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Comment la Chine accueille l’élection de Trump

La manière dont Pékin accueille l’élection de Donald Trump dépend des secteurs considérés. En Asie, la Chine préfère la souplesse du Républicain à Hillary Clinton considérée comme un obstacle à sa montée en puissance. En matière commerciale Pékin craint le protectionnisme du nouveau locataire de la Maison Blanche. Dans les deux cas la rémanence des situations et des rapports de force pourraient interdire les embardées intempestives.

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En Chine, les médias officiels qui ont réagi à chaud à l’élection de Donald Trump, ont saisi la bonne aubaine pour critiquer la démocratie en Amérique et faire l’apologie du système chinois. Pour le Quotidien du Peuple l’élection du 45e président des États-Unis signalait une « démocratie malade ». Quant à l’agence Xinhua, elle enfonçait le clou en indiquant que le système américain produisait des crises et une inconstance contrastant avec la stabilité du régime autoritaire chinois.

A l’appui de ses critiques des systèmes démocratiques, le Parti avait, le 8 novembre, à la veille du vote, diffusé sur la télévision d’État une enquête effectuée auprès de résidents américains en Chine choisis pour leur détestation des deux candidats et du système politique américain.

En arrière plan de la pensée politique des dirigeants chinois flotte toujours l’appréciation de Lee Kuan Yew, ancien premier ministre de Singapour, modèle de despotisme éclairé que Pékin rêve d’imiter : « l’exubérance des systèmes démocratiques conduit à l’indiscipline et au désordre qui sont autant d’obstacles au développement d’un pays ».

Enfin, l’incapacité dont ont fait preuve les médias, commentateurs et sondages occidentaux à prévoir l’élection de Trump exprimant la colère anti-système du peuple américain, conforte les doutes chinois sur la représentativité réelle de la démocratie parlementaire.

La réaction est en phase avec les critiques récurrentes que la Chine adresse à Washington à la suite des émeutes raciales qui émaillent l’actualité américaine. A chaque fois les brutalités de la police contre les noirs autorisent Pékin à réfuter les critiques que la Maison Blanche et les ONG américaines des droits de l’homme formulent régulièrement sur l’état des droits individuels en Chine.

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Au-delà des appréciations à viseur unique dont beaucoup sont à usage interne, de la démocratie par le Parti communiste, on reconnaîtra, en examinant les résultats de l’élection du point de vue des stricts intérêts chinois, que l’appréciation par le Politburo des avantages et des inconvénients de la présence de Trump à la Maison Blanche pourrait varier selon les domaines examinés.

En Asie, le repli américain serait comblé par la Chine.

Considérant la rivalité sino-américaine en Asie, premier centre d’intérêt international du régime chinois, les déclarations de retrait de Donald Trump qui dit vouloir réduire l’empreinte militaire américaine et fermer des bases du Pacifique occidental, empruntant une trajectoire diamétralement opposée à l’activisme du « pivot stratégique » initié dans le années 2010 - 2011 par Hillary Clinton, ne peuvent que réjouir Pékin.

Dans ce contexte, la Chine pourrait, sous réserve d’une bienveillance du Congrès, ce qui, compte tenu des lobbies et de la rémanence des alliances, est loin d’être acquis, attendre plus de souplesse de la part de Washington en mer de Chine du sud, sur la question de Taïwan et sur la péninsule coréenne.

Il y aurait un corollaire à cette moindre réactivité militaire de Washington, elle aussi profitable à Pékin : les petits pays riverains du Pacifique occidental, notamment le Vietnam, le Myanmar, les Philippines, la Malaisie, l’Indonésie perdraient confiance dans l’appui de l’Amérique jugée inconstante et se rangeraient dans la mouvance de Pékin à la suite de Manille et Kuala Lumpur qui, déjà, ont commencé à migrer de l’orbite américaine vers la Chine. Ils y rejoindraient le Laos et le Cambodge déjà complètement subjugués par les aides financières généreusement distribués par Pékin. Lire : Obama à Hanoi. Colère froide de la Chine. Incertitudes asiatiques

La rémanence des alliances.

Pour autant, le cas de Taïwan ayant à sa tête une présidente d’obédience indépendantiste, récemment élue par un scrutin démocratique exemplaire laissée à elle-même à l’ombre du Dragon constituera la plus difficile quadrature du cercle de Donald Trump. La puissance des lobbies républicains et démocrates pro-Taïwanais qui, au Congrès, appuient l’Île sans faiblir depuis le milieu des années 50 gênera beaucoup toute tentative du nouveau président pour réduire l’implication de Washington dans le détroit de Taïwan.

