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›› Taiwan

Le sénat tchèque à Taïwan. Pékin perd son calme. Le fossé se creuse entre l’Île et les Chinois

« -我 是 台灣 人 – Wo shi Taiwan Ren. – je suis un Taïwanais ». C’est par ces mots prononcés en Chinois qui paraphrasaient le « Ich bin ein Berliner » de J.F. Kennedy en 1963, que Milos Vystrcil le président du sénat tchèque en visite à Taïwan a, le 1er septembre, conclu son adresse au Yuan législatif,立法院 Li fa yuan, le parlement taïwanais dont tous les membres enthousiastes se sont levés pour applaudir longuement leur invité.

La réaction chinoise a été brutale et sans nuance, provoquant par contrecoup une série d’échanges politiques tendus, ponctués par la convocation des ambassadeurs. Celui de la Chine à Prague et son homologue tchèque à Pékin qui, comme l’exige leur fonction, essuyèrent la violence des premières flammes de la discorde.

S’exprimant depuis Berlin où il était en visite pour réparer la casse européenne de la politique imprudente, peu subtile et agressive du « Loup guerrier 战狼 Zhan Lang » menée par la Chine depuis 2018 (lire : La Chine agressive et conquérante. Puissance, fragilités et contrefeux. Réflexion sur les risques de guerre.), le Ministre des Affaires étrangères Wang Yi est sorti de ses gonds pour exprimer une fureur mal contenue.

« Le gouvernement et le peuple chinois ne se laisseront pas faire et ne resteront pas les bras croisés 袖手旁观 – xiu shou pang guan –. Ils feront payer à Milos Vystrcil et aux forces anti-chinoises qui le soutiennent, un lourd tribut pour l’opportunisme à courte vue de cette provocation politique. »

Depuis Pékin, la porte-parole du Waijiaobu Hua Chunying exprima « l’espoir que la partie tchèque reconnaîtra les sérieux dégâts causés par la visite à la relation entre Prague et Pékin (…) », ajoutant que « la manœuvre n’avait pas la plus infime chance de modifier le fait que Taïwan est une partie inaliénable du territoire chinois ».

Au milieu de la réprobation unanime des Européens choqués par la rafale de menaces, Prague convoquait l’ambassadeur de Chine, après que son homologue tchèque ait été dûment sermonné à Pékin par le vice-ministre des AE Qin Gang qui accusait le président Vystrcil d’avoir « violé la souveraineté chinoise en apportant ouvertement son soutien aux forces de rupture et aux indépendantistes taïwanais ».

Le très mauvais effet des menaces.

Le représentant diplomatique de Pékin à Prague, tout à sa promotion nationaliste de la renaissance 中国复兴 et du rêve chinois 中国梦, orchestrés par Xi Jinping avait peut-être mal mesuré à quel point dans ce petit pays d’Europe centrale, l’opinion est historiquement sensible au poids des tutelles extérieures qui, récemment, malmenant l’héritage instable de l’empire austro-hongrois, furent allemandes puis soviétiques.

Les menaces que le Premier Ministre Andrej Babic jugea « impertinentes et inappropriées » y sont d’autant moins acceptables que c’est pacifiquement et dans la subtilité que le pays a résolu ses contradictions les plus sévères par le truchement du dissident Vaclav Havel « le président philosophe ».

Ce dernier fut porté au pouvoir par la révolution de velours qui, en 1989, fit basculer le régime communiste au moment même où son homologue chinois réprimait violemment la dissidence politique à Tian An Men.

Président de la République fédérale tchèque et slovaque de 1989 à 1992, l’humaniste V. Havel fut aussi à la racine de la partition sans heurts du pays devenue inéluctable, succès qui fit de lui, de 1993 à 2003, le premier président de la République tchèque, séparée de la Slovaquie.

Trois décennies après le croisement des trajectoires historiques - celle de la Chine qui se raidit à l’extrême face à la rébellion étudiante et celle de la Tchécoslovaquie s’éveillant à son deuxième printemps, quarante après la chape politique du « coup de Prague » suivi en 1968 du déferlement des chars soviétiques, les tensions actuelles entre le Président du Sénat Tchèque et le régime chinois expriment un saisissant raccourci des chemins contraires empruntés par la Chine et l’Europe.

Ce n’est pas tout. En décembre 2008, moins de trois ans avant la disparition de Vaclav Havel, son héritage politique humaniste apaisé et démocratique s’est invité dans la politique intérieure chinoise quand 303 intellectuels militant pour une réforme politique du régime signèrent la « Charte 08 » dont le nom s’inspirait de la « Charte 77 » tchèque signée en 1977.

Surgie dans le paysage politique de l’antique Bohème Moravie, neuf années après la normalisation brutale par les blindés soviétiques de 1968, elle fut signée par 242 intellectuels tchèques dont l’un des auteurs et premiers signataires fut précisément Vaclav Havel, alors auteur dramatique et essayiste.

Parmi les signataires de la charte chinoise, 31 ans après Vaclav Havel, il y avait Liu Xiaobo, le prix Nobel de la paix décédé en prison le 13 juillet 2017, dont le souvenir constitue pour le parti communiste chinois le douloureux symbole de l’ingérence occidentale dans ses affaires intérieures.

Lire : La force du symbole de Liu Xiaobo et la crainte des influences occidentales.

C’est peu dire que le rappel à Taïwan du discours anti-communiste de John Kennedy à Berlin en 1963, alors que la Chine était déjà traversée par les prémisses de la révolution culturelle, a provoqué à Pékin une secousse offusquée.

La bienveillance européenne s’estompe.

En même temps, l’épisode a fait surgir la crainte d’une contagion qui, au nom des droits et de la démocratie, pourrait inciter d’autres pays européens à modifier leur approche de la question taïwanaise. L’hypothèse qui serait catastrophique pour le Parti, est cependant exagérée.

Aucun membre de l’UE n’a jamais exprimé l’intention de remettre en cause la politique d’une seule Chine. Il reste que l’appareil constate que le vent tourne. Josep Borrel, le nouveau haut représentant pour les affaires étrangères de l’UE a récemment nuancé son jugement sur la relation entre Bruxelles et Pékin.

« La Chine a un multilatéralisme sélectif fondé sur une compréhension différente de l’ordre international. » (…) « Soutenant l’OMC et l’Accord de Paris sur le changement climatique, elle insiste en même temps pour bénéficier d’un traitement de pays en voie de développement, ce qu’elle n’est évidemment plus. (…) »

« Elle soutient de manière sélective le droit international. En ce qui concerne les droits de l’homme, elle privilégie les droits économiques et sociaux aux droits civiques et politiques. » (Interview à François Clemenceau dans JDD du 2 mai 2020) ».

Il est vrai que J. Borrel doit se défendre des accusations de complaisance après qu’à Pékin, le représentant de Bruxelles avait accepté de corriger son rapport critique sur le départ de la pandémie et sur la stratégie chinoise d’auto-promotion qui suivit (Lire notre fiction de la rubrique chronique du 29 avril 2020 : Chronique du rajustement des puissances. « La peur au ventre. »).


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