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Le « Grand Jeu » global. Inversion des normes stratégiques. Réalités économiques et Incertitudes

Contrairement aux médias occidentaux, la télévision chinoise a amplement rendu compte du périple de Xi Jinping à Belgrade, Varsovie et Tachkent. Derrière lui les drapeaux de la Serbie, de la Pologne et de l’Ouzbékistan.

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Récemment, nous l’avons vu, le président Chinois était à Belgrade ; après quoi il s’est rendu en Pologne puis à Tachkent au sommet annuel de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) où il a rencontré Vladimir Poutine qu’il a accueilli deux jours plus tard en visite officielle, à Pékin.

Cette séquence internationale des présidents russe et chinois le long d’un des axes de l’Eurasie par l’Asie Centrale avait lieu presque en même temps que deux événements d’importance en Europe : le choc du « Brexit » qui plonge l’UE dans les affres des incertitudes économiques et existentielles ; la manœuvre de l’OTAN baptisée Anaconda [1], gesticulation militaire à destination de Moscou organisée par les Américains avec la caution de Varsovie, des Pays Baltes et de 16 autres pays européens dont la base de départ était la Pologne où le président chinois est arrivé 3 jours après la fin de la manœuvre.

Après la démonstration de force en Pologne qui comportait un franchissement de la Vistule sur un pont construit par l’armée allemande, l’OTAN s’est ensuite projetée dans l’arrière cour de l’ex-URSS, en Lituanie, le tout selon un schéma qui rappelait non seulement les « bruits de ferrailles » de la guerre froide, mais aussi les grands exercices organisés par les États-Unis sous le nez de la Chine, avec le Japon, la Corée du sud ou les Philippines.

Xi Jinping, sur les traces de l’OTAN à Varsovie.

Photo du haut, Xi jinping est arrivé à Varsovie 3 jours après la fin de la manœuvre de l’OTAN baptisée Anaconda à laquelle les armées polonaises ont contribué avec 12 000 hommes, de très loin le plus fort contingent européen ayant participé à l’exercice. En bas, Le 20 juin à Varsovie, le président Xi Jinping qui venait de Belgrade a, avec son homologue polonais, Andrzej Duda accueilli le premier « train bloc » chargé de conteneurs tous marqués “China Railway“. Ces conteneurs exporteront l’empreinte commerciale chinoise dans toute l’Europe. Nouveau tronçon du projet d’expansion économique chinoise vers l’ouest, Yi Lu Yi Dai ou One Road One Belt, la ligne relie Chengdu à Varsovie en 13 jours.

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Certes la visite en Pologne de Xi Jinping sur les traces de l’OTAN avait tout un arrière plan économique et commercial dans le sillage des « nouvelles routes de la soie », dont un des tronçons a été inauguré le 21 juin à Varsovie par le président chinois et son homologue polonais Andrzej Duda [2]. Il y eut aussi 40 lettres d’intention ou accords commerciaux et industriels (matières premières, énergie, finance).

Mais l’étape de Varsovie, précédée par celle de Belgrade où, sur le théâtre même du conflit en ex-Yougoslavie Xi Jinping a, à la fois, rappelé la rivalité de la Chine avec l’Amérique et la connivence sino-serbe chère à Poutine (lire notre article Xi Jinping à Belgrade. Retour vers le futur des guerres technologiques, qui fut suivie de la réunion annuelle de l’Organisation de Coopération de Shanghai à Tachkent, donne à la trajectoire du Président chinois qui a retrouvé Vladimir Poutine à Pékin, le 25 juin, un sens stratégique d’autant plus fort que ce qu’on appelait il y a 20 ans, à sa création, « le groupe de Shanghai », a peu à peu évolué en une association dont l’arrière plan anti-américain n’a cessé de se renforcer.

Avec le ralliement improbable des frères ennemis indiens et pakistanais ayant tous deux rejoint l’organisation lors du sommet de Tachkent, tandis que se profile aussi l’arrivée dans le groupe de l’Iran, le regroupement dans une seule association de 4 pays d’Asie Centrale et des deux puissances de l’Asie du Sud réalisé grâce à l’activisme concerté de Moscou et de Pékin parrains de l’OCS depuis deux décennies, offre un saisissant contraste avec la dynamique inverse de délitement à l’œuvre en Europe dont l’impotence stratégique corsetée par l’OTAN devient inquiétante.

Même s’il faudra attendre que l’avenir confirme la capacité de New-Delhi et d’Islamabad à dialoguer dans ce cénacle, l’élan n’en exprime pas moins une volonté d’association qui tranche avec les tendances centrifuges européennes.

L’Europe vacille quand l’OCS renforce son influence.

