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A Johannesburg, Xi Jinping parie sur l’Afrique

Une stratégie multiforme dans le style des « nouvelles routes de la soie ».

A Johannesburg, Xi Jinping a démarqué son discours des importations chinoises de ressources primaires (56% du total des achats de la Chine à l’Afrique) pour focaliser sur l’aide au développement et la modernisation des économies. Ici un médecin chinois ausculte une malade au centre médical chinois de Dakar en mars 2015.

En remettant le discours du n°1 chinois en perspective, on constate qu’il a une double portée stratégique. La première s’inscrit dans la continuité de la riposte aux critiques dénonçant le caractère cynique et exploiteur de l’action chinoise en Afrique, initiée par Li Keqiang en mai 2014 et met en avant l’éducation, la formation professionnelle, la coopération industrielle, l’aide agricole, la construction d’infrastructures, l’environnement, la lutte contre la pauvreté et l’aide médicale. Le deuxième volet relie les projets africains à la nouvelle « grande œuvre » stratégique chinoise des « nouvelles routes de la soie » focalisant sur les infrastructures de la connectivité qui, avec les projets industriels et manufacturiers, furent déjà au cœur du voyage de Li Keqiang.

Ainsi, la voie ferrée entre Nairobi et Kampala, en partie financée par l’Exilm Bank chinoise, fait partie d’un réseau plus vaste visant à relier le Ruanda, le Burundi, le Kenya, l’Ouganda et le sud Soudan. Nous sommes là en présence d’un schéma d’intégration régionale de 5 pays d’Afrique de l’Est sous l’égide du rail chinois qui rappelle les projets de Pékin en Asie du Sud-est dont le principe a été acté entre les 5 capitales le 10 mai 2014 en présence des présidents Uhuru Kenyatta (Kenya), Yoweri Museweni (Ouganda), Paul Kagame (Ruanda) et Salva Kiir (Sud Soudan).

Pour autant, les faiblesses des stratégies chinoises en Afrique, parfois jugées univoques et cyniques, objets d’hostilité dans certains pays, sont connues et confortent le sentiment que la vision exprimée par le discours du président chinois mêle de solides éléments de réalité à la propagande, dont le but est de réduire l’impact des critiques du schéma de l’engagement chinois en Afrique. Lire aussi notre article Li Keqiang en Afrique. L’heure des bilans

Dans un avenir prévisible et en dépit des discours, la rémanence de la quête de ressources chinoise restera en effet une constante des relations sino-africaines. Entièrement évacuée des annonces du président Xi Jinping à Johannesburg, les exportations de ressources brutes du continent africain vers la Chine (hydrocarbures, minerai de fer, diamants, produits agricoles) constituent toujours 56,5% des importations chinoises (statistiques des douanes chinoises, de novembre 2015). Encore cette proportion est-elle à son étiage, compte tenu du ralentissement de la demande chinoise pour les matières premières.

L’écart entre les annonces et la réalité invite à un essai de prospective, dans un contexte où se dessine une vaste vision stratégique entravée par des lourdeurs incontournables liées aux quelques ratés du style de coopération et à la quête chinoise de ressources installant souvent des échanges déséquilibrés à l’origine de quelques tensions dans les relations sino-africaines.

Perspectives et risques.

Au milieu des nombreux analyses argumentant autour d’un retrait partiel de la Chine du continent africain, le triplement de l’aide chinoise résonne comme une profession de foi. Il ne fait pas de doute qu’aujourd’hui le choix de Pékin est de lier encore plus le destin de l’Afrique à celui de la Chine. A cet égard, comme le dit la note de la Brookings citée plus haut, les intentions du politburo de contribuer à la modernisation industrielle, de diversifier les échanges, d’investir dans les infrastructures et de participer à l’intégration régionale sont des stratégies vertueuses « gagnant – gagnant ».

Pour autant, il n’est pas possible d’ignorer l’impact du freinage chinois sur la relation et son effet sur les promesses financières de Pékin, dans un contexte où l’économie chinoise est elle-même confrontée à d’importantes difficultés. La conjonction des vents adverses du recul de la croissance chinoise et d’un continent africain dont le fort potentiel est handicapé par de nombreuses incertitudes politiques et de sécurité, conduit à se demander si le repli de 18% des échanges et de 40% des investissements chinois n’est qu’un affaiblissement conjoncturel ou, au contraire, une tendance du long terme.

