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›› Editorial

Chine – Europe. Symbole d’un risque de dislocation globale, l’horizon de l’accord sur les investissements s’obscurcit

La mondialisation en question. Avis de rupture globale.

L’alchimie complexe des tensions révèle en réalité une discorde stratégique et systémique de fond.

En avril, un rapport signé par la présidente de la Commission Ursula Von de Leyen et Josp Borrell, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité soulignait que « L’UE et la Chine ont des divergences fondamentales, qu’il s’agisse de leurs systèmes économiques et de la gestion de la mondialisation, de la démocratie et des droits de l’Homme, ou de la manière de traiter avec les pays tiers ». Il ajoutait que « ces contrastes qui survivraient longtemps ne pouvaient pas être balayés sous le tapis ».

Le 5 mai, l’UE publiait avec le G.7 un long communiqué dont plusieurs points critiquaient sévèrement la Chine.

On y retrouvait, le rappel du droit international – référence aux revendications en mer de Chine du sud -, les manquements aux droits de l’Homme au Tibet et au Xinjiang, l’existence de vastes camps de rééducation des Ouïghour, la destruction des libertés à Hong Kong, la généralisation des pratiques commerciales coercitives, le viol de la propriété intellectuelle par des intrusions informatiques pirates et l’exclusion indue de Taïwan de l’OMC.

En Chine, la semonce du G7 ne passa pas inaperçue. Le 6 mai, le Global Times, présenta la déclaration comme une tentative des « 7 » pour réaffirmer leur prévalence stratégique en décrivant la Chine et la Russie comme des menaces. En amont de la réunion du Conseil de sécurité convoquée par Pékin qui en assure la présidence, le discours de l’appareil présenta le groupe des puissances les plus avancées comme les fossoyeurs du multilatéralisme.

Dans la foulée une image retouchée par le caricaturiste Wuhequlin circula sur les réseaux sociaux. Elle présentait les membres du G.7 revêtus de costumes et d’uniformes de l’époque de la guerre des Boxers, comme les héritiers des « Huit puissances » qui avaient martyrisé et dépecé la Chine eu XIXe siècle.

*

Alors que la pandémie remet en question la globalisation et la fluidité des chaînes de production délocalisée, Pékin et Moscou accentuent la fracture du monde. Se rapprochant encore plus, ils développent une stratégie commune de vaccination planétaire, d’abord dans le tiers-monde [2].

Dans ce contexte de tensions stratégiques qui montent, alors que l’OTAN déploie depuis le 3 mai en Bulgarie, au Montenegro, en Macédoine du Nord, en Géorgie et en Roumanie, l’exercice « Trojan Footprint 21 », impliquant, sous le nez de Moscou, à côté des forces spéciales américaines, l’Allemagne, l’Espagne, l’Ukraine et le Royaume-Uni, la planète s’engage dans un inquiétant processus de dislocation.

Dislocation ?

Faisant voler en éclats l’utopie de « mondialisation heureuse », s’ouvre sous nos yeux, au moins dans les secteurs des technologies de pointe, une ère de gaspillages, de doublons, de régressions, d’incompatibilités techniques et d’éclatement des standards portant le risque d’importants dommages industriels et commerciaux. La césure est déjà visible dans l’espace où tous les projets sont marqués par une sévère rivalité, qu’il s’agisse des stations spatiales, des bases permanentes sur la lune ou de l’exploration de Mars.

Alors que la Chine vient de mettre en orbite la première section de sa station spatiale indépendante, Moscou a, comme Washington, déclaré vouloir quitter l’ISS vieillissante et faire cavalier seul. En même temps, les deux envisagent une base lunaire permanente concurrente de celle des États-Unis. Tous rivalisent dans l’exploration de Mars, objet de la mission chinoise Tianwen, lancée en juillet 2020. Lire : Compétition spatiale autour de la « planète rouge »

Sur terre, dans le collimateur des concurrences, les semi-conducteurs, les technologies digitales, le gaz liquéfié, l’hydrogène comme source d’énergie et les métaux rares. Selon un état des lieux réalisé par les experts de Bruxelles dans ces secteurs, l’UE serait hautement dépendante de 137 produits sensibles, représentant 6% de la valeur totale importée dont 50% provient de Chine.

