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La vaste stratégie « enveloppante » des vaccins (Suite)

Lire la première partie : L’instrumentalisation nationaliste de la course aux vaccins.

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La carte publiée par le Docteur Guillaume Zagury spécialiste de santé publique, montre, depuis la Chine où il travaille depuis 20 ans, la stratégie d’influence de Pékin par le biais de ses trois vaccins en Asie du Sud-est, au Moyen Orient et en Amérique Latine.

Elle éclaire la manœuvre de contournement de l’Occident par le « Sud » dont 25 pays sont les points d’application privilégiés, y compris la Turquie, membre de l’OTAN et le Maroc où la France est le 2e investisseur (11,09 Mds d’€) derrière l’Espagne (13,24 Mds d’€), mais où l’implication de la Chine, actuellement 3e partenaire commercial, progresse rapidement depuis 2016, avec cependant un volume d’investissements encore très faible (100 millions d’€ - 0,23% des investissements espagnols) [1].

Trois groupes pharmaceutiques chinois en lice ont déjà commencé des essais dans 14 pays, en Argentine, à Bahreïn, en Égypte, en Jordanie, aux Émirats, au Pérou (Sinopharm), au Bangladesh, au Brésil, en Indonésie et en Turquie (Sinovac), au Mexique, au Pakistan, en Arabie Saoudite et en Russie (CansinoBio).

Pékin a promis un accès privilégié à 7 pays de l’ASEAN (Cambodge, Laos, Vietnam, Myanmar, Philippines, Thaïlande, Malaisie) au Népal, au Sri Lanka et à la Serbie, principal allié de Pékin dans les Balkans [2].

En Asie du Sud-est, la diplomatie chinoise des vaccins se développe à point nommé dans des pays comme l’Indonésie et la Malaisie pour apaiser les tensions stratégiques en cours avec Pékin.

L’influence apaisante des vaccins chinois.

En Indonésie par exemple où, depuis juillet, le bilan est en moyenne de 80 morts par jour, avec un total de près de 17 000 décès depuis le début de la pandémie, le vaccin chinois a récemment limité la fureur du Président Joko Widodo quand, en septembre, des garde-côtes chinois et indonésien sont restés face à face pendant 48 heures dans les parages de la ZEE indonésienne des Natuna dont les eaux sont traversées par la ligne en 9 traits chinoise qui les réclame.

Les États-Unis qui disputent l’influence chinoise dans la zone et tentent de rallier le soutien de Djakarta, n’ont pour l’instant rien à offrir pour faire concurrence à la déclaration du Président Xi Jinping ayant fait des vaccins chinois « un bien public mondial ». La Maison Blanche a en effet clairement fait savoir que les vaccins Pfizer, Moderna et Johnson& Johnson étaient en priorité destinés aux Américains.

Dans un contexte où les gouvernements de la zone sont pressés de trouver une solution sanitaire alors que la réactivité de leurs hôpitaux est faible, la Chine a une longueur d’avance sur Washington. Elle aussi l’avantage d’une capacité de production de masse et celui de pouvoir se prévaloir d’avoir radicalement éliminé la pandémie sur son sol.

Gurjit Singh, ancien ambassadeur Indien à Djakarta note que la persistance de la pandémie et la réactivité des groupes pharmaceutiques chinois sont en train de modifier l’équilibre stratégique de la zone.

Le Président Rodrigo Duterte à Manille est un bon exemple que, pour le moment, la diplomatie du vaccin fonctionne. Il vient de manifester sa gratitude à Pékin. Depuis son avènement à l’été 2016 en pleine controverse avec la Chine à propos du récif de Scarborough, ses allégeances avaient cependant flotté entre au gré des pressions territoriales de Pékin et des raidissements anti-chinois de son opinion publique.

En juillet, il avait déjà exprimé un renoncement territorial en expliquant dans un discours aux parlementaires philippins que la Chine était « maître de la mer de Chine du sud et qu’il n’y avait rien à y faire ». Aussitôt Pékin annonçait que les Philippines étaient placées sur la liste de pays prioritaires pour le vaccin.

Deux mois plus tard, au cours d’une réunion ministérielle, il expliquait que « l’avantage avec les Chinois, est qu’ils “donnaient sans qu’on leur demande“, alors que les pays Occidentaux n’avaient en tête que le profit ».

Kuala Lumpur a également été placé sur la liste prioritaire par Wang Yi le ministre des Affaires étrangères. Mais il l’a fait en demandant en échange la libération de 60 pêcheurs chinois arrêtés dans les eaux territoriales malaisiennes.

Tenir les États-Unis hors de la zone.