Le contraste qui semble exprimer une « inversion des normes stratégiques » est souligné par Hélène Nouaille dans sa livraison de la Lettre de Léosthène du 29 juin. Certes, l’OCS n’a aucun arrière plan moralisateur d’exemplarité en matière de droits de l’homme ; elle n’a pas de Cour de justice et n’ambitionne pas d’être un modèle planétaire ; elle n’est pas non plus une alliance militaire forte.

Même si elle organise régulièrement des manœuvres aux objectifs insolites pour des armées classiques (lutte contre le terrorisme, le séparatisme et l’extrémisme religieux, que la phraséologie chinoise classe dans la catégorie des « fléaux »), son potentiel opérationnel est fragile et ne peut-être comparé à celui de la machine de guerre otanienne.

Il n’empêche qu’avec l’arrivée d’Islamabad et de New-Delhi elle compte désormais 4 puissances nucléaires. Et, quoi qu’en disent les sceptiques qui portent sur elle un regard condescendant, son influence, comme au jeu de Go, commence à peser.

A l’ombre de la connivence entre Moscou et Pékin, exprimant une profonde méfiance politique à l’égard des menées de Washington aux marges de la Russie et de la Chine, sous couvert des « partenariats pour la paix » fomentés par l’OTAN, son tropisme anti-américain s’est affirmé depuis la fin des années 90.

Une longue affirmation anti-américaine.

En 2005, l’OCS, inquiète de l’épidémie de « regime change » aux marches de l’ancienne URSS, avait adopté une position commune, dénonçant les bases américaines de la région et exigé que Washington fixe un calendrier de retrait. La manœuvre avait en partie réussi, puisqu’en 2005 Moscou et Pékin avaient persuadé le président Ouzbek Karimov d’exiger des Américains, avec qui il était en froid après la répression brutale d’Andijan le 13 mai 2005, qu’ils ferment la base de Karchi Khanabad, point d’appui logistique des opérations en Afghanistan.

Pour la Chine comme pour la Russie, l’Asie Centrale est non seulement un réservoir de ressources, mais également un glacis stratégique, progressivement devenu le cœur d’un nouveau réseau d’influence, sur lequel Pékin et Moscou se sont à l’occasion appuyés pour dénoncer l’entrisme politique et militaire des États-Unis et de l’OTAN dans leurs zones d’intérêt stratégique direct après la chute du mur de Berlin. Avec l’arrivée de l’Inde et du Pakistan et bientôt de Téhéran, la manœuvre gagne en ampleur et prend l’aspect d’un contournement de l’Amérique.

Certes, les pions de ce nouveau « Grand jeu » ont des agendas stratégiques différents, parfois opposés, voire hostiles. Mais le recrutement d’une part de New-Delhi dont les contentieux avec la Chine pouvaient apparaître comme une garantie de fidélité à Washington et, d’autre part, d’Islamabad directement impliqué dans la question terroriste en Afghanistan dont le Pentagone n’a pas réussi s’extraire, sonnent une alerte pour la Maison Blanche, même si, aux États-Unis, les chercheurs ont noté la discrétion des commentaires en Inde et au Pakistan et parfois des doutes sur la réalité de l’élargissement.

Note(s) :

[1Organisé du 7 au 17 juin en Pologne, la manœuvre mobilisait plus de 30 000 hommes dont 12 000 polonais et quelques autres européens, 14 000 américains, 3000 véhicules, 105 avions et 12 navires de guerre. Si le gros des troupes était fournis par les États-Unis et la Pologne, les autres pays ayant participé à l’exercice avec des effectifs bien moindres, sont l’Albanie, l’Allemagne, la Bulgarie, le Canada, la Croatie, l’Estonie, l’Espagne, la Finlande, la Géorgie, la Hongrie, la Lituanie, la Lettonie, la Macédoine, les Pays Bas, la République Tchèque, la Roumanie, le Royaume Uni, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède, la Turquie, l’Ukraine.

[2Les deux saluèrent l’arrivée d’un train parti 12 jours plus tôt de Chengdu dans le Sichuan inaugurant à la fois un nouveau segment des liaisons ferroviaires entre la Chine et l’Europe et le concept des « trains-blocs, block trains » en Chinois 铁路专列服务 tielu zhuanlie fuwu (trains entiers non remaniés en cours de trajet dont le chargement est spécifique) entièrement chargés de conteneurs à la marque de China Railways, donnant une visibilité commerciale de premier ordre aux chemins de fer chinois.

Cette nouvelle liaison par train vers l’Europe s’ajoute aux destinations allemandes (Duisburg, Leipzig, Hambourg venant de Chongqing, Shenyang et Zhengzhou), à celle de Madrid venant de Yiwu et à celle de Lyon, lancée en avril dernier, venant de Wuhan, également reliée à Hambourg.


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