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Feuille de route pour éviter « l’apocalypse »

Dangereuse volte-face de Washington et recommandations des sinologues.

En dépit de ses dénégations, la réalité est que les récentes attitudes de Washington donnent à Pékin le sentiment que l’Amérique abandonne l’ambiguïté stratégique.

Celle-ci était ancrée à la fois dans la contradiction entre le soutien à « une seule Chine  » et la poursuite de la vente d’équipements militaires à l’Île en vertu du « Taïwan Relations Act » et dans la nature incertaine de la riposte militaire de Washington en cas d’agression non provoquée.

Mais quand, le 23 mai 2022 à Tokyo, lors d’une conférence de presse tenue avec le PM Fumio Kishida en marge de la réunion du QUAD, Joe Biden, répondant à un journaliste avait affirmé qu’il engagerait des troupes au sol pour défende l’Île, il avait été contredit par des mises au point du Département d’État qui jugeait que la réponse du Président n’était pas conforme à la ligne stratégique de l’ambiguïté.

La réplique avait suscité une réponse très émotionnelle de Victor Gao, ancien interprète de Deng Xiaoping. La virulence souligne la sensibilité extrême de la question en Chine « Si les États-Unis disent qu’ils veulent défendre Taïwan… alors la Chine pour commencer mettra fin aux relations diplomatiques avec les États-Unis, puis elle reprendra la guerre civile inachevée » (…). « Et finalement, après la fin de la guerre, les États-Unis devront s’agenouiller pour implorer une nouvelle reconnaissance par la République populaire  ».


*

Quant aux États-Unis, leur gestion de couple « dissuasion – assurance  » n’est plus à la hauteur des enjeux. Par le passé, leur supériorité militaire pouvait à la fois rassurer l’Île et dissuader la Chine de l’attaquer, tandis que la fidélité affichée par la Maison Blanche à la politique d’une seule chine conformément à la déclaration de Shanghai de 1972, rassurait également Pékin.

Aujourd’hui, la montée en puissance militaire de l’APL et le récent abandon de l’ambiguïté stratégique par Joe Biden affaiblissent à la fois la capacité américaine de dissuader la Chine et celle d’imposer une retenue aux élans de rupture des Taïwanais.

Au cours des dernières années, s’accélérant après l’invasion russe de l’Ukraine, des représentants du Congrès et des commentateurs politiques ont en effet appelé à un engagement de défense américain clair et inconditionnel envers Taïwan, prônant une bascule de « l’ambiguïté  » vers « la clarté stratégique ».

Un des exemples récents de l’abandon de « l’ambiguïté  » fut l’invitation officielle de Hsiao Bi-khim, la représentante de Taïwan aux États-Unis, à la cérémonie d’investiture du Président Biden, le 20 janvier 2021.

Enfin, comble du radicalisme enflammé, propre à effacer toute assurance donnée à la Chine, dans une intervention au Sénat, un haut responsable du ministère de la Défense américain a laissé entendre que les États-Unis ne devraient jamais permettre à la RPC de contrôler Taïwan, car disait-il, cela rendrait impossible la défense des alliés américains en Asie.

Cette position a aussitôt été interprétée par la RPC comme le refus définitif de l’Amérique d’accepter la réunification avec l’Île, même pacifique.

Conscients que les conseils adressés à la Chine n’auront aucun effet, les auteurs les limitent à suggérer à Pékin de faire l’effort – en réalité très improbable dans l’état actuel de la relation - d’entamer un dialogue avec le pouvoir démocratiquement élu dans l’Île, même s’il est issu d’une mouvance de rupture qui ne reconnaît pas la « politique d’une seule Chine  ».

Aux deux autres acteurs, la note propose deux types de recommandations. Insistant d’abord sur la nécessité que Taipei et Washington clarifient leur intention de ne pas promouvoir l’indépendance de l’Île, elle suggère d’ajuster leurs moyens pour rehausser leur efficacité dissuasive et la qualité opérationnelle de leur défense.