Plus généralement, la pandémie n’a pas marqué la fin des pressions territoriales chinoises. Au contraire. Au Japon, Nikkei souligne que, seulement au mois d’octobre, les chasseurs de combat chinois ont franchi 25 fois la ligne médiane du détroit de Taïwan.

En mer de Chine de l’Est la marine et l’armée de l’air chinoises ont augmenté leur présence autour des Senkaku, tandis qu’en mer de chine du sud, la fréquence des incidents avec les riverains s’est accélérée.

Le vaccin s’ajoute à l’attractivité du marché chinois exprimé lors de l’accord de libre-échange signé par tous les pays de la zone le 15 novembre, pour confirmer que l’Asie du Sud-est est bien l’arrière-cour stratégique de la Chine. Pour Pékin l’allégeance sans partage des riverains est essentielle. Elle garantit le contrôle des lignes de communications où transitent 80% du commerce des sources d’énergie.

Plus encore, la séquence où Washington apparait débordé, à la fois dans la compétition commerciale et dans la course au vaccin contribue au premier objectif stratégique de la Chine visant à repousser les États-Unis hors de la région du Pacifique Occidental que Pékin considère tant au nord qu’au sud de Taïwan frontière entre les mers de Chine de l’Est et du sud, comme le prolongement de son territoire.

C’est en tous cas ce qu’exprimait Madame Fu Ying, dans un récent article publié par le New-York Times le 24 novembre.

L’ancienne vice-ministre des Affaires étrangères, qui fut ambassadrice à Manille et à Londres, aujourd’hui Directrice du CISS, centre de recherche stratégique du Waijiaobu et vice-présidente de la Commission des Affaires étrangères de l’ANP, énonçait une série de reproches dénonçant la systématique agressivité de la Maison Blanche dont elle se demandait si le but n’était pas « d’humilier la Chine » comme l’avaient fait les Européens au XIXe siècle.

Puis, exprimant le sentiment chinois de prévalence souveraine sur le Pacifique Ouest, elle suggérait que, si l’Amérique de Joe Biden souhaitait apaiser ses relations avec la Chine, il fallait qu’elle se tienne à l’écart de la mer de Chine du sud.

Notes.

1.- La progression de l’influence chinoise au Maroc mérite attention. Après la signature lors du voyage officiel du Mohamed VI en Chine en mai 2016, d’un « partenariat stratégique », Rabat a adhéré en 2017 aux « Nouvelles routes de la soie » et exempté de visas les touristes chinois. Plusieurs partenariats et projets ont été lancés (énergie renouvelable, construction d’un parc industriel près de Tanger, tandis sur la liaison ferrée Marrakech – Agadir, l’offre chinoise bien moins chère concurrence frontalement le projet français de TGV).

2.- On se souvient que, le 17 juin 2016, Xi Jinping accompagné de son épouse Peng Liyuan avait déposé une gerbe au monument commémorant la destruction de l’Ambassade de Chine à Belgrade le 7 mai 1999. https://www.questionchine.net/xi-jinping-a-belgrade-retour-vers-le-futur-des-guerres-technologiques

Il est impossible de surestimer le ressentiment anti-américain et par extension anti-occidental que l’épisode avait allumé dans l’esprit des dirigeants chinois et de Xi Jinping en particulier. A l’époque âgé de 46 ans, il était Gouverneur du Fujian et n°2 de la Commission de l’APL chargée de la mobilisation dans la province.

Note(s) :

[1La progression de l’influence chinoise au Maroc mérite attention. Après la signature lors du voyage officiel du Mohamed VI en Chine en mai 2016, d’un « partenariat stratégique », Rabat a adhéré en 2017 aux « Nouvelles routes de la soie » et exempté de visas les touristes chinois. Plusieurs partenariats et projets ont été lancés (énergie renouvelable, construction d’un parc industriel près de Tanger, tandis sur la liaison ferrée Marrakech – Agadir, l’offre chinoise bien moins chère concurrence frontalement le projet français de TGV).

[2On se souvient que, le 17 juin 2016, Xi Jinping accompagné de son épouse Peng Liyuan avait déposé une gerbe au monument commémorant la destruction de l’Ambassade de Chine à Belgrade le 7 mai 1999. Lire : Xi Jinping à Belgrade. Retour vers le futur des guerres technologiques.

Il est impossible de surestimer le ressentiment anti-américain et par extension anti occidental que l’épisode avait allumé dans l’esprit des dirigeants chinois et de Xi Jinping en particulier. A l’époque âgé de 46 ans, il était Gouverneur du Fujian et n°2 de la Commission de l’APL chargée de la mobilisation dans la province.


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