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Ma Ying-jeou franchit une ligne rouge. Pékin accuse Tokyo de provocation

Rien n’agace plus Pékin, qui tient à la politique d’une seule Chine comme à la prunelle de ses yeux, que de voir, relayée par les médias de la planète, l’image du drapeau taïwanais et celui d’un pays étranger cohabitant sur la même table d’une négociation internationale. Pour Pékin en effet, la République du Chine n’a pas d’existence légale.

Le Bureau Politique ne reconnaît que l’appellation China – Taipei 中国台北 -acceptée aux JO ou à l’OMS [1], assimilant, à quelques variantes près, l’Île à une province. Et jusqu’à présent Ma Ying-jeou s’était toujours gardé de heurter cette sensibilité chinoise, quand bien même sa prudence le mettait en porte à faux à l’intérieur, face à l’opposition du parti indépendantiste qui l’accuse de faire le jeu de Pékin.

Mais le 10 avril dernier, le président taïwanais a franchi la ligne rouge en signant directement avec le Japon et au nom de la « République de Chine », un accord de pêche dans la zone de l’archipel des Diaoyu (Senkaku). Circonstance aggravante, le responsable des gardes-côtes taïwanais Wang Jin-wang expliquait dans la foulée de l’accord que les patrouilleurs taïwanais interdiraient aux chalutiers chinois de pénétrer dans la zone désormais contrôlée conjointement par Taipei et Tokyo.

Pourtant, nouvelle preuve de la placidité chinoise qui ne dévie que très rarement de ses objectifs du long terme, les réactions officielles contre Taïwan, avec qui Pékin entend bien préserver contre vents et marées les acquits du rapprochement à l’œuvre depuis 2008, furent étonnement mesurées.

En revanche, le Japon essuya l’essentiel des contre attaques de la diplomatie chinoise, tandis qu’à Pékin on laissait entendre que Ma Ying-jeou, affaibli en interne et à la recherche d’un moyen de redorer son blason, s’était laissé manipuler par Tokyo.

Mais la réalité est que, pour la première fois depuis longtemps, Taipei, tirant profit de la querelle sino-japonaise, est sorti de sa position de nain diplomatique. Qui plus est, à propos de sa relation avec l’ennemi ancestral de la Chine, sujet sur lequel Pékin ne pouvait envisager de perdre la main au profit de Taïwan. La pilule est d’autant plus amère que, dans l’Ile, qui fut une colonie japonaise pendant un demi siècle, le sentiment anti japonais est bien moins exacerbé qu’en Chine continentale.

Note(s) :

[1En mai 2011 un député de l’opposition taïwanaise avait créé une violente controverse en révélant qu’un document interne à l’OMS considérait l’Île comme une province de Chine. Ma Ying-jeou avait énergiquement protesté, tandis que le DPP tirait profit de l’incident pour accuser le KMT de brader la souveraineté de l’Ile.


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Par Anonyme Le 18/04/2013 à 09h42

Ma Ying-jeou franchit une ligne rouge. Pékin accuse Tokyo de provocation.

Bonjour,
Comme toujours votre article est très instructif et très bien contextualisé.
Toutefois l’enjeu et les conséquences des négociations à trois bandes de 1996 reste obscures pour celui qui n’est pas spécialiste de cette question :

Page 2 vous mentionnez que : La Chine considère évidemment l’initiative de Taipei avec d’autant plus d’amertume que la question des Diaoyu pouvait constituer un sujet de coopération bilatérale contre Tokyo, alors que la Chine et le Japon avaient, en 1996, déjà signé un accord similaire autour de l’archipel contesté.

Et

Page 3 : Quant à l’accord de pêche autour de l’archipel des Diaoyu, à Pékin on relève que les négociations entre Tokyo et Taipei duraient depuis 1996, sans résultat tangible. Plus encore, au cours des 16 rencontres, qui toutes se soldèrent par des échecs ou des avancées mineures, les blocages venaient chaque fois du Japon.

Pourriez vous préciser ce point juridico-diplomatique qui semble important en expliquant un peu plus ce qu’il révèle des tensions en cours.

Merci d’avance
EB

Par Jean-Paul Yacine Le 20/04/2013 à 11h35

Ma Ying-jeou franchit une ligne rouge. Pékin accuse Tokyo de provocation.

Il est difficile de répondre à cette question en peu de mots, car elle renvoie à la complexité des relations entre Tokyo, Taipei et Pékin, où ce sont souvent les non dits et les intentions cachées qui font la réalité de la politique. Pour tenter d’y voir clair, il faut examiner l’état des relations et leur évolution dans ce triangle depuis 1996.

