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›› Politique intérieure

Décès de Jiang Zemin. Héritage politique et contradictions

Du pragmatisme autoritaire au « rêve chinois ». Du « profil bas » de Deng à la lutte contre l’Occident.

Arrivé au pouvoir au milieu d’une puissante contradiction entre les conservateurs et l’espoir d’une nuance d’ouverture politique dont les tenants ont tous été éliminés, Jiang Zemin s’est, tout au long de ses mandats, trouvé mêlé à de puissantes luttes de clans, conjonctions d’intérêts politiques et de prébendes affairistes attachées aux féodalités industrielles.

En même temps, il est arrivé à la tête de l’appareil au moment où triomphaient « les anciens », dont la rigidité fut, après la tragédie du 4 juin, tempérée par l’élan réformiste de Deng.

Échaudés par les effervescences étudiantes qui réclamaient la démocratie, les caciques du régime qui y virent une menace directe pour la prévalence du parti ont réagi en ordonnant l’intervention de l’armée. Ceux des politiques de haut rang comme Zhao Ziyang et des chefs militaires qui s’opposèrent à cette décision terminèrent leur vie en résidence surveillée.

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Rescapé de cette séquence politique dont le souvenir traumatique est resté vivace dans l’appareil, Jiang Zemin, appuyé par sa base politique shanghaienne a, après quelques hésitations conservatrices, conduit le pays, en grande partie grâce à Zhu Rongji, sur une trajectoire d’efficacité économique par la promotion vertueuse de l’esprit d’entreprise et du pragmatisme économique.

Pour autant, dans son esprit, l’ouverture aux affaires n’a pas débordé vers le système politique dont l’intolérance à toute remise en question de la prévalence politique du Parti n’a pas été desserrée. Ses décisions de faire exécuter trois étudiants arrêtés sur la place Tian An-men puis de lancer une vague de répressions contre les membres de Falun Gong en 1999, montrent que sa pensée d’ouverture restait strictement cloisonnée à la sphère économique.

A l’intérieur, la principale innovation idéologique de Jiang fut la théorie des « trois représentativités », officiellement inscrite dans l’orthodoxie du Parti communiste en 2002. Au prix d’une contorsion idéologique, elle a intégré au Parti communiste les entrepreneurs capitalistes, porteurs à la fois d’un nouveau souffle politique et de profondes mutations idéologiques et sociales.

Willy Lam, journaliste et analyste chinois de la Jamestown Foundation, formé à Hong Kong, rappelle que « cette décision bien que controversée, a assuré l’emprise du parti sur le pouvoir en cooptant les entrepreneurs en même temps que la classe moyenne chinoise. L’appareil n’est plus “le parti des ouvriers et des paysans“, dit Lam. Creuset d’une nouvelle aristocratie ayant gravi les échelons du pouvoir, il est devenu le parti des riches et des puissants.  ».

Le paysage socio-politique très inégalitaire de la Chine moderne où, selon le premier ministre Li Keqiang lui-même, 600 millions de Chinois (près de 40% de la population) vivent avec moins de 150 $ de revenus mensuels, est au cœur des soucis politiques du régime qui multiplie les slogans politiques d’apaisement social tels que celui de la « prospérité pour tous 共同富裕 » ou de « Société harmonieuse de petite prospérité 和谐小康社会 ».

La notion, venue du « classique des Odes », écrit entre les XIe et VIIe siècles av .JC, pendant la dynastie aristocratique des Zhou, a été reprise par Deng Xiaoping puis par Hu Jintao, successeur de Jiang Zemin.

Xi Jinping l’a aussi utilisée en 2014 dans son slogan des « Quatre Stratégies exhaustives - 四个全面战略布局 » dont la première est « La construction exhaustive d’une société harmonieuse de moyenne prospérité » (Les trois autres sont « l’approfondissement exhaustif des réformes  » ; « la gouvernance politique par l’application exhaustive du droit  » ; « la gouvernance du parti par une rigueur exhaustive  ».

Resté fidèle à la pensée pragmatique et prudente de Deng même après sa disparition en 1997, Jiang a, en politique étrangère et, contrairement, à Xi Jinping, continué à jouer, des leviers de la modestie et de la séduction. Sans cependant renoncer aux revendications essentielles sur Taïwan et en mer de Chine du Sud [2].

