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›› Editorial

Xi Jinping propose à Paris et Berlin un contournement de l’Amérique par l’Afrique

Briser l’isolement de la Chine. Changer le logiciel stratégique.

Face à l’opinion publique, la narration permet de tenir à distance l’idée que la Chine serait isolée par un Occident solidaire contre elle. Surtout, à l’intention des pays en développement, le projet porte l’intention vertueuse de l’aide au développement des Africains, du secours à leurs finances en déshérence et de la contribution à l’écologie et au climat.

Le 5 juillet, inséré dans son compte-rendu de la visioconférence, le Global Times rapportait l’énumération par Xi Jinping des actions de la Chine en Afrique : vaccins fournis à 40 pays et renforcement des capacités du continent à les produire ; accords signés avec 19 pays pour suspendre la charge de leurs dettes ; lancement du projet de « développement durable » d’une « grande muraille verte ».

Fort de ces succès, ayant sans surprise pris soin d’écarter la création en 2017 d’un point d’appui militaire à Djibouti fort de 3000 hommes et les controverses autour du creusement de la dette de ses partenaires africains, le discours du Président exhorta ses interlocuteurs à augmenter leur soutien à l’Afrique qui, dit-il, a un « urgent besoin d’aide » pour préparer le continent au « développement vert et bas carbone » et « pour mieux répondre à la pression de la dette », dont il faut rappeler au passage que la Chine est, sinon totalement, au moins en partie responsable.

Sans relever que Xi Jinping leur faisait la leçon tout en les appelant à se joindre aux actions chinoises en Afrique, le Président français et la Chancelière ont riposté à contretemps par l’argument de l’ouverture du marché chinois vieux de 180 ans, utilisé par Londres pour déclencher les guerres de l’opium.

S’il est une réminiscence sensible – chiffon rouge incandescent pour Xi Jinping -, qui, au passage, explique, en plus de sa proximité avec Washington, que Boris Johnson ait été tenu à longueur de gaffe par Xi Jinping, c’est bien cette vieille référence au prétexte du « libre commerce ».

Encore moins que ses prédécesseurs, l’actuel n°1 chinois n’oublie pas que l’hypocrisie de « l’ouverture » fut un prétexte pour imposer à toutes forces à la Chine, y compris par une agression militaire, qu’elle se laisse submerger par l’opium produit en Inde dans les « factories » de l’Empire britannique.

Au moment où le pays vient de célébrer le centenaire du parti-État confondu « tout en Un » avec la Nation et le peuple chinois, placés ensemble sur la trajectoire épique du 2e centenaire de la renaissance 复兴 – fuxing – en 2049, Xi Jinping a changé le logiciel de la Chine. Parlant de l’Afrique, il le fait sur un mode vertueux qui se place à contre-courant des expériences coloniales occidentales.

Au passage et pour la première fois depuis Mao, jetant un voile sur les traces sabreuses des « Nouvelles routes de la soie », le n°1 du parti exporte hors de Chine la propagande de l’appareil. Elle propose aux pays en développement le modèle politique chinois d’un capitalisme social étatique et autoritaire.

Exporter le modèle chinois.

Débarrassé des contre-pouvoirs prônés par les démocraties, articulé à un puissant nationalisme souverain, l’exemple chinois tient, selon Xi Jinping, sa légitimité de son efficacité dans la lutte contre la grande pauvreté et dans la longue liste de ses succès.

Sans cesse répétés par la propagande qui censure la moindre critique, ils vont de la conquête spatiale au très spectaculaire aménagement du territoire en passant par l’instauration pour tous, grâce à la croissance qui faiblit moins qu’ailleurs, d’une « société de moyenne aisance 小康社会 xiaokang shehui ».

Le concept emprunté au « Livre des odes » vieux de 30 siècles, avait été remis à l’honneur par Deng Xiaoping en 1977 qui, un an après la mort de Mao, prônait les « Quatre modernisations » toujours en vigueur aujourd’hui (agriculture, industrie, défense et sciences et technologies).

Il recèle la double vertu de véhiculer à la fois la modestie d’un projet de développement adaptable aux pays en développement et la très longue trace de la sagesse chinoise dont se réclame Xi Jinping quand il conteste les « valeurs occidentales » face à Washington qui brandit l’étendard planétaire des démocraties.

