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›› Taiwan

Tempête autour d’un échange téléphonique

Le 2 décembre, Donald Trump a longuement répondu à Tsai Ing-wen qui le félicitait de sa victoire. Ce faisant elle réagissait aux pressions chinoises qui tentent de limiter sa marge de manœuvre diplomatique. En répondant à son appel, Trump a violé un tabou diplomatique vieux de 37 ans. Pékin a réagi avec placidité, mais n’en est pas moins inquiet. A cours des semaines à venir avant l’investiture de Trump, le Politburo consacrera tous ses efforts à veiller à ce qu’une fois en fonction, le « dérapage » ne se reproduise pas.

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La galaxie de la média sphère, des politologues, stratèges, commentateurs et diplomates du département d’État est en effervescence depuis que, le vendredi 2 décembre dernier, Donald Trump a longuement répondu à Tsai Ing-wen qui l’appelait pour le féliciter de sa victoire.

A l’occasion, il a allègrement piétiné un tabou diplomatique américain vieux de 37 ans [1] qui, pour ménager la susceptibilité chinoise et la stabilité des relations sino-américaines, interdisait toute initiative pouvant conférer au pouvoir à Taïpei la moindre légitimité politique internationale.

Peu après, Trump qui prendra officiellement ses fonctions le 20 janvier 2017, a rajouté à la perplexité des observateurs par un « twitt » soulignant l’incohérence d’une situation où les Etats-Unis vendaient des armes de premier rang à l’Île tandis que le futur président devrait s’interdire d’accepter les félicitations de Tsai Ing-wen.

Pour faire bonne mesure, la conversation qui, selon l’équipe de Trump a également porté sur les relations économiques, les questions de sécurité et la marge diplomatique de l’Île que Tsai a demandé à Trump de garantir face à Pékin, a été suivie par d’autres « twitt » où le futur président reprenait ses critiques anti-chinoises de sa campagne, fustigeant la militarisation de la mer de Chine et le protectionnisme commercial de Pékin.

L’analyse qui suit examine les réactions chinoises, américaines et taïwanaises à l’initiative de Trump. Elle focalise sur la placidité de Pékin assortie d’une fermeté contrôlée ; sur les tentations extrêmes des néo-conservateurs symbolisées par les intentions de John Bolton, un des candidats au poste de Secrétaire d’État ; et sur le dilemme taïwanais à qui Pékin, enragé par la montée du sentiment identitaire dans l’Île, applique une politique de pressions brutales qui laisse peu de marge diplomatique à Tsai Ing-wen.

La fermeté impassible de Pékin cache son inquiétude.

Kissinger qui avait rencontré Xi Jinping à Pékin le 2 décembre, le jour même de l’appel de Tsai à Trump, s’est dit impressionné par le calme de la réaction du régime chinois.

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Le Politburo avait, un moment, pu espérer que les promesses de retrait stratégique du candidat Trump allégeraient les tensions sino-américaines en Asie, laissant le champ libre à sa manoeuvre d’influence ponctuée par de vastes projets commerciaux autour de ses ambitions d’annexion de toute la mer de Chine du sud. Mais aujourd’hui il est soudain confronté, sur un sujet historiquement et politiquement ultra-sensible, à la brutalité erratique du futur chef de l’exécutif américain.

La secousse est d’autant plus déconcertante que la sortie de route, s’éloignant des discours convenus, met à jour la contradiction d’une situation où l’exécutif taïwanais élu démocratiquement est ostracisé par l’autoritarisme univoque du régime chinois au motif que la présidente taïwanaise refuse d’endosser le catéchisme sur l’existence d’une seule Chine.

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Même si la sobriété des réactions ne le laisse pas paraître, pour la direction politique du régime chinois, le sujet a la sensibilité d’un explosif à court retard. Face à ce type de provocation, les ripostes tentent en général de rester modérées, gardant ouvertes toutes les options. Dans ce cas précis, comme tous les observateurs, le Bureau Politique calcule la part de l’errance mal calculée aggravée par l’impréparation diplomatique.

Il s’interroge sur la capacité de la future Maison Blanche à réellement bousculer le fragile équilibre du Détroit, dont il faut tout de même rappeler qu’il est à la fois déjà gravement compromis par la montée du sentiment identitaire à Taïwan et par les ripostes inverses de la Chine qui tentent de subjuguer l’Île par la puissance des relations commerciales.

En attendant d’y voir plus clair, après une protestation officielle « solennelle » rappelant le 5 décembre qu’il n’y avait « qu’une seule Chine sur terre et que Taïwan était une part inaliénable du territoire chinois », la machine politique a réagi sur deux registres classiques. Celui de l’édulcoration et celui de la fermeté sans acrimonie.

