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›› Société

Wukan, « le village de la démocratie » à nouveau sur la sellette

Depuis juin, constatant que ses revendications foncières n’avaient pas été satisfaites la population de Wukan s’est à nouveau insurgée.

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Alors qu’au parlement européen à Strasbourg, le Dalai Lama, considéré par Pékin comme un dangereux séparatiste et boudé par la « realpolitik française », enjoint à l’UE de ne pas abandonner « la critique constructive de la Chine », Wukan (petit village de pêcheurs de 12 000 habitants à 150 km à l’est de Hong Kong, au bord de la mer de Chine) que les médias occidentaux présentent comme le « village chinois de la démocratie », est à nouveau en effervescence depuis juin dernier.

L’affaire mérite attention pour deux raisons.

Elle est un symbole du glissement répressif du pouvoir moins tolérant face aux revendications pour plus de droits de la base ; elle survient alors que dans toute la Chine se déroulent les élections locales – les seules au scrutin direct - pour le renouvellement quinquennal de plus de 2 millions de membres des assemblées populaires des quelques 43 000 cantons, par un corps électoral de 900 millions de Chinois.

Avec les élections pour les comités villageois (Cunmin Weihuanhui 村民委 员会) organisées tous les trois ans dans plus de 650 000 villages, également au suffrage direct, elles sont, en théorie, les seules occasions pour les citoyens chinois de participer sans intermédiaire à la vie politique du pays.

Or les pressions en cours contre les représentants élus ou les candidats indépendants aux prochains scrutins, non seulement à Wukan mais dans de nombreux autres cantons ne disent rien de bon sur l’avenir d’élections libres en Chine. Elles contredisent en tous cas les déclarations de façade de Zhang Dejiang, président de l’ANP qui, le 9 mars dernier, à l’ouverture de la période électorale qui durera jusqu’en 2017, avait annoncé que le régime s’appliquait à promouvoir un système démocratique.

La question foncière toujours au cœur des troubles.

Le maire très populaire de Wukan, Lin Zuluan élu en février 2012 a été arrêté et condamné pour corruption. L’incident survenu à la veille d’une manifestation des villageois a mis le feu aux poudres.

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Le tumulte à Wukan qui vient de s’exacerber en affrontements violents entre les villageois et la police, survient après cinq années plutôt calmes ayant suivi les violentes émeutes de décembre 2011. On se souvient que les échauffourées avaient été déclenchées par la disparition, puis la mort suspecte de Xue Jinbo très actif opposant à un projet immobilier de 55 hectares de terres attenantes au village dont la moitié était cultivée en usufruit par un comité de fermiers.

Le 21 décembre 2011, un article du Global Times exprimait le jugement critique de Pékin par le truchement d’une interview de Chan Kin Man Directeur des études sur la société civile de l’Université de chinoise de Hong Kong : les responsables locaux avaient commis deux erreurs en ne reconnaissant pas le comité villageois pourtant élu démocratiquement et en jetant le voile sur les circonstances très suspectes de la mort de Xue Jinbo (un des 5 protestataires enlevés par des auxiliaires de police) dont tout indique qu’il n’est pas décédé d’une crise cardiaque, mais à la suite de violences policières.

La paix civile était revenue quand les autorités promirent une enquête et une autopsie. Par la suite l’apaisement avait été conforté par l’élection à la tête du comité villageois, reconnue par le pouvoir, en février 2012 de Lin Zuluan, le plus actif défenseur des droits du village.

Le durcissement répressif du pouvoir.

A la mi-septembre, le village de Wukan était encerclé par la police après plusieurs mois de manifestations et une répression policière ayant mis sous les verrous 13 villageois.

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Il reste que 5 années plus tard, les villageois, estimant ne pas avoir obtenu satisfaction sur leurs revendications foncières, ont relancé la protestation. Mais, cette fois, ils se sont heurtés à un pouvoir central durci, peu disposé à laisser se développer la sécession rebelle dans laquelle s’était enfermé le village déserté par des forces de police prudentes qui obéissaient aux consignes de la province d’éviter les heurts directs.

