiance envers les puissances occidentales.

Cette hostilité est attisée par de vastes contrastes culturels et les souvenirs douloureux des humiliations subies par l’Empire au XIXe siècle que Xi Jinping ne cesse d’enflammer pour maintenir vivace le nationalisme des Chinois, carburant interne de sa popularité.

L’histoire heurtée des différends territoriaux.

La première équivoque aux racines anciennes de l’histoire sino-russe, mais toujours présente dans les arrière-pensées chinoises est qu’au XIXe siècle, la Russie s’était rangée au côté des « puissances occidentales » pour dénoncer le traité de Nertchinsk. Conclu en 1689 entre Ivan IV, 4e souverain des Romanov et Kangxi, 2e et plus brillant empereur des Qing, l’accord négociait au plus juste les intérêts territoriaux et stratégiques de l’Empire.

Mais, cent-soixante-dix ans plus tard, le traité inégal d’Aïgun (1858) arraché par Moscou pendant la 2e guerre de l’opium à l’Empire chinois très affaibli, « effaçait », selon l’expression d’Hélène Carrère d’Encausse, les avantages territoriaux du traité de Nertchinsk. La conséquence néfaste ayant une répercussion directe sur la situation stratégique actuelle, fut que la perte de l’Extrême Orient à l’Est de l’Oussouri, devenu « russe », écarta définitivement la Chine de la mer du Japon.

Malgré les déclarations de vieille amitié – 老朋友- de Xi Jinping, langage chinois convenu des relations sociales normales que les commentateurs transforment en inflexion sratégique majeure, le non-dit territorial nourrit une rancune chinoise et fut une des racines parmi d’autres des défiances, parfois exacerbées en graves tensions jusqu’aux accrochements armés sur l’Oussouri en mai 1969.

Officiellement l’aigreur fut éteinte par le traité de 2004 sur les îles Yinlong et Hexia Zi, au confluent des fleuves Amour et Oussouri, transférées par Moscou à la Chine. En réalité la reconnaissance russe était très loin des anciennes prétentions mandchoues.

Ambitions stratégiques, sourdes rivalités et anciennes défiances.

Il est vrai que, depuis la chute de l’URSS, porté par son désir d’effacer les humilations de l’effondrement, Vladimir Poutine renoue à l’instar de Xi Jinping avec la grande histoire russe. Il est aussi exact que, poussé dans ses retranchements par l’Alliance atlantique et Washington, il a opéré un rapprochement stratégique avec Pékin. Il n’en reste pas moins qu’en Chine, les réminiscences d’une histoire commune heurtée n’ont pas été oubliées.

Elles vont du pillage brutal de la Mandchourie par Staline en 1945, à sa prudence pendant la guerre de Corée, cinq ans plus tard, dont à l’exception d’un appui logistique, il s’est tenu à l’écart, en passant par les graves querelles idéologiques des années soixante entre Mao et Khrouchtchev prémisses des incidents de frontières de mai 1969.

De même, à partir de la présidence Nixon (1969 – 1974), c’est peu dire que l’ouverture de Washington à la Chine suggérée par Kissinger et la réponse favorable du très pragmatique et très madré Deng Xiaoping ont créé un malaise à Moscou.

Aujourd’hui, alors que le PIB chinois est dix fois supérieur à celui de la Russie et que l’axe du monde s’est déplacé de Washington à Pékin, il est probable que, sous la surface, fermente toujours une sourde rivalité sino-russe, en dépit du renforcement des contrats de gaz, conclus en riposte aux menaces de sanctions américaines.

Il d’abord clair que Vladimir Poutine qui remet en question l’ensemble de l’architecture de sécurité européenne, sur laquelle Xi Jinping n’a aucune prise, s’efforce de se hausser comme Pékin au niveau stratégique d’une relation directe avec Washington.

Mais entre Moscou et Pékin, enracinées dans la longue histoire, les prudences et défiances sont toujours là. Rarement évoquées par les analyses il faut rappeler que Pékin n’a pas reconnu l’annexion de la Crimée et que Moscou ne cautionne pas la revendication territoriale de Pékin en Mer de Chine du sud.

En 2020, Moscou a stoppé ses livraisons des Batteries de missiles S.400 à Pékin, déjà très en retard sur le contrat qui en prévoyait la fin en 2017. Par le truchement de ROSTEC, le conglomérat des systèmes de défense sol-air, les ingénieurs russes, moins patients que les diplomates, avaient dès la fin 2019, affiché leur agacement sur la place publique.

Tous se souviennent qu’au début des années 2000, à Shenyang, les Chinois avaient, pour produire leur chasseur multi-rôles J-16, purement et simplement copié le Sukhoï-30 MKK, acheté au Russes en nombre réduit. D’autres agacements russes sont aussi nés des controverses autour du prix du gaz livré à la Chine à un prix inférieur à celui payé par les Européens.

Répondant à des questions de la Deutsche Welle, Albrecht Rothacher, diplomate européen et spécialiste de l’Asie de l’Est, mettait récemment les pieds dans le plat. « Alors que dans les négociations, les Chinois sont très brutaux, avec un écart de puissance économique et démographique à dix contre un, il est devenu difficile de concilier les ambitions commerciales russes et les besoins énergétiques chinois. »

Comment Pékin protège sans équivoque ses intérêts directs.

Réagissant aux récentes tensions en Ukraine, la Chine s’est dans un communiqué commun publiquement associée à Moscou en s’opposant à « la poursuite de l’élargissement de l’OTAN et en appelant l’Alliance à abandonner les approches idéologiques de l’ère de la guerre froide ».

En retour, le Maître du Kremlin a reconnu la « politique d’une seule Chine à Taïwan » - ce que tous les partenaires de Pékin font sans exception, y compris la France ; Il a aussi fustigé les menées américaines dans le Pacifique occidental ; et, s’alignant strictement sur le discours chinois, dénoncé l’instabilité stratégique créée par les alliances « Quad » et « Ankus » dirigées contre la Chine.

Au passage, Poutine passait sous silence que la principale menace pour l’équilibre stratégique de l’Asie-Pacfique était l’annexion et la militarisation en cours par Pékin de toute la mer de Chine du sud grande comme la Méditerranée.

Alors qu’en Asie de l’est et dans le Pacifique occidental Pékin harcèle sans mesure les approches de Taïwan par ses chasseurs de combat et développe un projet impérial contraire au droit international, en Europe, souligné par le cabinet d’analyse de risques « Eurasia Group, » cité par Sébastien Faletti pour le Figaro, le calcul de la Chine est certes de renforcer la main de Poutine dans ses négociations avec Washington, leur ennemi commun.

Il n’en reste pas moins que, strictement focalisé sur ses intérêts stratégiques directs dans sa zone, Xi Jinping a, dans la déclaration commune, pris soin de ne pas laisser croire qu’il soutiendrait directement une attaque russe dont il sait bien « qu’elle pourrait déstabiliser l’économie mondiale, heurter la croissance chinoise et potentiellement affaiblir sa position personnelle, avant le congrès du Parti, cet automne ».


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