Assistant à la célébration aux États-Unis du 50e anniversaire du Comité pour les relations sino-américaine, Kissinger, vieil ami de la Chine qui fut à l’origine du rapprochement sino-américain par Nixon en 1972, a, le 5 décembre dernier, exprimé son admiration pour la maîtrise de Pékin face à l’incident.

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Après avoir fait porter la responsabilité de l’incident sur le machiavélisme de Tsai Ing-wen ayant manipulé Trump, le Ministre des affaires étrangères Wang Yi s’exprimant sur la chaîne Phoenix TV de Hong Kong a jugé que l’initiative du futur président n’était pas en mesure de modifier une politique que les Etats-Unis avaient appliquée depuis près de 40 ans. Après quoi, il a durci son discours en rappelant que « le principe d’une seule Chine » était la « pierre angulaire de la relation sino-américaine » et que Pékin ne tolèrerait pas qu’il soit remis en question ».

Le mardi 6 décembre, un article de l’édition internationale du Quotidien du Peuple signé de Jia Xiudong, chercheur à l’Institut des Etudes Internationales, 中国国际问题研究所, directement sous la coupe du Waijiaobu, faisait allusion au ressort national-populiste de la victoire de Trump et donnait au futur président une leçon de retenue stratégique : « créer des problèmes avec la Chine, n’aidera pas à résoudre les problèmes internes aux Etats-Unis ; (de même), attiser les tensions de la relation sino-américaine ne contribuera pas à restaurer la puissance des Etats-Unis ». Le ton reprenait celui de Lu Kang, porte parole du MAE insistant sur les nécessaires efforts des deux parties pour respecter les principes de la relation, condition a t-il dit, de sa stabilité et de son efficacité pour les deux partenaires, sur le mode « gagnant-gagnant ».

Profondes divergences entre Démocrates et Républicains.

Aux États-Unis, les réactions n’ont, on s’en doute, pas été aussi uniformes. Les démocrates ont presque unanimement condamné ce qu’ils considèrent au mieux comme le résultat d’une ignorance diplomatique, au pire comme une nouvelle errance incohérente propre à déstabiliser les fragiles équilibres du Détroit et aggraver les difficultés de la relation sino-américaine.

Pour les plus vindicatifs, Trump est accusé de ne pas comprendre les conséquences de son attitude radicalement en rupture avec la sophistication raffinée de la diplomatie américaine en Asie. Au point, dit Chris Murphy sénateur du Connecticut, que ses errements d’une diplomatie conduite sans préparation et à l’inspiration du moment pourraient conduire à la guerre avec la Chine.

En revanche nombre de Républicains se sont ralliés à la brusquerie de Trump dont ils disent comme Ted Cruz, son rival le plus acharné lors de la primaire, qu’elle est un progrès, comparée aux faux semblants d’Obama. Alors que le futur président laisse planer le doute sur ses intentions futures – précisant cependant que l’initiative de la conversation téléphonique venait de Tsai -, l’état d’esprit d’une partie des Républicains partagés entre le doute et l’approbation anti-chinoise est peut-être le mieux résumée par Ari Fleisher ancien secrétaire de presse de Georges Bush dont il faut rappeler qu’en dépit de son appartenance républicaine, il avait refusé de voter pour Trump.

Dans ce qu’il considère comme une bizarrerie diplomatique, Fleisher s’est plaint de n’avoir, quand il était en fonction, jamais pu mentionner le « gouvernement de Taïwan » qui devait, subtilité sémantique destinée à ménager la Chine, être désigné comme le « gouvernement à Taïwan ».

L’épisode de la conversation téléphonique de Trump semble avoir eu sur lui l’effet d’un exutoire ayant compensé des années de frustration durant lesquelles il avait été contraint à une prudence diplomatique déplacée. Pour autant, preuve qu’il continue de se méfier du futur président, Fleisher a ajouté « j’approuve l’initiative dès lors qu’elle est destinée à modifier le statuquo. Mais j’espère seulement qu’elle était réfléchie. » La remarque laissait entendre que Trump avait été peut-être manipulé par Tsai Ing-wen en acceptant de se prêter à un jeu qu’il ne comprenait pas.