La crise s’est brutalement exacerbée le 18 juin, quand Lin Zuluan a été arrêté pour corruption à la veille d’une manifestation et contraint à une confession publique télévisée dont à Wukan personne n’a cru à la sincérité. Sa condamnation à 3 ans de prison et à une forte amende le 8 septembre lors d’une audience placée sous haute surveillance a mis le feu aux poudres.

Tournant le dos à la prudence policière d’il y a 5 ans, la police est à nouveau intervenue le 13 septembre après trois mois de protestations et plusieurs mises en garde à la population. 13 activistes ont été mis sous les verrous, tandis que pendant 7 heures des villageois lançaient des briques sur la police qui ripostait avec des gaz lacrymogènes et des tirs de balles en caoutchouc.

Signe que le changement de tactique vient de la tête du régime, le Global Times qui, en 2011 stigmatisait les « erreurs des cadres locaux », argumentait cette fois sur les « influences néfastes des médias étrangers ». En haussant l’analyse d’un étage on perçoit par la comparaison avec 2011 - une année avant l’accession de Xin Jinping aux commandes de la Chine -, un conflit entre les convictions de l’ancien n°1 à Canton Wang Yang et l’actuelle direction politique du régime.

Divergences politiques et mauvais effet d’image.

Quand il était n°1 dans la province de Canton, après des premières échauffourées violentes, Wang Yang avait géré la crise de Wukan de 2011 avec beaucoup de souplesse. En 2016, la méthode s’est durcie. Cette divergence d’approche avait peut-être coûté à Wang Yang sa place au Comité Permanent.

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Alors qu’en 2011, ce dernier s’était signalé par son esprit d’ouverture aux idées de dialogue et son modernisme politique qui prônait la « libération des esprits », épine dorsale de la manière dont l’affaire avait été gérée par la province en 2011, cette fois le pouvoir semble animé par le souci d’éviter toute contagion du « syndrome » démocratique, espérant que la force de la répression décourage les futurs candidats aux révoltes, aux yeux du pouvoir bien plus dangereuses que les contestations sociales.

Avec le recul, on comprend pourquoi Wang Yang qui, en 2011 était parmi les candidats les plus probables au Comité Permanent, cœur politique du régime, n’est aujourd’hui que le n°17 de l’appareil qui semble plus que jamais décidé à ne prendre aucun risque politique.

Alors que la lumière n’a pas été faite sur la réalité de la corruption de Lin, dans un contexte où la rumeur dit que les promoteurs immobiliers auraient arrosé de nombreux villageois pour monnayer le droit à disposer des terres sans contraintes, les autorités locales affirment avoir restitué une partie des parcelles à l’usage des villageois. Dans ce contexte, la libération de Lin réclamée par les manifestants, n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour.

Enfin, les plus graves conséquences politiques des incidents sont peut-être les doutes qui naissent sur l’impartialité politique de la lutte contre les prévaricateurs, alors que s’exacerbe la défiance contre les représentants du pouvoir que certains accusent d’user des méthodes de « voyous » allant jusqu’à l’enlèvement et les aveux publics forcés.

Depuis Hong Kong en pleine transe démocratique aux relents anti-chinois véhiculés par la part la plus jeune de la population et qui, en 2015, fut soumise aux épisodes d’enlèvements de maisons d’édition dont les livres indisposaient le pouvoir, on observe les événements sans indulgence pour le régime. Pékin le sait et réagit brutalement.

Le 15 septembre, 5 journalistes de la R.A.S envoyés du South China Morning Post et du Ming Pao ont été attaqués et expulsés par des auxiliaires de la police, alors qu’ils menaient une enquête auprès des villageois toujours encerclés par les forces de l’ordre.

Lire aussi :
- La démocratie directe et le défi des révoltes paysannes
- Les élections libres, les micro-blogs et les hésitations du Parti


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