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En Europe Centrale et Orientale, pour la Chine, le vent a tourné

Les points d’appui chinois de la Grèce, de la Serbie et de la Hongrie.

En Grèce où la Chine a renforcé son emprise après les hésitations de l’UE qui, par souci de rigueur budgétaire, tarda à aider Athènes lors de la crise de 2010, Pékin considère toujours son emprise par le truchement de COSCO comme un point d’appui de long terme en Europe. Depuis l’été 2021, le géant du transport maritime chinois détient en effet 67% des parts dans la gestion du port du Pirée.

Pour autant, souligne Philippe Le Corre, chercheur spécialiste de la Chine et de l’Asie, depuis les premiers contacts en 2016, le vent a tourné. Récemment, accusant le groupe chinois de s’approprier la majorité des bénéfices, « les acteurs locaux - chantiers navals, armateurs, élites locales, syndicats et associations environnementales - se sont tous opposés aux projets de COSCO dans la région. » (…)

(…) « L’euphorie du public suscitée par l’action chinoise au Pirée est remplacée par du scepticisme, voire une opposition pure et simple. De nombreux accords commerciaux sino-grecs ont été interrompus ou annulés, notamment un développement conjoint autour de l’aéroport d’Hellenikon, la vente d’Ethniki Asfalistiki, la plus grande compagnie d’assurance grecque ou la privatisation de l’opérateur ferroviaire grec TrainOSE. »

*

En Serbie, la guerre en Ukraine donne à Pékin l’opportunité de concurrencer la relation entre Belgrade et Moscou, placée sous surveillance occidentale depuis l’agression russe. En mars 2022, peu après l’offensive de Moscou, l’inauguration de l’institut des « Routes de la Soie », sous l’égide de la chambre de commerce serbe et de l’Université Novi Sad, a donné l’occasion à la Première ministre Ana Brnabic de regretter le poids des pressions (de la Russie qu’elle n’a pas citée) et la nécessité d’ouvrir de nouveaux canaux pour en alléger l’inconfort.

A côté de la relation compliquée avec Moscou, marquée par la dépendance au gaz et celle de l’indispensable appui russe aux NU à propos du Kosovo, la relation avec Pékin paraît au contraire sans risque majeur, tant que la rivalité sino-américaine n’impactera pas le récent choix de Belgrade de tenter un rapprochement avec Washington.

Fin 2021, les investissements chinois en Serbie dépassaient 3 milliards d’euros, tandis que les prêts pour les travaux d’infrastructure excédaient 8 milliards. La Serbie achète déjà des drones à la Chine et il existe des indices que les systèmes de surveillance de Huawei équipés d’un logiciel de reconnaissance faciale, ont été utilisés pour identifier les participants aux manifestations de la fin 2020 anti-gouvernementales contre le confinement.

Avec ses liens avec la Russie sous haute surveillance occidentale, le gouvernement serbe estime qu’il a plus de latitude pour conclure des accords avec la Chine. La Chambre des entreprises chinoises en Serbie a été inaugurée le 3 mars dernier. Lors des JO d’hiver à Pékin, le Président Vucic a rencontré Xi Jinping pour honorer l’amitié « à toute épreuve » entre les deux pays.

À son retour à Belgrade, il a annoncé que d’ici la fin 2022, les deux gouvernements signeraient un accord de libre-échange pour, à terme, porter le commerce bilatéral à 10 milliards de dollars. Malgré le risque réel d’augmenter le déficit commercial serbe et d’exposer les fabricants locaux à la difficile concurrence chinoise, les dirigeants serbes espèrent ainsi attirer les investisseurs étrangers.

Un nouvel accord a également été conclu pour l’ouverture par la Chine d’une nouvelle usine de pièces automobiles dans la ville serbe de Nis et l’augmentation de la capacité de l’usine de sièges de voitures à Kragujevac. Les deux pays prévoient également d’instaurer des vols directs entre Belgrade, Shanghai et Pékin.

