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Au Henan et à Zhengzhou, la « Ville-éponge », un remarquable effort de solidarité des géants du numérique

La simultanéité des inondations au Henan et en Europe y est assurément pour quelque chose. Pour la première fois de mémoire récente, l’inconscient chinois est confronté à l’idée que la Chine ne serait plus la championne des catastrophes provoquées par la puissante nature subjuguant l’insignifiance des individus [1].

Peut-être est-ce la raison subliminale des hyperboles de la station météorologique de Zhengzhou. A la mi-juillet, elle déclarait que les pluies torrentielles qui, depuis une semaine s’abattent sur cette région centrale souvent inondée, n’avaient pas eu d’équivalent depuis mille ans.

Le ton de la surenchère catastrophique avait été donné peu avant par le Bureau de ressources hydriques du Henan. Les inondations en cours étaient a-t-il dit, « les plus graves depuis 5000 ans. »

Or objectivement, les inondations de 2020 qui sévirent dans tout le sud du pays affectant 27 provinces et touchant 38 millions de personnes dont le bilan fut de 150 morts, ne furent pas moins désastreuses.

Le 21 juillet, Chen Tao, ingénieur météo au Centre National de Météorologie remettait les pendules à l’heure en rappelant que les premières archives météo chinoises dataient de 1951.

Les inondations dues aux pluies torrentielles ont, à la rédaction de cette note, provoqué la mort de 58 personnes officiellement reconnues, causé de spectaculaires destructions évaluées en milliards de $, submergé stations de métro et tunnels routiers laissé près de 500 000 sans-abris évacués par les secours.

Selon Chen Tao, elles ont des causes multiples. Mais la première est la proximité du typhon In-fa (Yanhua 烟花 en Chinois), dont les vents violents ont frappé la côte Est de la Chine le 25 juillet.

Pluies torrentielles et tragédie dans le métro.

Avec 99 millions d’habitants, le Henan dans la plaine centrale, est la province la plus touchée. Nombre de villages et de villes de cette région très peuplée avec encore de vastes étendues de terres agricoles autour d’un réseau très dense de centres industriels et urbains, ont été gravement ravagés.

A l’heure de la rédaction de cette note, à Zhengzhou, la capitale provinciale de 12 millions d’habitants, les fortes pluies à l’origine de l’effondrement de maisons et des glissements de terrain, continuaient d’entraver les secours. Selon les prévisions de la météo japonaise, le déluge devait continuer plusieurs jours encore. La province voisine du Zhejiang, où les magasins, les marchés et les écoles étaient fermées a également été mise en alerte.

L’un des épisodes les plus dramatiques de la catastrophe s’est produit sous terre sur la ligne de métro n°5 à Zhengzhou où 12 personnes piégées pendant des heures par les flots, ont trouvé la mort au milieu de centaines de passagers de l’heure de pointe du soir. Des vidéos terrifiantes ont choqué l’opinion et fait les gros titres du monde entier.

L’une d’elle montrait des personnes accrochées aux poignées du plafond pour garder la tête au-dessus des eaux. Une autre a filmé plusieurs corps allongés sans vie sur le quai, tandis que des sauveteurs tentaient de les réanimer.

Alors que les autorités qui ont déployé 6000 pompiers et 2000 militaires et paramilitaires, soulignaient que 500 personnes avaient été sauvées des flots dans les souterrains de la ligne 5, sur les réseaux sociaux, unepolémique est née provoquée par l’émotion des images.

Certains internautes s’interrogeaient sur la pertinence des efforts en cours pour lutter contre les fréquentes inondations résumés par le concept de « Ville-éponge - 海绵城市 Haimian Chengshi ».

Polémiques autour du concept de « Ville-éponge ».

L’idée repose sur l’augmentation massive des capacités d’absorption, de drainage, d’écoulement et de stockage des eaux de pluies par un projet de plusieurs milliards d’Euros sur la période de 2017 – 2030 annoncé par le Président Xi Jinping lui-même en 2013. Le discours public attribue aussi au projet des capacités écologiques innovantes de gestion et de drainage des espaces verts et de recyclage des eaux usés.

