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›› Politique intérieure

Du risque d’instrumentaliser la lutte contre l’épidémie à des fins politiques

Sous la surface de la lutte épidémique, une féroce bataille politique.

Suite à la réunion du bureau Politique du 17 mars, deux jours après la première explosion des cas à Shanghai [1] où le Parti prit la décision d’appliquer la politique du zéro-covid à toute la Chine, une mission d’inspection fut dépêchée à Shanghai pour y rencontrer le n°1 Li Qiang.

Ce n’est que deux semaines plus tard, après avoir trainé les pieds, que le Bureau Politique de la municipalité annonça la mise en place à Shanghai de confinements stricts. Le 31 mars, alors que les premiers mécontentements de la population commençait à s’exprimer, Ma Chunlei, 马春雷, le n°2 de la municipalité, acceptait les critiques de la commission d’inspection et reconnaissait que la réaction de la ville avait été trop lente.

Deux jours plus tard, c’était Sun Chunlan elle-même, n°12 du bureau politique, en charge de la lutte nationale contre la pandémie qui fut dépêchée en urgence à Shanghai alors qu’elle s’était déplacée dans la province du Jilin pour coordonner la réaction « zéro-covid » d’une résurgence de l’épidémie dans le nord-est.

Entre temps, des voix contraires s’étaient élevées. Le 26 mars, une semaine après la réunion du BP décrétant la stratégie d’éradication totale, Wu Fan (吴凡), le vice-doyen de l’Institut médical de l’Université de Fudan, affirmait que « Shanghai ne pouvait pas être en confinement total ».

Passant outre le « zéro-covid », arguant de l’importance économique de la ville, la prise de position rebelle à Xi Jinping avait réussi à s’imposer. Trois jours plus tard, le 29 mars, une autre offensive indisciplinée était même publiée depuis l’intérieur de la machine politique, dans le magazine Banyuetan (半月谈 – dialogues de la demi-lune), rattaché à Xinhua et au département central de la propagande.

L’article était l’indice que la controverse s’échauffait à la tête : « 没有疫情也连续搞大规模核酸检测 ? 抗疫资源不能如此浪费 - Réaliser en continu des tests d’acide nucléique à grande échelle sans épidémie ? Les ressources anti-épidémies ne peuvent pas être gaspillées (浪费) de cette façon ». Le corps de l’analyse avançait des arguments économiques de gaspillage des ressources, y compris la mobilisation excessive des fonctionnaires et des agents des forces de l’ordre.

La contre-offensive du centre est venue le 30 mars par Xinhua. Enjoignant d’appliquer sans relâche la politique du « zéro Covid dynamique », elle se voulait une mise au pas des cadres de Shanghai ayant tardé à appliquer les ordres de Pékin.

Sa conclusion était sans appel : « Plus la situation épidémique est grave, plus nous devons maintenir notre orientation stratégique et nous concentrer à la fois sur la lutte contre l’épidémie et le développement. (Mais) Notre politique générale reste le maintien de la stratégie de « zéro-Covid » 我们总体上就会向“动态清零”的目标逐渐迈进. » Et « la persévérance est la condition de la victoire. 坚持就是胜利. »

Pourtant, signe que les tensions politiques ne sont pas retombées et que les partisans du pragmatisme souple n’avaient pas rendu les armes, Alex Payette note que « trois jours après la mise en place du confinement total de la ville (封城, fengcheng), Sun Xiaofeng (孙小丰), médecin-chef adjoint de l’hôpital Huashan affilié à l’Université Fudan et membre de la Conférence consultative du Peuple de Shanghai, faisait circuler en ligne une liste de propositions à l’usage de la municipalité pour empêcher le verrouillage total de la ville. ». Elles étaient calquées sur les stratégies adoptées par la plupart des pays occidentaux.

Constatant que sur les 103 000 cas détectés journellement en Chine (0,007% de la population chinoise) avant le 2 avril (en France, où les mesures strictes ont été relâchées, le pic des détections nouvelles eut lieu le 25 janvier 2022, avec 500 000 cas – 0,8% de la population), Sun suggérait d’abord l’auto-isolement à domicile pour les asymptomatiques. La méthode dit-il, permettait d’économiser les personnels et était plus efficace que les regroupements massifs concentrationnaires sans hygiène des centres de confinement collectifs ;

Comme le Docteur Zhang Wenhong (张文宏), lui aussi de l’hôpital Huashan où il était Directeur du département des maladies contagieuses, mais aujourd’hui relevé de ses fonctions (lire notre article qui exprimes ses convictions de souplesse pragmatique : Vaccination et stratégie du « zéro covid ». De la virologie à la propagande politique), Sun conseillait aussi de ne plus mettre la société à l’arrêt, de reprendre le rythme normal des activités et d’adopter pour les troisièmes et quatrièmes doses, le vaccin Pfizer plus efficace que le Chinois.