Lors de la première conférence du nouvel Institut des Routes de la Soie, le ministre serbe de la Construction, des Transports et des Infrastructures, Tomislav Momirovic, a mis en avant les routes et les voies ferrées en construction par des groupes chinois. Il s’agit notamment de 75 km d’autoroute, partis du projet plus large de la liaison routière Belgrade Adriatique ; d’une usine de vaccins SINOPHARM presque terminée et d’une coopération télécom avec Huawei, excluant cependant les équipements 5G.

Mais c’est avec la Hongrie de Victor Orban solidement réélu début avril que les relations avec la Chine sont les plus étroites, en même temps qu’elles sont les plus controversées en Europe.

Le cas hongrois.

Depuis 2010, la Hongrie, membre de l’UE, est critiquée en Europe pour être une « démocratie illibérale », un quasi État à parti unique au cœur de l’Europe. Se distanciant de ses alliés démocratiques européens traditionnels, la Hongrie qui reproche à Bruxelles son dogmatisme et l’accuse de se mêler de ses affaires intérieures, se rapproche d’autres pays non démocratiques tels que la Russie, la Turquie et la Chine.

En septembre 2018, la tension entre la Hongrie et l’UE s’est aggravée lorsqu’un vote du Parlement européen a déclenché la mise en œuvre de l’article 7 du traité sur l’Union européenne, pouvant à terme menacer l’attribution des financements européens et les droits de vote de la Hongrie dans l’UE.

En novembre 2020, Budapest a bloqué le budget de l’UE, y compris un programme de secours COVID-19, s’opposant à une disposition qui subordonnerait les fonds au respect par un pays des normes démocratiques. Surtout, Orban a mis son veto à plusieurs déclarations de l’UE critiquant la Chine pour ses actions à Hong Kong, le non-respect du droit de la mer en mer de Chine méridionale et les répressions contre les Ouïghours. Récemment enfin, s’alignant sur la proximité entre Moscou et Pékin, il a entravé l’embargo européen sur le pétrole russe qu’il considère comme une ligne rouge.

Parmi les coopérations les plus controversées entre Budapest et Pékin, figurent la promotion par V. Orban lui-même des vaccins chinois SINOPHARM pourtant réputés moins efficaces et surtout le projet, financé par un prêt chinois d’1,5 Md d’€, d’installer à Budapest un campus de l’Université Fudan de Shanghai, pouvant accueillir d’ici 2024, 6000 étudiants, sur un terrain initialement dédié à une résidence universitaire.

En janvier 2022, François Venne, chercheur franco-américain au CEPA (Center for European Policy Analysis) (lire : China in Hungary : Real Threat or False Alarm ?) faisait l’analyse de la coopération sino-hongroise et des défis qu’elle pose à l’Europe et à la relation transatlantique, en dépit de la faiblesse des relations commerciales dont le haut du pavé est, de très loin, tenu par l’Allemagne, premier partenaire commercial de Budapest avec plus de 25 % de ses échanges quand celles avec la Chine plafonnent à 6%. (Stat 2019).

La même faiblesse se constate si on considère le stock cumulé des investissements chinois 2000 – 2020 qui dépasse à peine 3 Mds de $ pour un total voisin de 110 Mds de $.

Néanmoins telle qu’elle est aujourd’hui, la proximité entre Budapest et Pékin et la participation active de la Hongrie aux Nouvelles Routes de la Soie exacerbent les divisions idéologiques et politiques au sein de l’UE et rendent plus difficile une réponse coordonnée de Bruxelles face à la Chine. Enfin, l’utilisation par la Hongrie, en dépit de l’interdiction de Washington, du Chinois Huawei, 25% moins cher à qualité égale, met en relief la faiblesse commerciale des offres européennes, de surcroit rivales entre elles, portées par Nokia et Ericsson.


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