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Le 31 juillet on apprenait que Xu Zhongbo commissaire politique et Li Yuchao, commandant opérationnel, les deux généraux à la tête de la composante missiles de l’APL, ayant une capacité nucléaire stratégique, avaient été relevés de leur fonction et remplacés. Le changement a eu lieu à l’issue d’une période de près de cinq mois durant laquelle les deux avaient disparu de l’espace public.
Au milieu de ce nouvel épisode d’opacité qui fait suite à la relève, fin juillet, du MAE Qin Gang lui aussi disparu durant plusieurs mois avant d’être destitué, les commentaires explicatifs vont bon train.
L’éventail des analyses va de la volonté de réaffirmer le contrôle politique sur une composante cruciale de la stratégie nucléaire chinoise, élément essentiel de la question taiwanaise destiné à tenir à distance une intervention américaine, jusqu’à la mise au pas de généraux réticents à abandonner la particularité indépendante de la filière que Xi Jinping entend intégrer dans une conception interarmées plus vaste.
Mais, si on croise les meilleures sources du South China Morning Post et du transfuge de la marine Yao Cheng refugié aux États-Unis en 2016, il apparait que la principale différence avec la relève de Qin Gang, pourrait bien être le souci de remise en ordre éthique d’une composante jusque-là protégée, mais toujours traversée par une très grave corruption.
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Le 31 juillet, les médias officiel chinois ont annoncé la nomination à la tête de la 2e artillerie missiles des Généraux Xu Xisheng 徐西盛, 59 ans, nouveau commissaire politique et Wang Houbin 王厚斌, 62 ans, nouveau commandant opérationnel.
La désignation simultanée de deux officiers généraux ne venant pas du sérail de l’artillerie nucléaire, le jour même de leur promotion au rang de général, est une surprise. Après la destitution brutale de Qin Gang, le MAE à peine nommé, la séquence encore une fois enveloppée de mystère signale une insolite précipitation dans la gestion des postes à haute responsabilité.
Elle survient après que leurs prédécesseurs, en fonction depuis peu, les généraux Xu Zhongbo, 63 ans et Li Yuchao, 61ans, respectivement nommés par Xi Jinping lui-même en 2020 et 2022, tous deux membres du Comite Central, n’étaient pas apparus en public depuis avril 2023.
Tout comme la secousse de la destitution brutale de Qin Gang il y a moins de deux semaines elle-même entourée d’une épaisse brume de secret, ce mouvement de personnels suscite une avalanche de commentaires.
Corruption.
Bousculant la hiérarchie à la tête d’un des maillons les plus importants de la stratégie nucléaire chinoise directement impliquée dans les effervescences explosives de la question taiwanaise avec pour mission de tenir à distance une intervention américaine, les relèves seraient d’abord, selon les médias de Hong Kong, une sanction contre la corruption avérée de Li Yuchao 李玉超, nº1 de la 2e artillerie, au milieu d’un jeu de « chaises musicales » de hauts responsables militaires.
L’ancien commandant de la force, seulement nommé par Xi Jinping en janvier 2022 aurait été pris début avril 2023, dans une « charrette » de corrompus en même temps que son nº2 Liu Gangbin et Zhang Zhenzhong, l’ancien chef d’état-major du centre de lancement spatial de Xichang, prédécesseur de Liu jusqu’en mars 2022, date à laquelle il avait été nommé nº2 de l’état-major général de la Commission Militaire Centrale.
Ce n’est pas tout. Une plongée dans l’histoire récente de l’artillerie missile documentée par le South China Morning Post du 28 juillet, complétée par les révélations de Yao Cheng ancien officier de marine, transfuge aux États-Unis en 2016, cité par Voice Of America (VOA), révèle un possible désordre et de graves manquements éthiques des responsables.
Ces derniers auraient laissé fuiter contre des pots de vin, des informations confidentielles vers des contractants industriels intéressés par les gros investissements de la filière pour la modernisation des lanceurs et la construction des nouveaux silos.
Ainsi, selon une source chinoise proche de la CMC, Wu Guohua ancien nº2 de la force décédé le 4 juin 2023, se serait suicidé, officiellement pour « raisons personnelles et familiales. »
Certes depuis 2014 et les condamnations de Xu Caihou et Guo Boxiong (lire : Coup de balai à la tête de l’APL & Rectifications dans l’APL. Droit, morale et efficacité des forces. Lutte contre la corruption et purge politique), le PCC exerce un contrôle serré de l’APL, mais il n’a pas la capacité omnisciente de tout superviser.
En réalité, malgré les purges et les réformes, les scandales de corruption semblent être tout aussi courants au sein de l’armée que dans le reste du parti, mais, dit James Palmer dans un article de Foreign Policy du 1er août, avec des conséquences potentiellement dévastatrices pour la sécurité nationale.
