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La très brouillonne et très contradictoire diplomatie chinoise en Asie du Sud

A peine huit mois après la brutale explosion de violence guerrière entre New-Delhi et Islamabad, allié de Pékin (lire : Mohammed Ben Salman, la Chine, l’ONU, Masood Azhar, l’Asie du sud et l’Iran.), Xi Jinping a après un passage éclair de 36 heures en Inde pour rencontrer Narendra Modi, effectué une visite officielle au Népal coincé entre la Chine et l’Inde.

A force de grands écarts entre des objectifs aux cultures contradictoires, les stratégies chinoises en Asie du Sud se brouillent d’autant plus qu’elles sont portées par l’évidente obsession du n°1 du Parti pour la maîtrise normative des approches stratégiques de la Chine et l’alliance inconditionnelle avec Islamabad, terreau des risques islamistes pesant sur la région.

Essai avorté de « normalisation » au Népal.

A Katmandou, historiquement et culturellement proche de New-Delhi, la visite de 2 jours, les 12 et 13 octobre – une première par un président chinois depuis 1996 – a, en plus de l’adhésion du Népal aux « nouvelles routes de la soie », donné lieu à des annonces touchant une vingtaine de projets ou propositions de projets.

La liste comprend une liaison ferroviaire de 200 km vers Gyiron à la frontière du Tibet et un tunnel de 30 km permettant de réduire le temps de trajet vers la Chine, des coopérations télécoms et énergétiques, y compris hydroélectriques « dans les limites du raisonnable », a précisé Xi Jinping qui, informé par ses ingénieurs, n’ignore pas le risque posé par la fragilité des berges autour des barrages sur ce « toit du monde ».

Il est vrai qu’avec plus de 1000 km de frontières communes et ses 20 000 exilés Tibétains, Pékin voit ce pays enclavé dans l’Himalaya, à ses approches directes, cible il y a 20 ans d’une insurrection maoïste (1995 – 2006) en réalité appuyée par des réseaux d’influence indiens, comme un jalon essentiel de ses stratégies extérieures de contrôle de son environnement immédiat.

Il y a cependant loin de la coupe aux lèvres, surtout quand le souci de l’efficacité matérialisme percute à la fois la vieille mémoire culturelle des Népalais et l’histoire politique de proximité avec l’Inde.

Le n°1 chinois qui semble ne pas avoir mesuré la sensibilité de la question dans cette enclave de très hautes montagnes où malgré les affirmations de laïcité politique l’empreinte hindouiste (86%) et Bouddhiste (8%) reste très forte, est arrivé les bras chargés de projets d’infrastructures et de promesses de prêts.

Mais, toujours en proie à la paranoïa du contrôle, y compris hors de ses frontières, ayant en tête les Tibétains en exil, Xi Jinping a commis le faux pas de proposer un traité d’extradition au premier ministre K. P. Sharma Oli qui l’a rejeté. Ce n’est pas tout, au dernier moment les Népalais ont également refusé un accord de défense et la construction d’une route bordant la frontière.

Certes les discours de circonstance affirment que la relation a été haussée à un niveau « stratégique », peut-être en mémoire du testament du fondateur Prithvi Narayan Shah qui, à sa mort en 1775, recommandait de « maintenir des relations amicales avec l’Empereur de Chine ». Mais Narayan Shah qui parlait d’expérience, ajoutait aussi qu’il fallait rester proche de « l’Empereur des mers ».

Dans un article au titre explicite « Le Népal entre l’Inde et la Chine », publié en 2009 dans le n°21 de la revue « Outre-Terre », Philippe Ramirez, chercheur au Centre d’Etudes Himalayennes du CNRS, rappelle que « Compte tenu de l’histoire de son peuplement, de ses affinités culturelles et des contraintes de son économie, le Népal est bien davantage tourné vers l’Inde que vers le Tibet et, a fortiori, encore moins vers la lointaine Chine des Han. »

Aujourd’hui la note « risque pays » de la Société Générale confirme que « l’Inde est de loin le principal partenaire commercial du Népal avec 56,7% des exportations et 65% des importations ».