Effets collatéraux et répressions.

En attendant, le confinement strict et obstiné a continué. Ponctué de brutalités policières et de débordements de cruauté à l’égard des animaux domestiques éliminés sans ménagement, il provoque des conséquences sociales et économiques dont les effets sont préoccupants.

En avril, l’indice des directeurs d’achat des services de Caixin était au plus bas depuis 2005. Récemment Sally Su, une analyste de la Chambre de Commerce britannique indiquait que nombre d’entreprises avaient retardé ou réduit leurs investissements en raison des blocages à Shanghai. En arrière-plan commençait à monter l’inquiétude que la rigidité des confinements soit étendue à Pékin.

Attisées par la fixité politique du n°1 qui fait de sa stratégie fermée un marqueur de sa crédibilité politique avec l’espoir qu’une victoire complète sur les actuelles résurgences consoliderait son pouvoir en vue du 20e Congrès, les batailles politiques commencent à percer l’opacité de l’appareil. Premier et catastrophique dommage collatéral, la confiance entre le Centre et les autorités locales s’est effondrée.

Au point qu’en plus des renforts en personnels médicaux, à la fin mars, des forces de polices ont été mobilisées depuis toute la Chine, notamment du Shandong, pour mieux contrôler Shanghai en créant une structure policière parallèle à celle de la ville.

Simultanément, orchestrées par Chen Yixin (lire notre article : « Jusqu’à l’os ». Le féroce nettoyage politique de Chen Yixin.), le féroce secrétaire de Commission des Affaires légales, les répressions vont bon train. A la mi-avril, huit cadres du parti avaient été relevés de leurs fonction pour mauvaise gestion de l’épidémie. Tous étaient des cadres du parti en poste à Shanghai.

Il s’agit de Li Shuifei (李水飞), directeur général du service d’incendie et d’urgence de l’aéroport de Hongqiao ; Zhou Baoguo (周宝国), doyen de la branche du Parti du centre de santé mentale du district de Huangpu et Cai Yongqiang (蔡永强), Secrétaire du Parti de Beicaizhen (Pudong).

Li Qiang, 63 ans, secrétaire du Parti de Shanghai, actuel n°14 du Bureau Politique, qui espérait entrer au Comité Permanent, pourrait être un dommage collatéral de la séquence. Non pas qu’il ait fait partie des réticents à mettre en œuvre le « zéro-Covid ». Mais lui-même s’est heurté chez lui à une forte réticence de l’administration inquiète des conséquences pour la ville des fermetures extrêmes.

Au point que le Quotidien du Peuple publiait un article [2], reproduit le 7 avril dans le China Daily, pour fustiger les cadres qui « faisaient la planche » – manière imagée de désigner leur inertie (voir le § « lassitude et inertie » de notre article sur cette mentalité qui exprimait une fatigue de l’ambiance permanente de compétition régnant en Chine : Le très faible enthousiasme pour la « politique des trois enfants »).

Au moment où, au risque de créer une sévère secousse économique, Xi Jinping fait de la lutte implacable contre la résurgence de l’épidémie dans près d’une trentaine de villes un argument politique d’allégeance à sa personne en amont du 20e Congrès, l’allemand Joerg Wuttke, représentant de BSAF en Chine depuis 25 ans, élu en mai 2019 Président de la chambre de commerce de l’Union Européenne, exprimait une des plus brutales critiques de Xi Jinping jamais rendue publique.

Note(s) :

[1Le 5 avril, Shanghai (21 millions d’habitants) comptait moins de 80 000 cas, contre 169 000 en France. Début mai, il n’y avait que 170 000 cas dans 29 provinces chinoises, quand seulement en France, le nombre de nouveaux cas détectés atteignait 50 000.

[2越是防疫吃紧,越要摒弃“躺平”心态. Plus la prévention de l’épidémie est urgente, plus nous devons abandonner la mentalité de faire la planche. china.chinadaily.com.cn


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