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Origine de la pandémie. L’Australie face aux puissantes pressions de Pékin. Quelles perspectives pour une OMS indépendante ?

Quelles perspectives pour une enquête objective ?

A la vérité tout indique que plus le temps passe, plus s’éloigne la probabilité d’une enquête extérieure indépendante exigée par Scott Morrison depuis avril dernier, mais dont l’idée a été acceptée par 110 pays.

Pour autant, l’éventualité est d’autant plus improbable que la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Australie et que Canberra, agissant dans le sillage de Washington mais sans autre appui efficace réel en dépit des sympathies formelles exprimées, est sévèrement handicapé par la dépendance presque exclusive de ses exportations au marché chinois.

Le 25 mai dernier, lors de la réunion de l’ANP, le très nationaliste ministre des Affaires étrangères Wang Yi avait clairement mis en garde « Si l’Australie se rangeait aux côtés de Washington, son économie subirait un coup fatal ». La brutalité de la menace semblait avoir pour but de dissuader d’éventuels appuis exprimés plus ouvertement en faveur de Canberra.

Plus encore, la proximité de l’OMS avec Pékin (lire : L’influence du parti communiste chinois sur l’OMS.), arrière-plan des tensions en cours entre la Chine et l’Australie qui contrastent avec l’excellence des relations entretenues jusqu’en 2010 [1], rend illusoire l’idée d’une enquête indépendante.

Certes, Pékin, alerté par le nombre de pays favorables à une enquête, a autorisé des missions d’experts en Chine pour perpétuer l’idée qu’à terme elle accepterait une enquête officielle indépendante, mais toutes furent étroitement contrôlées par l’appareil. Certaines ne furent que formelles, les envoyés de l’OMS n’ayant eu aucune liberté de manœuvre.

Le 29 janvier, au Directeur Général venu lui rendre visite, Xi Jinping expliqua qu’il en avait accepté le principe. Pour lui « l’épidémie était le diable -疫情是魔鬼 qu’on ne pouvait laisser se cacher 我们不能让魔鬼藏匿 ».

Mais son nationalisme acceptait mal que la Chine pourrait avoir besoin d’aide. Pour lui « Une mission internationale d’évaluation de la situation devait être « objective, 客观, transparente 公正, et sereine 冷静理性地评估. » Voir le site du Parti en Chinois.

Compromissions avec la Chine. L’OMS au pied du mur.

Le 2 novembre le New-York Times publiait une analyse très fouillée sur le sujet décrivant une « impasse géopolitique » alors que la pandémie a repris de plus belle aux États-Unis et en Europe.

« L’autoritarisme chinois s’applique à tenir l’OMS sous contrôle ; Le Président Trump qui a retiré les États-Unis de l’Organisation, paraît aujourd’hui décidé à la détruire, tandis que les Européens s’efforcent de la réformer et de lui injecter un plus grand sens des responsabilités ».

Chacun aura cependant compris que, depuis l’élection de Joe Biden, les prémisses de l’analyse vue de Washington ont toutes les chances d’évoluer hors de l’actuel cul-de-sac dans laquelle l’Organisation est enfermée. Le plus probable est que les États-Unis décideront d’y retourner. Il serait cependant étonnant que la nouvelle Maison Blanche n’y mette pas quelques conditions inspirées des Européens.

Il n’en reste pas moins que la quête pour déterminer l’origine du virus entraînera l’analyse collatérale des compromissions de l’OMS avec la Chine. C’est là que le bât blesse.

S’il est vrai que l’investigation sur l’origine du virus progresse en apparence, pour le moment, les points clés acceptés par l’OMS sont ceux des scientifiques chinois. Tous fidèles à l’hypothèse d’une origine de l’épidémie et d’un « patient zéro » liés au marché de Wuhan.

Si d’autres hypothèses existent, elles restent toutes enveloppées de secret ou au mieux minimisées. Une analyse plus détaillée des rapports de l’époque montre en effet que 4 des cinq premiers malades identifiés n’avaient pas eu de contact avec le marché.

Alors que le Dr Tedros, Directeur Général de l’OMS avait, contre l’évidence, félicité la Chine pour, dit-il, « ses actions ayant contribué à réduire la contagion à d’autres pays », le 30 janvier, après la réunion du Comité sanitaire, il a fini par déclarer l’état d’urgence, en dépit de réticences du représentant chinois. Il a tout de même attendu le 11 mars, soit 48 jours après le confinement par la Chine de toute la province du Hubei pour déclarer l’état de pandémie mondiale.

Les concessions à la Chine du Dr Tedros se sont clairement exprimées quand, à la mi-février, la mission de l’OMS venue à Pékin pour négocier l’organisation d’une évaluation, accepta de ne pas enquêter sur la réponse initiale de Pékin à l’épidémie. Plus encore, le premier réflexe de l’appareil fut de ne pas autoriser que la mission se rende à Wuhan.

Finalement, après avoir concédé que, sans un déplacement à Wuhan, l’enquête n’aurait pas de sens, Pékin autorisa une mission dans la ville encore confinée composée de trois représentants chinois et trois experts internationaux. Mais ils n’y restèrent que 24 heures, visitèrent deux hôpitaux et ne furent pas autorisés à se rendre au marché.

