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›› Politique intérieure

Zhang Sizhi, la voix des avocats chinois s’est éteinte

Un héritage à consolider.

Zhang Sizhi avait eu raison de demeurer sur ses gardes. Dès 2012, il s’alarme des premiers signes d’un durcissement politique. Au mois de février, est instaurée l’obligation, pour les avocats, de jurer fidélité au Parti et au système socialiste lors de leur prestation de serment.

Au mois d’août, est publié, dans l’édition internationale du Quotidien du peuple, un éditorial [6] identifiant les « avocats protecteurs des droits de l’homme » comme l’un des groupes que les Etats-Unis infiltrent pour créer les conditions d’un « changement » en Chine. En 2013 à l’Élysée, Zhang Sizhi dresse un bilan lucide de la situation devant Paul Jean-Ortiz [7], le sherpa du président Hollande.

En mai 2014, Pu Zhiqiang est arrêté. Zhang Sizhi revient en première ligne pour défendre son protégé. Début septembre, à la Représentation de l’Union européenne à Pékin, il encourage les conseillers politiques des pays européens et de leurs « pays-amis » à hausser le ton et à ne jamais confondre la Chine, qu’il aime, avec le PCC. Peu après, il est victime d’une thrombose cérébrale dont il ne se relèvera pas.

La maladie de Zhang Sizhi coïncide avec l’affaiblissement de la profession d’avocat. En novembre 2014, le Parti lève toute ambiguïté sur le statut du droit. Il consacre un texte entier au principe du « gouvernement par la loi » [8].

On peut y lire que « la direction du Parti et l’État de droit socialiste sont une seule et même chose. L’État de droit socialiste doit affirmer la direction du Parti et la direction du Parti doit s’appuyer sur l’État de droit socialiste. » Autrement dit, la position dominante du Parti est le point de départ et le point d’aboutissement de « l’État de droit socialiste ». Rien ne peut lui être opposé. Il est désormais interdit d’espérer, en retournant les règles contre celui qui les édicte, obtenir des avancées par le droit.

En juillet 2015, sont appréhendés, selon les estimations, 300 à 700 défenseurs et assistants juridiques. Si les interpellations d’avocats ne sont pas chose nouvelle en Chine, elles prennent alors un tour massif. De surcroît, elles ont lieu dans 24 provinces sur 33 ; difficile de ne pas y voir une opération coordonnée à l’échelon national.

Elles sont accompagnées par une offensive médiatique. Dès le 11 juillet, alors que les premières arrestations viennent d’être documentées, le Quotidien du peuple publie un long article intitulé « Révélations sur ce qui se trame derrière les affaires de “protection des droits” » [9] pour jeter l’opprobre sur les avocats et ternir leur réputation. D’autres suivront.

Avec la disparition de Zhang Sizhi, les avocats chinois ont perdu leur figure tutélaire. Nul ne doute qu’il continuera de les inspirer. Nombreux sont ceux qui travaillent dans l’ombre, comme il le leur a appris. Ils sauront prolonger et renouveler un héritage intellectuel qui dépasse, de loin, la seule question de la défense en Chine populaire. Réclamer une place pour l’avocat dans le procès judiciaire n’est pas un sujet technique ; c’est se battre pour qu’existe un premier contre-pouvoir.

Le combat de Zhang Sizhi était ancré dans le concret, la défense des prévenus. Il n’en était pas moins sous-tendu par une vision politique, ce dont il ne se défendait pas. Rendre les individus à leur liberté, dans un pays riche d’intelligence pourvu qu’on ne le gouverne pas par l’abêtissement. La forme même de son combat était politique : refus du coup d’éclat et de la violence, qu’elle soit physique ou verbale, pour rompre enfin avec la martyrologie révolutionnaire. En cela, ce vieux monsieur a apporté à tous ceux qui ont eu la chance de l’entendre, de le lire et de le côtoyer la fraîcheur d’un idéalisme sans naïveté.

Outre les personnes mentionnées dans cet article, je remercie Wang Ling d’avoir déposé en mon nom une gerbe de fleurs blanches à l’enterrement de Zhang Sizhi ; Séverine Bardon pour la relecture attentive de cet article et François Danjou d’avoir immédiatement accepté de publier cet hommage à Zhang Sizhi.

Note(s) :

[6人民日报海外版, « 中国真正的挑战是未来5-10年 », 2 août 2012, consulté le 25 avril 2017.

[7Voir, pour plus de précisions sur ce sinologue-ambassadeur, les mémoires de Claude Martin, La diplomatie n’est pas un dîner de gala, Éditions de l’Aube, 2018.


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