Il reste que chez les conservateurs, à côté des sceptiques désarçonnés par le style et le cheminement erratique, certains qui considérent que le temps est venu de durcir le ton face à la Chine, sont sans réserve sur la ligne Trump. Ils espèrent que la conversation téléphonique sera suivie d’initiatives concrètes ayant un réel effet de bascule sur les relations dans le Détroit. Daniel Blumenthal Directeur des Etudes asiatiques au très conservateur American Enterprise Institute considère que l’actuelle politique de Washington est déconnectée des réalités de l’Île.

Il estime que l’initiative Trump répondant longuement à Tsai était « moralement et stratégiquement correcte », car elle pouvait contribuer à alléger l’étau d’isolement dans lequel Pékin maintient la nouvelle direction politique taïwanaise.

Le machiavélisme de John Bolton.

John Bolton ancien ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU a imaginé de faire pression sur la Chine en usant de la question de Taïwan comme levier pour freiner les revendications territoires de Pékin en mer de Chine du sud.

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Plus encore, John Bolton, l’ancien représentant de Washington à l’ONU proche des néo-conservateurs, l’un des pressentis par Trump pour le poste sensible de secrétaire d’État a, dans un article paru dans le Wall Street Journal en janvier dernier, préconisé 4 mesures susceptibles de modifier radicalement la perception des stratégies de Washington à l’égard de l’Île.

Tout en sachant que le retournement aurait l’inconvénient majeur de provoquer une dangereuse fracture difficile à réparer dans la relation sino-américaine, Bolton, avait suggéré 1) de recevoir des officiels taïwanais au Département d’État ; 2) de rehausser le statut de l’Institut Américain à Taipei (AIT) au niveau d’une véritable mission diplomatique ; 3) d’inviter officiellement le président taïwanais à Washington ; 4) d’autoriser les visites officielles à Taïwan des membres du Département d’État.

Pour mesurer l’impact probable sur les relations sino-américaines d’une telle stratégie dont le but serait, selon Bolton, de faire peser sur Pékin la menace d’un resserrement des liens entre Washington et Taipei en riposte aux avancées chinoises en Mer de Chine du sud, il faut se souvenir que la manœuvre serait en contradiction flagrante avec le communiqué conjoint du 1er janvier 1979 signé par Washington et Pékin lors de l’établissement des relations diplomatiques sino-américaines.

Par ce texte les États-Unis reconnaissaient en effet que « le Gouvernement de la République Populaire de Chine était le seul gouvernement légal de la Chine » et acceptaient la position chinoise selon laquelle « il n’y avait qu’une seule Chine et que Taïwan était une partie de la Chine. »

Mais la mouvance des conservateurs qui accuse Obama d’inertie face aux empiètements chinois en Asie su Sud-est, n’en a cure. Pour obliger Pékin à reculer en mer de Chine du sud, elle est prête à jouer avec le feu et faire peser la menace d’une escalade progressive dans le Détroit jusqu’au reniement du communiqué conjoint et au rétablissement des relations officielles avec Taipei. Pour Bolton, s’il est vrai que Nixon avait en son temps eu raison de « jouer la carte chinoise » contre Moscou, le temps est aujourd’hui de « jouer la carte taïwanaise contre Pékin ».

Il n’est pas certain qu’à Taipei on apprécie d’être ainsi considéré comme une monnaie d’échange et un levier de la stratégie américaine dans le Pacifique occidental. Pour l’heure, en tous cas, à Taïwan où la présidente a maintes fois répété qu’elle n’avait pas l’intention de bousculer le statuquo, on se félicite que les calculs de Bolton ne soient pas à l’ordre du jour.

Note(s) :

[1Le 1er janvier 1979, 28 mois après la mort de Mao, en pleine brouille sino-soviétique (en 1980, 11 années après le conflit frontalier sur l’Oussouri, la Chine boycottait les JO de Moscou), alors que la guerre froide battait son plein et au moment où Deng Xiaoping initiait la politique d’ouverture en Chine, Washington effectuait un virage stratégique de grande ampleur en reconnaissant la République Populaire de Chine et en coupant ses relations diplomatiques avec Taiwan.

Le 10 avril 1979, le Président Carter fit adopter par le Congrès le « Taiwan Relations Act (T.R.A) », créant une obligation de droit interne imposée à la Maison Blanche d’exercer une vigilance stratégique dans le Détroit destinée à dissuader toute agression militaire directe de l’Île par la Chine. Le T.R.A comporte également l’autorisation de développer des relations informelles avec l’Île, notamment culturelles et commerciales par le truchement de l’Institut Américain de Taiwan, une institution de droit privé à but non lucratif, ayant des bureaux à Washington à Taipei et Kaohsiung et autorisée à délivrer des visas et des passeports.


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