Les interrogations sont d’autant plus légitimes que la bascule affichée par le président chinois vers un nouveau modèle de relations plus diversifiées privera les prêteurs chinois d’une garantie essentielle, jusqu’à présent assurée par la manne des ressources primaires. La question est cruciale, mais la note de la Brookings souligne qu’à ce propos, les avis des experts divergent. Certains, très optimistes, considèrent que la dynamique chinoise en Afrique, articulée autour des projets de décloisonnement territorial et de modernisation industrielle, génèrera une croissance et des revenus fiscaux capables d’assurer à la Chine un remboursement de ses prêts.

Risques financiers.

Plus logiquement, d’autres prévoient qu’en dépit de ses mauvais effets d’image et des efforts chinois pour le dissimuler, le volet ressources primaires restera un élément essentiel de la relation sino-africaine. Certains évoquent même la possibilité d’une appropriation partielle par des compagnies nationales chinoises de gisements africains au moyen de prises de participation.

Quoi qu’il en soit, la réussite du pari chinois d’une stratégie extérieure très vaste n’est pas sans importance en politique intérieure. En novembre dernier, un article circulait sur les réseaux sociaux demandant au président de mettre fin aux excessives dépenses de politique étrangère alors qu’en Chine même les problèmes sociaux s’accumulent et parfois s’exacerbent. Vu sous cet angle, un échec des stratégies de Xi Jinping se traduisant par d’importantes pertes financières, résultat des créances chinoises non honorées par l’Afrique pourrait avoir des répercussions internes.

A ces risques financiers mal garantis, s’ajoutent les faiblesses rémanentes bien connues de la pénétration chinoise en Afrique (frictions avec la main d’oeuvre et les autorités locales, désaccords sur les prix de livraison à la Chine de ressources primaires en remboursement des dettes, mauvaise insertion des Chinois dans la vie locale et avec les sociétés civiles).

Nouvelles menaces de sécurité.

Enfin, la dernière incertitude et non des moindres, touche à la sécurité des ressortissants chinois dont une grande partie travaille dans les zones à risques alors que de vastes zones du continent sont traversées par des tensions politiques, ethniques et religieuses. Après l’attentat de Bamako contre l’hôtel Radisson Blu, le 20 novembre dernier où 3 hauts responsables de China Railways avaient été tués, la direction chinoise avait confirmé, sans donner de détails, son intention d’inclure dans ses projets africains une coopération de sécurité.

Du fait de ses stratégies extérieures qui déploient 3 à 5 millions de travailleurs souvent dans des régions instables, et en dépit de son aversion pour les ingérences militaires extérieures, la Chine également soucieuse d’assurer la sécurité de ses approvisionnements en énergie et en matières premières, est progressivement entraînée à mettre le doigt dans l’engrenage des déploiements de militaires de combat.

Sur le continent africain, plusieurs zones témoignent de cette évolution qui reste cependant circonscrite par le strict cadre de l’ONU. Il n’en reste pas moins que l’évolution des menaces poussera mécaniquement l’APL à augmenter ses coopérations militaires bilatérales en dehors du cadre des NU.

En juin 2013, Pékin a, au milieu d’un contingent de 500 docteurs, infirmiers, agents de santé et militaires du génie, envoyé une compagnie de combat renforcée (170 hommes) à la MINUSMA au Mali. Moins d’une année plus tard, le politburo a décidé d’augmenter sa participation à la force des NU au Soudan en promettant l’envoi d’un bataillon de 700 hommes dont la mission est de protéger les travailleurs chinois des puits de pétrole et les installations qu’ils mettent en œuvre.

A Djibouti, le projet d’installation d’une base navale chinoise à Obock en face des déploiements américains, japonais et français constituera le tout premier volet de logistique navale déployé à l’étranger par l’état-major chinois.

Dans un environnement de conflits asymétriques où l’action terroriste indiscriminée par des acteurs se mêlant aux populations locales, constitue la forme extrême de l’action psychologique [4], il est probable que l’extension des déploiements chinois augmentera leur vulnérabilité.

Alors qu’en Chine même le politburo est confronté à l’action de réseaux se réclamant du Djihadisme international, décidés à cibler les intérêts chinois où qu’ils se trouvent en représailles des opérations menées au Xinjiang contre les Musulmans ouïghour par la police armée populaire, il faut s’attendre à une recrudescence des actions violentes menées contre les ressortissants chinois.

Note(s) :

[4« Est considérée comme acte terroriste une action violente entreprise généralement par un individu ou un groupuscule non-étatique, dans un but presque toujours politique, contre des cibles non discriminées, avec des moyens limités, et dont la particularité est de produire un climat de terreur où les effets psychologiques sont hors de proportion avec les résultats physiques qui découlent d’un tel acte » Raymond Aron, Paix et guerre entre les Nations.


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