Au moment où la Chine et le Japon signèrent leur accord sur les Senkaku – Diaoyu, (les négociations commencèrent en 1996 et l’accord fut signé en 1997), les relations bilatérales étaient, comme souvent, marquées par de profondes méfiances réciproques. Le 29 juillet 1996, le premier ministre japonais Hashimoto, de la mouvance conservatrice LDP du centre droit, avait repris les visites au temple Yasukuni, après 11 années d’interruption, tandis que Tokyo venait de signer avec Washington, l’extension de la zone de responsabilité stratégique du Japon qui, en cas d’agression chinoise, incluait Taïwan et envisageait une intervention des forces d’autodéfense dans le Détroit, aux côtés des États-Unis.

Mais, adoptant en même temps, une stratégie à deux faces, dans un contexte où beaucoup d’observateurs considérèrent la politique japonaise comme des provocations du Parti conservateur, Hashimoto déployait de considérables efforts pour normaliser les relations avec la Chine qui, elle-même était, depuis 1992 (reconnaissance de la Corée du Sud), entrée dans une phase d’apaisement avec ses voisins. Dans ce contexte, le premier ministre japonais se rendit de nombreuses fois en Chine, y compris en 1998 et 2002, après la fin de son mandat.

En 1997, au moment de l’accord sur les pêches autour des Senkaku, les deux pays célébraient le 25e anniversaire de leurs relations diplomatiques. Officiellement, l’accord excluait la zone économique spéciale, mais une lettre du Cabinet d’Hashimoto – que le gouvernement japonais ne souhaitait pas rendre publique – expliquait que les gardes côtes japonais ne feraient pas obstacle aux activités des chalutiers chinois à l’intérieur de la zone. A l’époque déjà, tout comme aujourd’hui, les pêcheurs d’Okinawa accusèrent Tokyo de brader leurs droits de pêche exclusifs.

Dans ce contexte, on peut penser que Tokyo ne souhaitait pas mettre en péril la « normalisation » avec Pékin en accordant les mêmes droits aux Taïwanais, d’autant que la période était marquée par une grave crise dans le Détroit, ponctuée par 3 séries de tirs de missiles inertes chinois au large de l’Île, en riposte à la visite aux États-Unis de Lee Teng-hui (1995) et aux élections présidentielles de 1996, dont l’organisation démocratique hérissait la Chine.

Ainsi, après avoir, en 1996, entamé des négociations avec Taïwan – en réalité, Taipei faisait valoir ses droits depuis 1970, bien avant Pékin -, Hashimoto, qui, à chacun de ses voyages en Chine et notamment en 1997 lors du 25e anniversaire, réaffirmait la politique d’une seule Chine - fit traîner les pourparlers. Cette prudence visant à ménager Pékin, continua jusqu’en 2009, quand les négociations Tokyo - Taipei furent interrompues.

La date est importante. Après la fin du premier mandat de Shinzo Abe, elle correspond, en effet, à un réchauffement exceptionnel des relations sino-japonaises, dans la foulée la visite réussie de Hu Jintao au Japon en mai 2008. (lire notre article Chine - Japon. Un remarquable exercice de tolérance diplomatique), et celle, en retour, de Taro Aso à Pékin, en octobre.

On sait que les relations se crispèrent à nouveau, en septembre 2010, quand, précisément près des Ilots Senkaku, un chalutier chinois entra en collision avec 2 gardes côtes japonais et que son commandant fut emprisonné à Tokyo. Il est légitime de penser que les surenchères de politique intérieure au Japon, aux prises avec une forte instabilité ministérielle, à quoi s’ajoute la manipulation récurrente par Pékin du nationalisme chinois anti-japonais sont à la racine des troubles qui s’exacerbent depuis cette date.

Il ne fait pas de doute que l’accord entre Tokyo et Taipei signé le 10 avril 2013 est une initiative japonaise, que Ma Ying-jeou s’est empressé de saisir. Tout indique que Pékin a été pris de court et que l’intention japonaise était précisément d’empêcher un front uni Pékin – Taïwan. La mauvaise cote de popularité de Ma Ying-jeou, les difficultés des pêcheurs taïwanais et la volonté du KMT d’affirmer sa marge de manœuvre diplomatique face à Pékin ont fait le reste.

La presse japonaise conservatrice triomphe et cite en exemple la « modération » de Ma Ying-Jeou qui « a su éviter les surenchères nationalistes ». On peut douter qu’à Pékin on soit sur la même ligne. Il sera intéressant d’observer la visite début mai à Pékin de Masahiko Koumura, n°2 du parti libéral démocrate et Président du groupe d’amitié parlementaire sino-japonais.

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