A l’issue, en revanche, la rédaction du rapport dura trois jours, tant les représentants chinois pesaient chaque mot au trébuchet de critères essentiellement politiques.

Pour Lawrence O. Gostin, psychologue de l’Université de New-York, expert légal de santé publique, l’expérience fut une « mascarade ». Selon, les membres chinois de la mission, elle fut cependant tout ce qu’ils réussirent à négocier avec Xi Jinping.

En juillet, l’embargo politique était déjà passé au stade du déni pur et simple. Deux autres experts de l’OMS venus en Chine passèrent deux semaines en quarantaine et ne furent pas autorisés à se rendre à Wuhan. L’administration leur fit savoir que, désormais, la position officielle du gouvernement chinois était qu’il fallait enquêter en Europe, à la suite de la découverte de traces du virus dans les eaux usées.

Aucun de ces cafouillages ne furent rendus publics par l’OMS qui, au contraire ne communiquait officiellement que sur les « progrès » des investigations.

Compte tenu de ce qui précède, il est facile de prévoir que, sans un appui international plus efficace, la perspective que l’OMS et la Chine acceptent d’organiser une mission indépendante d’investigation sur l’origine du virus telle que le réclame Canberra est extrêmement faible.

Quant à la réforme de l’Organisation visant à plus grande indépendance, elle ne sera possible qu’à la condition que les pays soucieux d’une gestion efficace et objective des épidémies sans intrusion politique extérieure unissent leurs énergies.

La dissymétrie des systèmes politiques.

En haussant l’analyse d’un étage, on constate aussi que les tensions entre la Chine et l’Australie mettent en évidence l’asymétrie des capacités d’influence et d’action née du contraste des systèmes politiques.

Entre celui de la Chine articulé au centralisme politique inflexible et celui de démocraties sans cesse tiraillées entre des courants contraires dont le Parti communiste chinois dit qu’ils sont à l’origine du chaos dont les démocraties modernes sont de plus en plus nombreuses à souffrir.

Sans compter que dans les démocraties, les changements de majorité produisent parfois des variations de trajectoires stratégique alors qu’en Chine depuis au moins l’avènement du parti communiste en 1949, le but, reste - il est vrai avec de considérables déboires conjoncturels – le retour de puissance du pays à une place centrale dans le concert des nations.

Cette fois, Pékin, qui porte son projet de renaissance au nom des caractéristiques chinoises opposées aux valeurs occidentales, ne manque pas de critiquer le chaos des démocraties.

Lors de l’élection présidentielle américaine, la tête de l’appareil s’est abstenue de commenter le chaos des empoignades politiques et les réactions du président sortant rejetant le résultat des urnes. Mais les grands médias du régime ne se sont pas privés de décrire le désordre. Le 5 novembre le Global Times écrivait :

« L’anxiété, la suspicion et les troubles dans les villes américaines poussent apparemment la seule superpuissance global au chaos et à la tourmente, après l’une des courses électorales la plus meurtrière des temps modernes. »

*

Dans un article du 28 octobre dernier, paru dans Nikkei Asia, le Dr Priya Chacko politologue de l’Université d’Adelaïde revenait sur la fragilité des démocraties et plus particulièrement sur la faiblesse des positions de Scott Morrison.

Pour elle, la diplomatie du Premier Ministre, tiraillée à l’intérieur entre les forces contraires d’une bureaucratie partisane et divisée, gênée par son opportunisme politique, est vulnérable aux pressions de Pékin.

On ajoutera que, tirant profit de l’excessive dépendance des exportations australiennes au marché chinois – enjeu de politique intérieure au point que le consensus vertueux d’une relation à la Chine équilibrée est devenu difficile -, Xi Jinping dispose d’un levier de coercition contre lequel Canberra n’est pas en situation de se prémunir.

Note(s) :

[12010 fut l’année où le travailliste Kevin Rudd, sinologue et sinophile qui fut aussi ministre des Affaires, fut remplacé à la tête du gouvernement par Julia Gilard qui prôna aussitôt un rapprochement avec les États-Unis et une prise de distance avec Pékin.

Au cœur des controverses politique internes sur la politique étrangère de Canberra, le « Dialogue de sécurité quadrilateral » entre les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde. Initié en 2007 par le Japonais Shinzo Abe, appuyé par le vice-président américain Dick Cheney, il est en réalité dirigé contre la puissance montante de la Chine.

Mis sous le boisseau par l’effet de la détente entre la Chine, le Japon et l’Inde au cours des années 2008 - 2010, le dialogue reprit progressivement de la consistance à mesure que Pékin affirmait ses prétentions territoriales en mer de Chine du sud. Lors du sommet de l’ASEAN de 2017 à Manille, les 4 parties au dialogue décidèrent de le relancer.

Signe de la montée des tensions avec la Chine, entre 2017 et 2019, Tokyo, Washington, New-Delhi et Canberra ont tenu cinq sessions du dialogue. En mars 2020, la réunion fut consacrée à la pandémie à laquelle participèrent la Nouvelle-Zélande, la Corée du sud et le Vietnam.


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