On ne niera pas que l’aide à l’Afrique devrait procéder d’une variante de « plan Marshall » bien connu des Européens et qu’une coopération Chine – Europe serait la bienvenue ;

Chacun sait aussi que selon tous les rapports (FMI, Banque Mondiale, UNCTAD, CNUCED), sur les 860 milliards (mds) de $ d’Investissements Étrangers Directs (IED) mondiaux en 2020, (en recul de 49%), l’Afrique (54 pays et 1,2 milliard d’habitants) n’en recueille qu’une part dérisoire et en recul de 49 Mds de $ (chiffres UNCTAD 2020) soit 50% de ceux déversés à Singapour en 2020 (92 Mds de $).

Alors que le discours de Xi Jinping sur l’urgence africaine croise celui de toutes les agences internationales, en ces temps où le nationalisme constitue la principale épine dorsale de l’action extérieure de Pékin, au lieu d’enfourcher le thème éculé de « l’ouverture » que l’appareil est moins que jamais décidé à emprunter et seulement à ses conditions, Paris et Berlin auraient été mieux inspirés d’exposer d’abord les actions de l’Europe en Afrique.

La pertinence africaine de l’Europe et l’ampleur des défis.

Tous pays confondus, l’UE reste le premier donateur d’aide publique au développement à l’Afrique avec 79 Mds d’€ en 2019. L’UE et la Communauté des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) ont, le 15 avril, finalisé le successeur de l’accord de Cotonou. Au cœur du pacte qui comprend également un texte sur la sécurité et la migration, se trouve la promesse d’un renforcement du dialogue politique et de la coopération au développement, notamment avec l’Afrique.

S’agissant du stock d’investissements en Afrique venant des 27 états membres – arrêt sur image qui mesure les efforts passés -, il est de 264 milliards de $, soit plus de deux fois le stock chinois (110 Mds de $ en 2019).

Mais en comparant les chiffres européens à ceux de la Chine en progression rapide, - depuis 2000 le flux annuel des IDE chinois vers l’Afrique a été multiplié par 100 (49,1 Mds de $ en 2019) - force est de constater que les efforts de Bruxelles ne sont pas à la hauteur des enjeux de développement du Continent. Dans numéro « d’Afrique réelle » de juin 2018, qui exposait des défis toujours actuels, Bernard Lugan livrait un inquiétant constat. QC le citait déjà dans une note précédente Lire le § « Un défi majeur pour l’Union européenne. »
de notre article :https://www.questionchine.net/l-afrique-la-chine-et-l-europe?artpage=3-4

« Avec un taux de croissance de 4% la population africaine double tous les 18-20 ans ; au Niger, pays désertique où le taux de fécondité est de 7 enfants par femme, la population était de 3 millions d’habitants en 1960 et elle sera de 40 millions en 2040, puis de 60 millions en 2050. »

En Somalie, le taux de reproduction est de 6,4 enfants par femme et en RDC, il est de 6,1. En Algérie le programme de planification familiale avait permis de faire baisser l’indice synthétique de fécondité de 4,5 enfants par femme en 1990, à 2,8 en 2008. Or, avec la réislamisation du pays, depuis 2014, il a rebondi à 3,03. » (…)

(…) « Résultat : d’ici à 2030, l’Afrique verra sa population passer de 1,2 milliard à 1,7 milliard, avec plus de 50 millions de naissances par an ; en 2100, avec plus de 3 milliards d’habitants, le continent africain abritera 1/3 de la population mondiale, dont les trois quarts au sud du Sahara ; pour des centaines de millions de jeunes africains, la seule issue pour tenter de survivre sera alors l’émigration vers l’Europe. »

Or, dit Lugan, telles qu’elles sont conçues aujourd’hui, parcellaires, inégales, insuffisantes et souvent - pour les investissements privés - articulées à des espoirs de retours rapides, les politiques de développement fonctionnent mal.

La critique renvoie à deux exigences. Celle d’abord d’une aide massive internationale concertée, dans laquelle la coopération avec la Chine aurait en effet toute sa place. Celle aussi d’une coopération débarrassée de la compétition idéologique dont l’un des effets pervers est parfois, sous couvert de respect de la souveraineté, de perpétuer l’appui aux autocrates corrompus qui détournent l’aide à leur profit.


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