Alors que la mairie de Zhengzhou expliquait que le dispositif « ville-éponge » n’était pas adapté aux pluies torrentielles et aux crues exceptionnelles, un internaute, faisant référence à la puissance mythique des éléments subjuguant les hommes, écrivait : « Les inondations à Zhengzhou sont une gifle au concept de “ville-éponge“. Elles montrent que l’homme ne pourra peut-être pas triompher des Cieux ».

Les commentaires critiques sur Weibo ont aussitôt été désactivés, tandis que d’autres, soulignant l’intensité extrême des précipitations, prenaient la défense de la ville.

Zuo Qiting, professeur d’hydrologie à l’Université de Zhengzhou cité par le China Science Daily, confirmait : « Attribuer les inondations de Zhengzhou au concept de “ville-éponge“ est un malentendu » (…) « La ville-éponge joue généralement un grand rôle dans les petites inondations et un petit rôle dans les grandes inondations ». Les explications n’ont cependant pas suffi à calmer la grogne des résidents

Mais, heureuse et vertueuse incidence, au-delà des polémiques, la catastrophe a aussi donné lieu à des manifestations de solidarité de la part des grands groupes chinois de l’industrie numérique dont la puissance financière a récemment été prise pour cible par le Parti.

La solidarité du net et des géants du numérique.

Le 20 juillet, Tencent mettait en ligne un ingénieux tableau interactif créé par un étudiant à Shanghai natif du Henan. Partageant des informations sur les personnes en attente de secours, il faisait régulièrement le point de leur situation.

En peu de temps, il est devenu une bouée de sauvetage pour les personnes bloquées. Au milieu de la nuit, le site était perfectionné pour permettre aux internautes volontaires de vérifier chaque entrée auto-déclarée. Une nouvelle page était ensuite rajoutée avec des codes couleur affichant les données sur les emplacements des abris d’urgence à travers la ville.

En moins de 48 heures la page a été visitée 2,5 millions de fois.

Elle répertoriait des messages d’encouragement « tenez bon », « restez optimistes » et prodiguait des conseils de sécurité : « Ne touchez pas aux installations électriques dans les zones inondables. Les lampadaires dans les rues ou les câbles dans les maisons. Vous risquez un choc électrique qui pourrait vous blesser gravement ou vous tuer ».
Peu après, nouvelle amélioration qui permit de connecter les personnes en détresse avec les secours officiels ou bénévoles.

Inutile de dire la fierté de Tencent.

Dans un message devenu viral sur Weibo, intitulé « 一个救命文档的24小时 – 24 heures d’un document ayant sauvé des vies », Tencent écrivait qu’il n’était pas en mesure de dire le nombre exact de personnes ayant bénéficié de son tableau interactif, mais qu’il était heureux d’avoir initié un élan populaire de solidarité « cela nous rappelle que, malgré les difficultés, l’amour et l’espoir sont bel et bien vivants - 困难会有的, 但爱与希望也必定会有的 ».

Ce n’est pas tout. Avec Tencent les géants du numérique Alibaba, ByteDance, Xiaomi ont mis la main à la poche.

Alibaba, l’une des premières entreprises à avoir réagi annonçait le 20 juillet un premier don de 100 millions de yuans (15,45 millions de $), tandis que la Fondation Jack Ma, son fondateur et ancien PDG, donnait 50 millions de yuans (7,73 millions de dollars). Son site de navigation AutoNavi mettait en ligne une application spéciale répertoriant les zones les plus touchées et diffusait des messages de secours.

Alibaba, toujours, activait aussi sa société logistique « Cainiao » et sa plateforme de vente au détail « Hema Fresh » pour distribuer gratuitement articles et produits de première nécessité.

Mise à jour le 27 juillet

A mesure que le temps passe les langues se délient, relayées par les Chinois expatriés ayant contacté leurs parents en Chine. Selon la chaîne NTD (New Tang Dynasty) très hostile au Parti Communiste, créée en 2001 par des pratiquants du Falun Gong ayant émigré en Occident, la submersion de la ville de Zhengzhou le 20 juillet, aurait en partie été créée par un dysfonctionnement grave de la bureaucratie qui se défend en qualifiant l’épisode de « rumeurs ».