Conscient qu’il était nécessaire de restaurer l’audience internationale de la Chine, après la brutalité sans mesure exprimée par l’appareil à Tian An-Men, Jiang que certains accusèrent d’être un « cabotin narcissique  », n’a pas ménagé ses efforts pour se présenter sous des apparences affables.

Ainsi, en 2000, trois années après sa longue visite de huit jours aux États-Unis [3], parlant à l’animateur Mike Wallace de CBS, il s’était efforcé de citer en anglais la partie du discours de Gettysburg d’Abraham Lincoln se référant à l’idéal démocratique « Government of the people, by the people, for the people », dont on dit qu’elle inspira « les trois principes du peuple  » de Sun Yat-sen ;

Au fil des ans on l’a aussi vu danser le cha-cha-cha avec Fidel Ramos, le président des Philippines ; Portant au cou un collier de fleurs hawaïennes, s’accompagnant à la guitare, il avait chanté « Love me tender » d’Elvis Presley et valsé au son d’un accordéon avec Bernadette Chirac.

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A la vérité, la dernière contradiction des funérailles de Jiang Zemin, se lit dans l’hommage de Xi Jinping. Alors que l’éloge funèbre célébrait la continuité de l’héritage de Deng Xiaoping, marqué par la cohésion interne, la promotion pragmatique de l’esprit d’entreprise et la prudence internationale, la stratégie de Xi Jinping lui tourne le dos.

Elle piétine l’exigence de consensus interne, élimine sans nuance toute pensée critique, rétablit le culte de la personnalité, privilégie la loyauté dogmatique et idéologique à l’efficacité et met aux normes l’esprit d’entreprise.

Enfin, se référant sans cesse aux humiliations infligées au XIXe siècle à l’Empire déclinant par les « Huit puissances  » (Six européennes dont l’Empire russe, les États-Unis et le Japon), Xi célèbre les « caractéristiques chinoises  », réputées étrangères aux valeurs de liberté, de justice et de vérité historique, au prix de quelques accommodements avec la longue histoire de la pensée chinoise.

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De cette analyse, il ressort que Jiang Zemin qui n’était pas moins nationaliste que Xi Jinping, était resté fidèle à l’héritage prudent de Deng Xiaoping inscrit dans la formule bien connue recommandant au Parti d’attendre son heure « 韬光养晦 – mot à mot dissimulez vos éclats et cultivez l’ombre ».

S’il est vrai qu’à l’occasion, l’appareil avait au cours des mandats de Jiang, fait valoir ses intérêts stratégiques directs dans le détroit de Taïwan et en mer de Chine du sud, il avait aussi su jouer des atouts séduction et de souplesse pour restaurer l’image de la Chine abîmée par le brutal épisode de Tian An-men.

Depuis l’automne 2012, date de l’accession de Xi Jinping à la tête du Parti, la stratégie, chinoise dominée par une idéologie nationale-souverainiste exacerbée, a clairement abandonné la trajectoire de montée en puissance pacifique de la Chine 中国 和平 崛起 qui prévalait du temps de Deng Xiaoping, Jiang Zemin et Hu Jintao.

L’affirmation nationaliste anti-occidentale attisée par les références aux humiliations subies par l’Empire au XIXe siècle 百年屈辱, s’alimente aussi de l’idéologie des « caractéristiques chinoises » que la propagande de l’appareil analyse uniquement, et de manière caricaturale, sous l’angle des contrastes avec la pensée occidentale.

Le paroxysme préoccupant de cette très troublante pensée de rupture a été atteint au début 2013, quelques mois seulement après l’avènement de Xi Jinping. « L’instruction n°9 » à l’intention des membres du Parti, dont nombre d’intellectuels savaient qu’elle était déshonorante, avait défini 7 sujets dont l’évocation publique par les médias et les intellectuels était interdite « 七个不要讲 – qige bu yao jiang – ».

Il s’agissait des « erreurs historiques du Parti, des valeurs universelles, des tensions dans la société civile, des droits des citoyens, de l’indépendance de la justice, des privilèges de l’oligarchie et de la liberté de la presse.  ». Lire : « 七个不要讲 – qige bu yao jiang – ». L’inquiétante panne des réformes politiques.

Après la disparition de Jiang Zemin, le risque est que sans le contrepoids pragmatique de « la faction de Shanghai  » qui nuançait les excès d’un retour en force idéologique, la Chine, par ailleurs toujours aux prises avec les affres imprévisibles de l’épidémie de covid-19, gérée sans souplesse, s’enfonce dans une longue stagnation économique.

