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1er octobre, une fête nationale sous forte tension stratégique

Cette année le 1er octobre, 69e anniversaire de l’avènement de la République Populaire a été dominé par ce qui ressemble de plus en plus à un glissement de la relation sino-américaine vers une guerre froide tout de même d’un type particulier.

Les tensions montent en effet sur fond d’angoisse du basculement de la situation vers une guerre ouverte alors que, contrairement, au désert des échanges de la guerre froide des années 1945 – 1989 – (en 1972, ils étaient de 4,5 Mds de $ entre les États-Unis et la Russie) la querelle commerciale en cours entre Washington et Pékin est un inflexible bras de fer où l’Amérique tente de corriger les déséquilibres d’une relation autrement plus dense dont l’ampleur atteint près de 650 Mds de $ et où le déficit américain se montait en 2017 à près de 380 Mds de $.

Ajoutons qu’en dépit des controverses, les échanges n’ont pas baissé de manière significative, le déficit commercial américain en août 2018 ayant déjà atteint 260 Mds de $.

Mais alors qu’à Pékin 150 000 personnes assistaient à la cérémonie des couleurs sur la place Tian An men, suivant l’hommage rendu la veille au monument des martyrs par le président Xi Jinping, la distance entre les deux premières puissances de la planète s’apprêtait à se creuser brutalement non plus seulement à propos des différends commerciaux, mais autour d’un vaste éventail de sujets dessinant une rivalité intégrale prenant racine dans la nature opposée des deux systèmes politiques.

Mike Pence accuse la Chine qui se cabre.

Le 4 octobre, le Vice-président américain Pence prononçait à l’Institut Hudson un discours qui, quel que soit l’angle de vue, restera par sa brutalité directe et argumentée comme un jalon funeste et peut-être un tournant majeur des relation sino-américaines.

Durant 50 minutes, tout en répétant à plusieurs reprises la volonté de Washington d’entretenir des relations de franche et loyale compétition avec Pékin, - « la compétition ne doit pas nécessairement être hostile » pouvant aller jusqu’à la coopération pour dénucléariser la péninsule coréenne - Pence a dénoncé les stratégies chinoises directes ou voilées, énumérant une longue théorie d’accusations y compris l’ingérence dans la politique intérieure et les élections américaines.

A Pékin, la diatribe de Pence toucha un nerf sensible, provoquant, le 5 octobre, une réaction crispée du porte-parole exhortant Washington à « cesser de jeter de l’huile sur le feu et d’aggraver les tensions ».

Le discours de Pence exprimait d’abord l’amertume de l’Amérique s’estimant mal payée de ses efforts historiques pour avoir protégé la Chine durant le « siècle d’humiliations » et avoir reconnu son régime en 1979, accompagnant par ses investissements sa montée en puissance.

Mais il y a plus, en affirmant avec force la volonté de Washington de riposter systématiquement aux stratégies jugées hostiles de Pékin, Pence traduisait l’angoisse des élites américaines tous partis confondus, face à la montée d’un rival à l’envergure planétaire ayant la capacité de contester son hégémonie, « remettant en cause sa supériorité stratégique et cherchant à modifier l’ordre international à son profit ».

Couvrant un large éventail de sujets, la charge anti chinoise dont Pence dit qu’elle s’appuie sur des faits observables et des renseignements des services américains, allait du déséquilibre du commerce bilatéral provoqué par les pratiques déloyales de fermeture du marché chinois et de captations de technologies à l’accusation d’ingérence politique cherchant à dresser contre D. Trump les électeurs de sa base par des articles de propagande publiés dans les journaux locaux de l’Iowa.

La diatribe évoquait également les « pièges de la dette » dans lesquels « les Nouvelles routes de la Soie » plongeaient les pays en mal de liquidités acceptant de céder au mirage chinois. Surtout elle prononçait une violente attaque contre la tendance orwellienne du régime mettant sous le boisseau toute pensée dissidente, les religions, l’information et la recherche académique.

Au passage, la charge reprenait les déclarations des ONG des droits accusant la Chine de réprimer la culture tibétaine et celles du « Congrès Mondial des Ouïghour » dénonçant l’emprisonnement massif, sous prétexte de lutte contre le terrorisme et le séparatisme, de centaines de milliers de Musulmans au Xinjiang.

Telle était le niveau très hostile de l’ambiance bilatérale que Pence allait, par son discours exprimer 3 jours après, quand, le 30 septembre, eut lieu en mer de Chine du sud au voisinage des récifs Gaven dans les Spratlys, l’incident naval dont les médias internationaux ont amplement rendu compte, entre le destroyer lance missiles américain USS Decatur et le destroyer chinois Lanzhou de la classe Luyang qui, s’approchant de sa route à moins de 50 m, l’obligea à manœuvrer pour éviter une collision.

Incident naval dans les Spratlys.

Le ministère de la défense chinois justifia sa manœuvre en arguant que Pékin défendait ses eaux territoriales et exhorta Washington à « cesser ses provocations qui menacent la paix et la stabilité ainsi que les relations sino-américaines ».