Une autre difficulté liée à la complexité des situations et des alliances qui, celle là, ferait surgir une contradiction pour la Chine, pourrait être qu’après un retrait de Washington, Pékin se retrouve en Asie du nord-est, seule face à la montée du nationalisme japonais sans le modérateur américain.

En dépit des idées reçues qui glosent sur le militarisme de Washington, la présence au Japon des bases aéronavales américaines agit, depuis 1945, comme un modérateur des velléités agressives anti-chinoises de Tokyo.

Les tensions nationalistes qui accompagnent l’émergence de la Chine et les frustrations japonaises sont elles-mêmes alimentées par l’obsession chinoise de tenir le Japon dans la position subalterne de l’éternel repentant, moralement non qualifié pour tenir un rôle d’influence en Asie et entrer dans le cercle des membres permanents du conseil de sécurité [1].

La force des intérêts financiers et commerciaux.

A côté des bénéfices évoqués ci-dessus, cependant à remettre dans la longue perspective des alliances militaires américaines sur lesquelles Donald Trump pourrait éprouver quelques difficultés à revenir, Pékin mesure aussi les risques portés par le puissant protectionnisme assez souvent anti-chinois véhiculé par le nouveau locataire de la Maison Blanche.

Dans un contexte où la valeur annuelle des relations commerciales Chine – États-Unis frôlait les 600 Mds de $ en 2015 (en baisse sérieuse en 2016, où elle pourrait se contracter à 500 Mds de $), néanmoins toujours un adjuvant incontestable de la croissance chinoise alimentée par un vaste surplus commercial chinois de 360 Mds de $, les décisions de Trump d’augmenter massivement les taxes douanières ciblant les exportations chinoises aux États-Unis, porteraient un coup sévère à la santé d’une partie de l’industrie, notamment celle qui tarde à se réformer . Il faut donc s’attendre à un regain des attaques légales américaines contre le dumping chinois sur l’acier et l’aluminium.

Mais ici comme ailleurs, les choix à l’emporte pièce seront difficiles. La Chine pourrait, dans les pires des cas, déclencher des représailles, par exemple en freinant ses exportations de métaux rares ou encore en réduisant ses achats de Boeing et en entravant l’accès à son marché des automobiles américaines, accordant sa préférence aux marques allemandes et japonaises.

Autre difficulté pour Donald Trump, une partie des exportations chinoises en Amérique sont en réalité des produits fabriqués par des entreprises américaines délocalisées en Chine. Leur exportation aux États-Unis profite aux groupes américains qui maîtrisent souvent la conception des produits et en détiennent la licence pour laquelle ils touchent des royalties. Surtout, le processus de délocalisation enrichit les banquiers de Wall Street dont les prêts facilitent la migration des entreprises et leur installation en Chine.

Enfin, la valeur des bons du trésor américains (1200 Mds de $ en juillet 2016, représentant environ 20% de la dette extérieure américaine) détenus par la Chine constituent en réalité un prêt aux consommateurs US qui achètent les produits de l’industrie chinoise domestique ou étrangère délocalisée.

Elle maintient une valeur du dollar élevée profitant à la fois aux exportations chinoises et à la Réserve Fédérale, le tout produisant une rémanence financière lourde interdisant les embardées intempestives, telle que, par exemple, une décision de Pékin de se débarrasser brutalement, et par représailles, des bons du trésor américains. Une manœuvre qui porterait tort à la fois à la Chine et aux États-Unis.

Note(s) :

[1Le bouleversement stratégique induit par l’émergence de la Chine remet en question les équilibres anciens, où la Chine était diplomatiquement inerte et où Washington assurait, avec ses deux assesseurs japonais et sud-coréen, le rôle d’arbitre et de garant de la sécurité régionale.

Mais il y a plus : dans un contexte dominé par des raidissements nationalistes, où le partage du « leadership » asiatique entre Tokyo et Pékin paraît une hypothèse encore utopique, ces ébranlements sont perçus à Tokyo comme les prémisses de l’abaissement du Japon. Tandis que l’imaginaire chinois, qui se place toujours en position centrale, ne se résigne pas à abandonner son rôle de puissance tutélaire.

Naturellement le Japon redouble d’efforts pour rehausser son statut international et se libérer peu à peu du carcan dans lequel l’avait enfermé sa défaite. D’où ses initiatives pour donner un rôle plus vaste aux forces d’auto-défense et pour entrer dans le cercle des membres permanents du Conseil de Sécurité.

Cette évolution, somme toute naturelle et peut-être irréversible, induit en Chine des réactions à ce point violentes que la simple logique stratégique peine à les expliquer. Dans ce contexte d’exacerbation nationaliste et contrairement aux idées reçues, la présence militaire américaine directement liée au pouvoir nippon a une vertu modératrice que les analystes chinois reconnaissent volontiers en privé.


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