Note(s) :

[2Les mandats de Jiang Zemin furent marqués par plusieurs événements importants liés à la question de Taïwan et aux revendications chinoises en mer de Chine du sud. Le premier fut « le consensus de 1992, » reconnaissant «  l’existence d’une seule Chine ».

Conclu à Singapour à l’époque où l’Île et le Continent n’avaient aucune relation directe, il fut le résultat d’échanges et de négociations entre deux associations formellement « non gouvernementales », l’ARATS (Association for Relations across the Taiwan Strait) pour la Chine et la S.E.F (Strait Exchange Foundation) pour Taiwan.

Aujourd’hui, l’arrivée au pouvoir dans l’Île d’une mouvance de rupture avec Pékin, qui ne reconnaît pas « le consensus de 92 » est au cœur des tensions dans le Détroit.

Le deuxième marqueur important de la politique internationale de Jiang, fut la première crise des missiles (et 3e crise dans le Détroit de Taïwan). Elle eut lieu en 1995 et 1996, alors que Jiang Zemin était à la fois chef de l’État et président de la Commission Militaire Centrale. Les tensions qui eurent une réplique brutale du 4 au 7 août 2022, s’exprimèrent par des salves de missiles tirés contre la partie ouest du détroit de Taïwan le long des côtes chinoises.

Signal envoyé à Washington et Taipei par Pékin qui jugeait (déjà) que les deux transgressaient l’esprit des « trois communiqués  », les missiles furent tirés en 1995 et 1996 après la visite aux États-Unis de Lee Teng-hui, successeur à la présidence taïwanaise de Jiang Jingguo, fils de Tchang Kai-chek, et, à l’approche, dans l’Île, d’élections présidentielles au suffrage universel direct, dont le Parti jugeait qu’elles contribuaient à éloigner l’Île du Continent et transgressaient le dogme de « l’existence d’une seule Chine  ».
Le troisième événement montrant que, sous ses dehors affables privilégiant la séduction et l’apparence du dialogue, Jiang à l’époque n°1 du Parti où il avait été mis en place par Deng, auquel il avait aussi succédé à la tête de la Commission Militaire Centrale, ne perdait pas de vue les revendications territoriales « historiques » de la Chine, fut la publication le 25 février 1992, de la « Loi sur les mers territoriales et leurs zones contigües ».

Dans son Article 2, elle stipule que « Le territoire territorial de la RPC comprend le continent et ses îles au large, Taïwan et les divers îles affiliées, l’île Diaoyu (Senkaku), les îles Penghu (Pescadores), les îles Dongsha (Pratas), les îles Xisha, (Paracel), les Nansha (Spratly) et d’autres îles appartenant à la République populaire de Chine. »

[3Il y eut d’autre visites de Jiang aux États-Unis, notamment à l’invitation de Georges Bush en 2002. Mais celle de 1997, huit années après Tian An-men à l’invitation de Bill Clinton et trois semaines après la restitution de Hong Kong, était la première d’un président chinois après 12 années d’interruption des échanges.

Jiang s’était rendu à Honolulu, Williamsburg, Washington, Philadelphie, New York, Boston et Los Angeles et avait prononcé des discours à New-York, Harvard et Los Angeles. Dans une ambiance parfois tendue par des manifestations en faveur du Tibet et des droits de l’homme, certains de ces gestes furent remarqués. Le premier fut la libération en novembre 1997 pour raison médicale, au moment de la visite de Jiang du dissident Wei Jingsheng, expulsé aux États-Unis.

En déposant une gerbe de fleurs au monument des victimes de la 2e guerre mondiale à Hawaï, il a rappelé que la Chine et les États-Unis étaient alliés durant le conflit. En sonnant la cloche d’ouverture des transactions à la bourse de New York, il a, 4 années avant son admission à l’OMC, confirmé que la Chine était engagée sans équivoque dans la voie des réformes économiques.

Mais la crise des missiles de 1995 – 1996 ayant enflammé les relations sino-américaines à propos de Taïwan restait un puissant ferment de discorde. Le point le plus sensible restait l’insistance répétée de Pékin de ne pas renoncer à l’usage de la force, tout en accusant Washington d’inciter l’Île à se séparer du Continent.


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