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L’innovation avec caractéristiques chinoises

En 1992, lorsque Deng Xiao Ping se rend à Shenzhen, la « zone économique spéciale » créée à titre expérimental en 1978 près de Hong Kong, il n’en croit pas ses yeux tant le développement de cette ville est spectaculaire. En moins de 15 ans, on est passé d’un champ où paissaient tranquillement quelques vaches à une ville trépidante où l’argent coule à flots.

Dans un discours, qui constitue une magistrale démonstration de pragmatisme, Deng balaye la dialectique entre capitalisme et socialisme et livre son credo : « La dénomination des zones économiques spéciales est »socialiste« et non pas »capitaliste« . L’exemple de Shenzhen le démontre : la propriété publique représente l’élément principal, alors que les investissements étrangers n’y entrent que pour un quart… »

« Il n’y a pas lieu de redouter la multiplication des entreprises étrangères... dès lors que l’on garde son sang froid. Nous avons en effet notre supériorité intrinsèque, ainsi que nos grandes et moyennes entreprises, nos entreprises rurales, et surtout... le pouvoir est entre nos mains. Les hommes d’affaires étrangers veulent gagner de l’argent. L’Etat quant à lui en retire des recettes fiscales, les ouvriers leur salaire, et de surcroît nous pouvons apprendre en matière de technologie et de gestion, en retirer des informations, et nous ouvrir de nouveaux marchés ».

Ce discours fut le signal d’une ruée d’investisseurs vers la Chine. Chacun veut sa JV. Pendant les premières années de la décennie, plus d’un CEO, hypnotisé par le marché chinois, viendra y tester les limites de son bon sens. C’est l’époque où la blague en vogue consiste à expliquer que, pour devenir millionnaire en Chine, il suffit d’arriver milliardaire et de rester suffisamment longtemps. Quelques échecs n’arrêteront pas le mouvement et, bientôt la Chine se retrouve qualifiée « d’Usine du monde » alors que le monde consomme du « Made in China ».

Les nouveaux dirigeants Chinois, Hu Jin Tao et Wen Jia Bao, lorsqu’ils arrivent aux affaires en 2003, constatent qu’être l’usine du monde remplit le tiroir-caisse, certes, mais crée une situation préoccupante de dépendance technologique à l’égard des étrangers. Ils comprennent qu’il ne suffit pas de produire. Il faut maîtriser la technologie et il faut innover. Wen Jia Bao crée alors un groupe de travail pour la création d’un plan à moyen et long terme sur le développement scientifique et technologique.

La suite est racontée avec brio et précision dans un article publié par APCO sous le titre « China’s drive for indigenous innovation - a web of industrial policies » [1]. On en donnera ci-après un rapide aperçu.

Un groupe de travail sur l’innovation.

Le groupe de travail, dont le nombre de participants va progressivement atteindre le chiffre impressionnant de 2 000, est composé de scientifiques, de bureaucrates et de dirigeants d’entreprises. Au cours de ces discussions va se dessiner une profonde divergence sur la manière de procéder.

Les scientifiques préconisent la mise en place de commissions essentiellement composées de scientifiques, chargées de sélectionner, entre pairs, les projets de recherche qui méritent de bénéficier des aides de l’Etat. Les bureaucrates en tiennent pour la mise en place de quelques « mega-projets » confiés aux grandes entreprises d’Etat. Chaque administration, chaque ministère, défend ses propres intérêts. Les bureaucrates l’emporteront et les scientifiques seront mis à l’écart.

En décembre 2004, le Ministère des Sciences et Technologies (MOST) est chargé de rédiger le Plan Moyen et Long terme (MLP), une tâche qui va s’accomplir tout au long de l’année 2005, et aboutira à une résolution du Comité Central du Parti, en octobre 2005, où l’on voit apparaître, pour la première fois, la notion nouvelle d’« Innovation Indigène », qui vient trouver sa place à côté du mot d’ordre « Réforme et Ouverture », lancé par Deng Xiao Ping en 1978. En février 2006, le Conseil des Affaires d’Etat publie le MLP. La Chine se donne des échéances : jouer un rôle de leader dans les industries de pointe dès 2020, et devenir une « puissance scientifique et technologique » au milieu du XXIe siècle.

Or, qui dit échéance dit pression : comment faire pour atteindre les objectifs dans les délais prescrits ? Deux voies se présentent. La première est la recherche interne, que l’expression « innovation indigène » semble désigner. Dans cette voie, il faudra inciter et aider les chercheurs chinois à élever le niveau technologique de la production.

Mais les dirigeants ont été quelque peu échaudés (notamment par l’affaire du « China chip », une soi-disant découverte sensationnelle faite en 2005 grâce à des investissements considérables subventionnés par l’Etat, qui avait tourné à la confusion lorsqu’un ouvrier avait révélé que le « chip »’ en question n’était autre qu’un produit Motorola dont on avait simplement gratté la marque). Bref, les dirigeants n’ont pas une confiance aveugle dans l’intégrité de leurs chercheurs.

L’innovation appuyée sur l’étranger

La seconde voie consiste à s’appuyer sur les technologies étrangères, en procédant à de la « co-innovation » (résultat d’efforts recherche en commun entre chercheurs chinois et étrangers) et à de la « re-innovation » (améliorer les technologies importées de l’étranger), ce qui doit permettre de gagner du temps, en partant de plus haut.

Cette stratégie que le Président Hu Jin Tao décrit en 2006 comme « innovation avec caractéristiques chinoises« sera accompagnée de plusieurs »circulaires« et »mesures". Plusieurs orientations se dessinent : (1) favoriser les produits chinois innovants, (2) contrôler la recherche et les dépôts de brevets étrangers, (3) stimuler la création de droits de propriété industrielle.

Favoriser les produits chinois innovants : la propriété industrielle au service du protectionnisme.

Une circulaire du 3 avril 2007, accorde un avantage, dans les appels d’offres pour les marchés publics [2], aux produits inscrits sur un « catalogue » de « produits à innovation indigène ». Les critères de sélection ne sont pas encore définis, mais les avantages le sont : dans les compétitions d’appels d’offres, ces produits seront considérés de 5 % à 10 % moins cher ou bénéficieront d’un coefficient qualitatif augmenté de 4 % à 8 %.

Une autre circulaire de décembre 2007 impose clairement la préférence aux « produits domestiques » dans les marchés publics, et prévoit que si une importation est décidée, elle doit profiter à l’innovation indigène, ou permettre l’assimilation et l’absorption de technologies essentielles. La priorité est donc imposée aux produits dont l’importation s’accompagne d’un transfert de technologie et de programmes de formation.

La communauté internationale a vite fait de distinguer des mesures de protectionnismes et le premier Ministre Wen Jia Bao sera conduit à la rassurer, en affirmant publiquement que les produits fabriqués par les entreprises étrangères détenues en joint-venture avec un partenaire chinois ou même celles détenues à 100 %, sont considérés comme des produits domestiques et bénéficieront du même traitement que les produits chinois.

Note(s) :

[2La Chine n’ayant pas encore adhéré au « Government Procurement Agreement » (GPA), un élément de l’OMC, et est donc libre d’organiser ses marchés publics comme elle l’entend.


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