Pour Taïwan : Améliorer ses défenses côtières, développer plus avant le concept de défense civile dans la profondeur et constituer des stocks d’armes et de munitions ainsi que des réserves logistiques en prévision des difficultés posées par la nature insulaire du théâtre d’assurer un approvisionnement efficace en cas de conflit.

Pour les États-Unis : Abandonner les démonstrations de forces inutiles par les groupes porte-avions de plus en plus vulnérables et les remplacer par une capacité anti-missiles longue distance ; en même temps augmenter le nombre de bases permanentes ou semi-permanentes – c’est en cours aux Philippines – ; et, tout en planifiant une riposte coordonnée avec les alliés, faire connaître à Pékin le coût économique et diplomatique d’une agression de l’Île.

L’autre volet des recommandations vise exclusivement les évolutions récentes de la stratégie américaine donnant de plus en plus l’image d’un parti-pris favorable aux tendances de rupture de l’Île.

En substance, pour contribuer efficacement au maintien de la paix dans le Détroit, les États-Unis devraient tenir les deux exigences du schéma « Dissuasion – Assurance  » et éviter le grand écart consistant à donner des signes de rapprochement avec Taïwan tout en clamant leur attachement à la «  politique d’une seule Chine  ».

Sur le volet Dissuasion : « Se concentrer plutôt sur des mesures opérationnelles qui rendent Taïwan et les forces américaines déployées en Asie plus fortes et plus résilientes  » ; sur le volet Assurance : « Les États-Unis devraient éviter les gestes politiques symboliques qui attisent inutilement la colère de Pékin . » (…)

« Cela signifie qu’à propos de Taïwan, les responsables américains, y compris les membres du Congrès devraient s’abstenir de faire des déclarations électoralistes avantageuses à court terme, en politique intérieure, mais stratégiquement préjudiciables à la stabilité du Détroit.  »

Le dernier point des recommandations fustige la stratégie en cours dite de clarification, tournant le dos à la posture d’ambiguïté. L’argument avance que dans la situation actuelle, la garantie explicite d’un engagement militaire aux côtés de Taïwan est non seulement inutile, mais nuisible.

Contredisant l’assurance donnée en 1979, à Pékin de « la reconnaissance d’une seule Chine », il donne le sentiment que, revenant aux années cinquante, l’Amérique entend rétablir l’ancienne alliance militaire avec la République de Chine (ROC) de Tchang Kai-chek.

Commentaire de Question Chine.

A l’été 2919, manifestation à Taïwan en soutien des démocrates de Hong Kong. En rapprochant les États-Unis de la Chine contre l’URSS, Kissinger a mal anticipé le surgissement de la démocratie dans l’Île et la prévalence marxiste- léniniste anti-occidentale à Pékin, ferment du rapprochement avec la Russie depuis le milieu des années quatre-vingt-dix.


*

Le retour des tensions dans le Détroit et le rapprochement anti-américain de Pékin et Moscou, portant tous deux une revendication autocrate clairement anti-occidentale, dessinent les limites de la « Realpolitik » d’Henri Kissinger.

Vue par lui comme un contrepied à l’URSS dont la Chine communiste d’après Mao a tiré parti pour apaiser ses relation avec l’Occident, la manœuvre tectonique faisait l’impasse sur la puissance des liberté individuelles, perturbatrices des équilibres du «  lGrand échiquier  » global, popularisé par Brezinski, un quart de siècle après le contre-pied de Kissinger.

Depuis la chute du mur de Berlin, quatre mois après la répression de Tian Anmen, ces aspirations privilégiant les libertés individuelles sont à l’œuvre dans les pays de l’ancien glacis soviétique en Europe Centrale et Orientale.

Aujourd’hui, cherchant à contenir les risques d’escalade dans le Détroit, les sages et méritoires recommandations de la note des sinologues doivent composer avec la carte sauvage de l’émergence des nuances démocratiques d’aspiration à plus de liberté, alors même qu’à rebours de la vision opportuniste de Kissinger, Pékin durcit sa position anti-occidentale aux côtés de Moscou.


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