Quelques observateurs comme Jack Ma, fondateur d’Alibaba, connaissant l’état des tensions bilatérales mirent aussitôt en garde contre les risques d’un dérapage militaire. Récemment Graham Allison, professeur de sciences politiques à Harvard, auteur du livre « Destined for war » rappelait dans une interview par Bloomberg, la théorie très en vogue aux États-Unis du « piège de Thucydide » selon laquelle « la guerre devint inévitable dés lors que la montée en puissance d’Athènes provoqua une anxiété à Sparte ».

Dans son livre, Allison explique notamment qu’au cours des 5 derniers siècles, sur les 16 fois où un potentiel rival a remis en cause une puissance établie, la guerre a éclaté 12 fois. Aujourd’hui, alors que Xi Jinping et Trump ont tous deux promis de restaurer la grandeur de leur pays, les perspectives du 17e cas de contestation d’une puissance établie par une autre sont donc inquiétantes.

« A moins » dit Alison « que Pékin révise ses ambitions à la baisse ou que Washington accepte d’être rétrogradé à la 2e place sur le théâtre pacifique, le risque existe qu’une querelle commerciale, une cyber-attaque ou un incident maritime dégénère en un conflit ouvert.

Il est un fait que, compte tenu de l’incompatibilité irrémédiable des positions de Washington et Pékin, si un accrochage armé devait se produire, les risques qu’il ait lieu dans ces zones contestées des Spratlys ou dans le détroit de Taïwan sont plus importants qu’ailleurs. (Pour une mise en perspective des incidents navals voir : Entre raison, émotions et rivalités stratégiques, la marine chinoise participe à RIMPAC.).

Elargissement des îlots et droit de la mer.

En réalité le passage du destroyer américain n’était pas « innocent » même si les Américains l’appellent ainsi selon le terme consacré du droit de la mer, s’agissant d’un bâtiment naviguant sans intention particulière à travers les eaux territoriales d’un autre pays. Le passage du Decatur près des récifs Gaven avait pour but de contester l’élargissement artificiel des îlots par la Chine par lequel elle s’arroge des droits maritimes indus.

Au regard du droit de la mer, les Gaven récifs ou hauts fonds recouverts à marée haute ne peuvent en effet, ni générer des eaux territoriales (12 nautiques), ni une ZEE (200 nautiques).
Voir L’arbitrage introduit par la République des Philippines contre la République populaire de Chine.

Mais, il y a plus. Les missions dites FONops (freedom of navigation operation) récemment également conduites par l’Australie, la France et le Royaume Uni, ont aussi pour but de dénier à la Chine sont droit à revendiquer la souveraineté sur toute la mer de Chine du sud, grande comme la Méditerranée (+ de 3 millions de km2), les prétentions chinoises étant délimités par une « ligne en 9 traits » dont il faut se souvenir qu’elle date de la Chine de Tchang Kai-chek en 1943.

L’antériorité de cette revendication indique que la Chine qui a signé la convention sur le droit de la mer n’a pas l’intention de l’appliquer, car sa réflexion stratégique ne s’appuie pas sur le droit international mais sur une conception impériale, historique et culturelle de son territoire.

Sur « la ligne en 9 traits », le jugement de 2016 de la Cour que La Haye est sans appel. En substance, il statue que les droits historiques de la Chine sur des ressources des eaux de la mer de Chine méridionale ont été éteints étant donné qu’ils étaient incompatibles avec les zones économiques exclusives prévues par la Convention de Montego Bay.

*

Au-delà des actuelles tensions, les progrès de la domination territoriale chinoise en mer de Chine du sud autour d’îlots bétonnés et dotés d’équipements militaires modernes, matérialise la conquête rampante par Pékin de la totalité de l’espace maritime au sud de Hainan.

Lors de son audition au Congrès avant sa prise de fonction en mai dernier, l’amiral Davidson à la tête du Commandement de la Zone Indopacifique avait mis en garde la Commission affirmant que la Chine était désormais « capable de contrôler toute la mer de Chine du sud dans tous les scénarios à l’exception de celui d’un conflit armé ouvert. »

Ces tensions s’ajoutent à celles nées de la dernière initiative de D. Trump de sanctionner le système militaire chinois après ses achats d’équipements militaires russes à l’origine de l’annulation du dialogue entre les états-majors prévus en septembre. Le dialogue de sécurité sino-américain est régulièrement la première victime des crispations entre Washington dont les origines sont diverses. En 2010, la Chine avait par exemple annulé toutes les réunions pendant un an après une livraison d’armes américaines à Taïwan.

D’autres tensions viendront après la décision prise en septembre par Washington de vendre 330 millions de $ des pièces de F-16, C-130 et F-5 qui complètent la dernière livraison de 1,7 Mds de $ de juin 2017, comprenant des torpilles marines et des radars de veille avancée, premier accroc à l’ambiance de bonnes relations entre Xi Jinping et D. Trump. Depuis la discorde n’a fait que s’aggraver.


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