Si politiquement les résultats du passage de Xi Jinping à Katmandou furent en demie-teinte, en Inde, première étape du voyage, c’est l’hypocrisie qui dominait derrières les faux-semblants. New-Delhi considère en effet qu’en cherchant à pousser ses avantages au Népal, Pékin s’aventure sur les plate-bandes de ses intérêts stratégiques directs.

En Inde, une diplomatie sans substance.

En dépit des bonnes paroles d’une visite au pas de course, toute en spectacle mais sans beaucoup de substance, dans le sud-est du pays à Chennai et Mamallapuram, la patrie des sculpteurs de pierre, le malaise bilatéral sino-indien est resté palpable.

En arrière-pensées flottaient les puissants sous-entendus de relations en dents de scie jamais vraiment apaisées et les inquiétudes indiennes encore attisées par la visite à Pékin, le 9 octobre dernier, du Premier Ministre pakistanais Imran Khan.

D’autant que Narendra Modi n’oublie pas que, depuis le printemps dernier, à Karachi, des nationalistes brûlent régulièrement son portrait géant pour protester contre le raid de l’aviation indienne contre le camp d’entraînement terroriste de Balakot, le 27 février.

L’attaque aérienne au cours de laquelle l’armée de l’air indienne a perdu un MIG-21 – son pilote, fait prisonnier par les Pakistanais, a été restitué à New Delhi le 29 février –, faisait suite à l’attentat suicide du 14 février perpétré par le groupe islamiste Jaish-e-Mohammed qui tua 40 policiers de Pulwama.

Signe que les contentieux s’aggravent entre l’Inde et le Pakistan, allié de la Chine, le 5 août, Modi a purement et simplement révoqué l’article 370 de la constitution datant de 1949 garantissant le statut d’autonomie du Cachemire indien. Alors que la décision a reçu un large soutien en Inde, au Pakistan elle est vue comme une violation des accords de 1949. Le Premier Ministre Khan évoque même un « nettoyage ethnique » anti-musulmans.

Ici remonte à la surface l’ancestrale rivalité culturelle entre Musulmans et Hindouïstes, héritière de l’islamisation de l’Inde par l’Empire Moghol sous le joug d’un héritier de Tamerlan dont l’emprise qui dura deux siècles (1526 – 1707) et laissa d’importantes traces dont la partition du sous-continent, fut un des principaux ferments du nationalisme religieux hindouiste.

Avec un tel arrière-plan en Inde où la Chine est vue comme le premier soutien de l’ennemi historique pakistanais au milieu de différends culturels et religieux irréductibles entre l’Islam et le nationalisme hindouiste en pleine expansion, stimulant les succès politiques de Modi, il restait peu d’espace pour une véritable réconciliation.

Tout au plus les deux ont-ils pu mettre en avant le maigre résultat d’un mécanisme bilatéral qui restera probablement sans effet, destiné à réduire le déficit commercial de l’Inde.

De fait, les échanges passèrent sous silence les querelles de frontières et l’affaire explosive du Cachemire indien brutalement privé de sa vieille autonomie culturelle.

Surtout, personne n’évoqua publiquement le chiffon rouge pour New-Delhi du veto répété de Pékin à la résolution du Conseil de Sécurité visant à placer sur la liste des terroristes internationaux associés à l’État Islamique, Masood Azhar, fondateur du groupe Jaish-e-Mohammed (JeM), auteur de l’attentat meurtrier de Pulwama au Cachemire contre un bus de la police indienne.

En arrière-plan de cette obstination chinoise, le soupçon des services indiens d’une connivence de Pékin avec la mouvance islamiste radicale dans l’espoir qu’elle n’apportera pas son soutien aux radicaux indépendantistes ouïghour du Xinjiang.

*

A la vérité, comme lors du sommet de Wuhan, il y a 18 mois (lire : L’improbable réconciliation sino-indienne à Wuhan.), la rencontre ne fut qu’un exercice diplomatique d’apaisement destiné à tenir à l’écart l’aggravation des tensions attisées par la proximité entre Islamabad et Pékin.

Elle fut aussi une tentative acrobatique de Xi Jinping - pour tout dire plutôt bâclée - pour faire accepter à Modi l’empiètement chinois au Népal, ancestrale chasse gardée de New-Delhi.


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