« Des ponts ou des écoles mal conçus en raison de fonds détournés ou de normes de mauvaise qualité comme au Sichuan en 2008, représentent des dangers mortels ; mais subtiliser par exemple les fonds de maintenance des missiles entraînant des ratés dans les salves d’attaques ou de ripostes en cas de conflit pourrait être à l’origine de déboires stratégiques graves menaçant la survie même du PCC. »
Malaise entre le commandement de la force et le pouvoir politique.

Wang Houbin, à gauche nouveau commandant de la force vient de la marine ; Xu Xisheng, le nouveau commissaire politique issu de l’Armée de l’air, a une longue expérience de supervision politique des forces dans l’armée de l’air à Pékin et à Nankin.
Mais preuve que leur affectation était marquée par la précipitation et l’urgence d’un jeu de chaises musicales dont la fréquence est préoccupante, les deux ont reçu leur nouvelle mission, le jour même de leur promotion ensemble au rang de général trois étoiles.
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Une autre série de commentaires notent, en référence au « coup de sang » de Prigozhine en Russie (lire : Prigozhine. L’ombre du chaos), la prévalence donnée par Xi Jinping à la loyauté absolue avant l’expertise. Ce choix est attesté par les nouvelles affectations au sommet de l’artillerie missiles d’officiers sans expérience de la filière, comme Wang Houbin venant de la marine et Xu Xisheng, ancien de l’armée de l’air.
La primauté accordée à la fidélité s’exprime encore par le fait que le nouveau commissaire politique Xu Xisheng, ancien Commissaire de l’armée de l’air de la Région Militaire de Pékin et de l’armée de l’air du « Théâtre opérationnel Centre », de trois ans plus jeune que le nouveau commandant de la force, est aussi mieux placé que lui dans la hiérarchie de l’appareil au sein duquel il est, contrairement à son collègue, membre de plein droit du nouveau Comité Central.
A côté des grilles d’analyse des récentes mutations par la lutte contre la corruption et par celle de l’exigence de loyauté politique, il en existe une troisième. Celle de la réticence de certains responsables opposés à l’évolution d’une force créée en 2016, jusqu’ici indépendante, mais destinée à s’intégrer dans un ensemble plus vaste.
Cette mouvance rebelle serait opposée à la refonte de la dissuasion nucléaire incorporant la 2e artillerie dans un dispositif interarmées plus large – qui expliquerait l’arrivée à sa tête d’officiers généraux de la marine et de l’armée de l’air -.
Quelles que soient les raisons des fréquentes mutations de personnels pourtant nommés par Xi Jinping lui-même, l’instabilité de l’encadrement au sommet traduit un hiatus entre le pouvoir politique et la hiérarchie de la force missiles dont l’ampleur et la capacité opérationnelle ont récemment augmenté de manière spectaculaire.
Montée en puissance rapide des capacités de dissuasion nucléaire.

Le Dongfeng-17 (东风-17) répertorié à l’OTAN sous le sigle CH-SS-22 est un Missile balistique mobile de moyenne portée à combustible solide spécialement conçu pour être embarqué sur le lanceur hypersonique DF-ZF.
Officiellement dévoilé lors du défilé du 1er octobre 2019, lors des cérémonies des 70 ans, le « couplage » DF-17 - DF-ZF fonctionne d’une manière différente des missiles balistiques normaux.
Après une première phase balistique normale, au lieu de rentrer dans l’atmosphère par une trajectoire orthogonale, le système imaginé pour les Américains après 1945 par l’ingénieur autrichien et ancien « nazi » Eugen Sänger, « glisse » sur sa surface comme une pierre plate lancée sur l’eau à faible incidence.
Selon les renseignements du Pentagone, le système testé par la Chine à 9 reprises depuis 2014, aurait une portée de 1800 à 2500 km et pourrait atteindre la vitesse de Mach 10. La vélocité nouvelle et l’imprévisibilité de la trajectoire pose un défi aux systèmes anti-missiles.
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Alors que les derniers tirs autour de Taïwan ont clairement signalé une nette amélioration de la précision des tirs, le nombre de missiles et de têtes nucléaires de l’arsenal a notablement augmenté.
Selon le Pentagone, les vastes champs de silos de missiles intercontinentaux dans la région désertique du Xinjiang, indiquent que Pékin dispose désormais de plus de lanceurs que les États-Unis.
En même temps, le développement accéléré du programme nucléaire militaire laisse penser que, d’ici 2035, l’APL disposera de plus de 1 500 ogives nucléaires opérationnelles, contre seulement 400 aujourd’hui.
Le rythme de montée en puissance est conforme aux déclarations du Livre Blanc de 2019. « La Force missiles de l’APL augmente la crédibilité de ses capacités de dissuasion et de contre-attaque nucléaires, en améliorant sa puissance de frappe et sa précision aux portées intermédiaires et à longue distance. ».