Un embargo tous azimuts perturbant les flux de données, les échanges de savoir-faire et les transferts de technologies infligerait sans doute un coup sévère à l’ambition innovatrice de Pékin, dont les conséquences sont difficiles à mesurer.

En même temps, la pénurie accélèrerait – c’est en cours - les efforts de R&D chinois, notamment dans le domaine des microprocesseurs. Enfin, le rapprochement Chine - Russie recèle un potentiel de représailles dans le secteur des métaux rares et du gaz naturel liquéfie où Moscou a créé des dépendances en Europe qui importe 39% de son gaz depuis la Russie.

Autre secteurs menacé, l’agro-alimentaire européen exportant annuellement 15 Mds d’€ en valeur vers la Chine et l’industrie automobile, un des principaux destinataires des IDE européens, notamment allemands, où il est évident que la rupture des flux et des chaînes de production partagées infligerait des dommages à tous les acteurs.

*

Pour revenir à l’origine immédiate de l’incendie qui se propage, lié au traitement que la Chine inflige aux Ouïghour - sujet autour duquel Pékin a réussi a rassembler une longue cohorte de soutiens -, les tensions Chine - Europe sont le symbole de la fracture géopolitique qui couve, mais dont l’ampleur dépasse largement la question du Xinjiang.

Lire : Controverses globales autour du traitement des Ouïghour. Pékin rallie un soutien hétéroclite et brouille la solidarité des musulmans.

L’utopie d’une monde unifié sous l’égide d’une gouvernance commune qui s’appliquerait à affronter de manière rationnelle les grands défis de la planète, allant des fractures nord-sud qui s’élargissent, à la sècheresse et au réchauffement climatique en passant par la démographie galopante et les mouvements migratoires, se heurte au surgissement de l’insistant « irrationnel » culturel évoqué par Raymond Aron dans « Paix et guerre entre les Nations (1962).

Pour lui qui s’inspirait de Thomas Hobbe (1588 – 1679), les relations internationales seront encore longtemps gouvernées non par le Droit, mais par la compétition de puissance et les émotions nationales, attisées par la « rivalité », la « défiance réciproque » et à la « fierté ». Une gamme de sentiments aujourd’hui cultivés jusqu’à l’exaltation par l’actuelle direction du régime, à laquelle, nombre de voix occidentales, répondent par une profonde défiance anti-chinoise, elle aussi sans nuance.

Note(s) :

[2En avril, les entreprises chinoises ont conclu des accords pour fabriquer plus de 260 millions de doses du vaccin russe Spoutnik V. Son utilisation, jugée efficace à plus de 91% par une étude du Lancet de février 2021, a été approuvée dans plus de 60 pays, dont un grand nombre de pays en développement tels que le Mexique, l’Inde et l’Argentine.

Les accords Chine - Russie témoignent de l’alignement des objectifs internationaux de vaccination de la Chine et de la Russie (lire :La vaste stratégie « enveloppante » des vaccins (Suite)). Le thème commun est l’aide apportée aux pays pauvre négligés par leurs partenaires occidentaux traditionnels accusés par Moscou et Pékin de thésauriser les doses alors que les pays pauvres en manquent.

Les accusations ne sont pas dénuées de fondement – l’Université de recherche privée Duke à Durham en Caroline du Nord, a récemment établi que le Canada, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande avaient acheté assez de doses pour vacciner plus de trois fois leur population, quand la grande majorité des pays n’en avait même pas assez pour en traiter 50%.

Mais, témoignant d’une ambiance globale délétère dominée par les postures et la défiance, Moscou et Pékin ont aussi accompagné leurs campagnes vaccinales par le dénigrement de Pfizer et Astra Zeneca, parfois même en manipulant à la hausse les chiffres des décès qui leurs seraient liés.


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