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Les Généraux Fan Changlong 1er Vice-président de la CMC et Raheel Sharif, chef d’état-major des armées pakistanaises. Les deux ont le commun souci de la sécurité de l’arrière pays du port de Gwadar et du couloir économique Gwadar – Kashgar.
Sept mois après le voyage officiel de Xi Jinping au Pakistan qui avait été accompagné par la promesse de 47 milliards d’investissements, le Général Fan Changlong, vice-président de la Commission Militaire Centrale et premier militaire de l’APL, s’est lui aussi rendu dans le pays qui, compte tenu de la montée des risques terroristes, constitue aujourd’hui le premier souci stratégique et de sécurité de la Chine [1].
La visite du 11 au 13 novembre n’était pas anodine pour deux raisons. C’était la première d’un n°1 militaire chinois depuis 11 ans. Surtout, elle donnait le coup d’envoi d’une coopération de sécurité qui dépasse de très loin les anciens projets conjoints autour des équipements militaires chinois vendus à Islamabad.
Bien que les termes de l’accord rendus publics soient encore flous, il s’agira pour l’APL d’assurer, en coopération avec l’armée pakistanaise, la sécurité du port de Gwadar et d’un espace adjacent de 280 hectares auquel le Pakistan a, le 12 novembre dernier, accordé le statut de zone franche, la gestion du port lui-même étant, depuis février 2013, déjà attribuée à la Chinese Overseas Ports Holdings Company Ltd (COPHCL en Chinois 中国 海外港口控股有限公司) pour un bail de 40 ans.
La zone franche de Gwadar, un souci de sécurité pour la Chine.

Le port de Gwadar qui bénéficie d’une position stratégique de premier ordre connaît depuis 2007 un développement décevant du à l’obstruction de la marine et des garde-côtes pakistanais et à l’insécurité de l’arrière pays.
L’extension du statut de zone franche aux terrains adjacents a été rendue publique le 12 novembre au cours d’une cérémonie présidée par Dr Abdul Malik gouverneur de la province du Baloutchistan, en présence de Wang Xiaotao, depuis 2015, n°2 de la Commission Nationale pour la Réforme et Développement. Mais les conditions concrètes de cette coopération inédite de sécurité n’ont pas été révélées.
Il est probable que, profitant du statut de zone franche, la Chine installera à Gwadar, comme elle l’a souvent fait en Afrique ou dans certains pays d’Asie du Sud-est tels que le Myanmar ou le Cambodge, un espace chinois extraterritorial dont la sécurité pourrait être assurée par des détachements de l’APL. Il restera à voir si ce montage n’aggravera pas les tensions avec l’arrière pays du Baloutchistan aux prises avec des mouvements irrédentistes.
La visite du Général Fan confirme aussi la préoccupation chinoise pour la sécurité du méga projet de Couloir Économique Chine – Pakistan, lancé lors de la visite de Xi Jinping, partie de l’initiative Yi Dai Yi Lu (une ceinture économique, une route de la soie), reliant la mer d’Arabie au Xinjiang chinois, par des routes, autoroutes et voies ferrées (dont certains sont déjà opérationnelles). A ces infrastructures la Chine ajoutera un oléoduc, dont une partie traversera des zones politiquement instables.
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Durant sa rencontre avec le Général Raheel Sharif, chef d’état-major général des armées pakistanaises, le général Fan a, après les stéréotypes sur l’indéfectible amitié sino-pakistanaise résistant à l’épreuve du temps, mis le doigt sur le point dur des relations entre Pékin et Islamabad, la sécurité des ressortissants chinois.
A cet effet, il a remercié les militaires pakistanais de leur aide dans la lutte contre l’ETIM (East Turkestan Independance Movement) dont des cellules seraient abritées dans les zones tribales entre le Pakistan et l’Afghanistan. La question est d’autant plus sensible que la Chine et le général Fan traitent avec l’armée d’une République islamiste dont les liens avec des organisations terroristes sont connus.
Le Baloutchistan instable et dangereux.
Pour l’heure, au moment de l’octroi du statut de zone sous douane à Gwadar et à ses environs directs, le souci de Pékin, exprimé par la visite du Général Fan, est la stabilité du Baloutchistan, arrière pays des installations portuaires et de leurs approches.
Le risque existe en effet que des groupes irrédentistes appartenant à l’Armée de Libération Baloch (sigle anglais BLA) ou à des groupes islamistes opérant dans le centre ou au sud du Baloutchistan tentent de contrecarrer le développement du corridor. En mai 2014 un touriste chinois avait été enlevé par un groupe de Taliban pakistanais. Un an plus tard, le groupe a renouvelé sa demande de rançon par le truchement d’une vidéo.
Alors que la première phase du projet impliquera peu de main d’œuvre chinoise, un accord a été conclu avec le Pakistan pour la mise sur pied d’une force paramilitaire d’une quinzaine de milliers d’hommes spécialement recrutés et formés sur une durée de 3 à 5 ans et un budget de 250 Millions de $ pour assurer la sécurité du corridor sous le contrôle de l’armée pakistanaise.
Enfin une conférence nationale réunissant tous les partis politiques tenue le 1er juin à Quetta sous la présidence du premier ministre Nawaz Sharif laisse supposer que l’armée pakistanaise pressée par Pékin déclencherait une vaste opération de contre insurrection au Baloutchistan.
Les objectifs stratégiques de l’amitié sino-pakistanaise vus de Pékin.
Enfin rappelons que l’amitié entre Islamabad et Pékin est articulée autour de 5 objectifs majeurs du Bureau Politique chinois :
1) Dans un contexte compliqué par les mouvements indépendantistes, traversés par les transes de l’Islam radical, assurer la stabilité et la sécurité des provinces occidentales et le long des frontières avec l’Asie du sud et l’Asie Centrale ;
2) Insérer les provinces occidentales chinoises dans un environnement transfrontalier propice au commerce et au développement économique ;
3) Simultanément développer le couloir économique entre la mer d’Arabie et le Xinjiang avec, pour objectif premier, le raccourci des lignes de communication logistiques acheminant les hydrocarbures vers la Chine ;
4 ) Opposer un contrepoids stratégique à l’Inde en contrôlant son influence en Asie du Sud et du Sud-est ainsi qu’en Afghanistan – où Islamabad est toujours le point d’entrée de Pékin - ;
5) Freiner l’intrusion en Asie du Sud d’acteurs plus favorables à l’Inde qu’à la Chine.
Note(s) :
[1] Confirmant l’importance stratégique de la relation bilatérale, le 16 novembre, immédiatement après le voyage du Général Fan à Islamabad, le président du Sénat pakistanais, Mian Raza Rabbani, a effectué une visite à Pékin où il a été reçu par le président de l’Assemblée Nationale Zhang Dejiang.