Le 20 juillet à 10h30, le bureau des ressources hydriques du Henan aurait décidé d’ouvrir les vannes du réservoir de Changzhuang, l’une de la dizaine de retenues entourant la ville de Zhengzhou à l’ouest. Mais la population n’a été alertée qu’à 22h30.

Les flots libérés furent en partie responsables de l’inondation des tunnels routiers et du métro de la ville.

Voir la vidéo en anglais : Cars trapped in tunnel amid floods in China ; Family washed away by mudslides

Le commentaire de la vidéo donne de nombreuses précisions décrivant la colère des populations face à l’incompétence des bureaucrates paralysés, fonctionnant de manière déconnectée, en « silo ». Pour expliquer la lenteur des réactions certains observateurs font l’hypothèse que l’excès de verticalité normative instaurée par l’appareil où chaque échelon attend la décision de l’étage supérieur provoque la tétanie de la chaîne hiérarchique devenue dangereusement inefficace par temps de crise.

Les hyperboles initiales sur la sévérité des inondations « jamais vues depuis 5000 ans » par le bureau des ressources hydriques pourraient avoir été un rideau de fumée destiné à cacher la bévue de l’administration dont les critiques disent maintenant qu’elle serait la cause majeure du désastre.

Mise à jour le 3 août.

Le 2 août, le bilan officiel des victimes du désastre a été révisé à plus de 300 par le vice-gouverneur du Henan Wu Guoding, lors d’une conférence donnée par la Direction de la province. Les chiffres, près de trois fois plus élevés que les estimations d’il y a une semaine posent des questions sur l’ampleur réelle de la catastrophe.

Au point que le 2 août le gouvernement décidait de déclencher une enquête confiée au ministère des catastrophes naturelles chargé, selon Xinhua, de déceler « les manquements au devoir ».

Selon le Henan Dailyn la majorité des décès sont survenus dans la capitale provinciale Zhengzhou, où 292 personnes ont été tuées après que des eaux torrentielles aient entraîné des glissements de terrain, l’effondrement de bâtiments et l’inondation des tunnels de la ville.

Cinquante personnes sont portées disparues dans toute la province, dont 47 à Zhengzhou. Selon le décompte officiel, 14 personnes ont été noyées dans des voitures de métro submergées, tandis que six autres ont été tuées dans un tunnel inondé alors qu’elles étaient à bord de leur voiture.

L’importance du nombre de victimes a incité l’opinion à s’interroger sur le manque de réaction de l’administration et les raisons pour lesquelles aucune mesure n’a été prise alors que les services météo avaient donné l’alerte.

En même temps la ville de Wuhan est confrontée à une reprise de l’épidémie avec 63 cas d’infection détectés ce qui a provoqué le limogeage du directeur de la Commission de santé de la ville.

Note(s) :

[1Objectivement, de mémoire d’homme, l’histoire chinoise compte quelques-unes des très grandes catastrophes naturelles de l’humanité. Le pays détient le record mondial de 17 désastres de très grande ampleur, devant les États-Unis qui la talonnent avec 15, avec cependant un nombre de victimes très notablement moins élevé.

En Chine, les cataclysmes les plus violents de l’histoire furent les inondations, glissements de terrain et les séismes dont l’ampleur est restée ancrée dans la mémoire collective au point qu’elle les relie à des signes célestes à connotation politique, signifiant la fin d’une dynastie ou la perte du « mandat du Ciel » par un souverain.

Ainsi, le tremblement de terre de Tangshan, le 28 juillet 1976, est-il associé à la mort de Mao, disparu 42 jours plus tard. Quelques exemples tirés des archives (les chiffres sont des moyennes approximatives) : séismes du 23 janvier 1556 au Shanxi, 800 000 morts ; de 1976 à Tangshan 400 000 morts et de 2008 au Sichuan, 70 000 morts ; inondations de la vallée du Fleuve Jaune en 1887, 1 million de morts et de la plaine centrale en 1931, 2 millions de morts.


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