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›› Editorial

Une fête nationale sous tensions économiques et stratégiques

Depuis le 1er octobre, la Chine célèbre sa fête nationale, 72 ans avant l’avènement du Parti en 1949. Les festivités, les vacances et « la semaine d’or », un des points d’orgue annuels de la consommation des ménages et de leurs voyages touristiques, marqueront la vie sociale jusqu’au 7 octobre.

Deux années après les grandes démonstrations du 70e anniversaire, mêlant le festif et l’affichage de la puissance militaire, l’appareil a repris le rythme des célébrations officielles réduites à une cérémonie des couleurs à l’aube, sur la place Tian An Men par un détachement militaire des trois armées et de la police armée populaire [1].

Mais si, au-delà des dispositions qui règlent les cérémonies de la fête nationale, on se souvient de l’exubérance militariste des cérémonies de 2019, marquées par le retour insistant du culte de la personnalité de Xi Jinping (lire : Le 1er octobre, Pékin ouvre une « nouvelle ère de luttes », ne rassure pas l’Occident et compte ses amis), on est à la fois saisi par le contraste des nouveaux signes de vulnérabilité économique et, à l’inverse, par la continuité de la contradiction exprimant en même temps la vertu humaniste du projet pacifique global chinois et la menace militaire directe contre Taïwan.

Alors que surgissent les ratés économiques dus à la dépendance de la Chine aux importations d’énergie et au poids exorbitant de la spéculation immobilière, l’appareil s’exerce, une nouvelle fois, au grand écart dans la manière dont elle se présente au monde.

Humanisme pacifique à l’ONU et harcèlement militaire de Taïwan.

Une semaine après que Xi Jinping ait affirmé à l’ONU que la Chine cultivait un arrière-plan civilisationnel humaniste et pacifique [2] Pékin a envoyé des chasseurs de combat de l’APL, bras armé insistant du projet de réunification entre le Continent autocrate et Taïwan, dont l’évolution démocratique accompagne la montée d’un puissant sentiment identitaire.

Le 1er octobre 38 chasseurs de combat chinois ont pénétré au sud du Détroit dans la Zone Aérienne d’Identification et de Défense de Taïwan, point d’orgue d’une série de survols qui duraient depuis le 6 septembre. Ils ont continué les jours suivants. Le 4 octobre, c’était un total 52 appareils – un record - dont 34 J-16, 12 bombardiers stratégiques, 2 chasseurs SU-30, 2 chasseurs de sous-marins Y-8 et deux avions d’alerte avancée KJ-500 qui survolaient le Détroit.

Alors que les analystes se perdent en spéculations sur la raison des provocations militaires chinoises, il faut se souvenir que les harcèlements dont l’ampleur augmente logiquement à l’occasion de la fête nationale, participent d’une stratégie de longue haleine. Son premier but est d’afficher, à l’intention de l’opinion chinoise, la permanence d’une pression hostile à l’indépendance contre l’actuel pouvoir à Taipei qui rejette « la politique d’une seule Chine. ».

L’insistance des menaces a aussi pour objet de créer dans l’Île un sentiment d’insécurité tel qu’il dissuaderait la population de perpétuer par les urnes la présence d’une mouvance indépendantiste à la tête de l’Île. Ce pari est risqué. Par le passé, à Taïwan, le durcissement chinois a en effet, souvent renforcé la mouvance de rupture.

Alors que sur le Continent montent les effervescences nationalistes, les démonstrations de forces chinoises, que certains attribuent aussi à la récente décision de Canberra de s’équiper de sous-marins nucléaires d’attaque, ont suscité une réaction de Joseph Wu, le MAE taïwanais.

Après avoir, répondant aux surenchères des démonstrations chinoises [3], mis les habitants de l’Île en garde contre les risques de guerre avec la Chine, il a sollicité l’appui de l’Australie en matière de renseignements et de coopération de sécurité.

Taipei et Pékin se disputent la participation au Pacte transpacifique.

En même temps, Taipei qui, à la suite des menaces chinoises commence à rassembler de plus en plus d’appuis non officiels, postule, depuis le 23 septembre, pour faire partie du pacte commercial du « Trans Pacific Partnership ».

Rétabli par Biden en 2018, après sa suppression par D. Trump, il est rebaptisé « Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership (CPTPP) » et regroupe le Canada, l’Australie, Brunei, le Chili, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam. La candidature de Taïwan fait suite à celle de la Chine, une semaine plus tôt.

Le télescopage des deux requêtes pour l’entrée dans un pacte où, selon l’ostracisme chinois, Taïwan et Pékin ne sauraient cohabiter, crée déjà des remous.

Alors que l’accord proposé par Obama devait initialement exclure la Chine qui pèse pourtant d’un poids considérable dans les échanges commerciaux de la zone (lire : En l’absence de l’Inde, la Chine unique poids lourd du Partenariat Économique Régional), mais jugée non qualifiée par son obédience aléatoire aux lois du marché, la candidature de Taïwan est une tentative pour contourner l’ostracisme du Continent. En même temps, celle de Pékin vise, à l’évidence, à exclure l’Île.

C’est au Japon qu’ont surgi les premières réticences à la manœuvre chinoise. Le 17 septembre, jour de la candidature de Pékin, Yasutoshi Nishimura, ministre de l’économie, expliquait dans un tweet qu’il convenait de vérifier si la Chine était qualifiée pour intégrer un pacte commercial dont les standards étaient aussi exigeants.

A l’inverse, interrogé sur la candidature de Taïwan, le porte-parole chinois Zhao Lijian, répéta la position officielle chinoise. « Nous sommes fermement opposés à la participation de Taïwan à un traité ou une organisation internationale ».

A quoi, mettant de l’huile sur le feu, le négociateur taïwanais John Deng a répondu que Taïwan utiliserait le nom qui lui permet d’être membre de l’OMC et de l’APEC – « Territoire douanier distinct de Taïwan, Penghu, Jinmen et Matsu » -. Mais il n’a pas pu s’empêcher d’agiter un chiffon rouge « Je souligne que Taiwan est une nation souveraine et indépendante. Elle a son propre nom. »

En arrière-plan de la querelle de souveraineté, après les angoisses du surendettement d’Evergrande (lire : Evergrande, un « cygne noir » dans la routine des analyses convenues) montent les inquiétudes sur la sécurité énergétique.

Sévères pénuries d’énergie.

Le jour de la fête nationale, un des responsables de la SASAC, en charge des actifs de l’État dont font partie les centrales électriques et les réseaux de distribution, diffusait la consigne d’accorder la priorité de l’approvisionnement en électricité aux résidences urbaines et rurales et de s’assurer qu’elles seront desservies durant l’hiver. En même temps il exhortait les groupes publics de distribution d’électricité de combler les déficits par tous les moyens.

Résultat les livraisons de charbon se sont accélérées alors que deux tiers des provinces souffrent de coupures d’électricité. Les pénuries sont particulièrement sensibles dans les trois provinces nord-est du Heilongjiang, Jilin et Liaoning où 100 millions de personnes sont touchées. Il est probable que plusieurs mois seront nécessaires pour restaurer la stabilité de l’approvisionnement en énergie, alors que la demande augmente.

En réalité, alors que la production d’énergie est normalement capable de répondre à la demande, les groupes publics ont commis l’erreur de laisser leurs stocks de charbon s’épuiser en espérant que l’État réduirait les taxes frappant les sources fossiles ou/et que leur prix sur le marché baisserait.

Ils n’avaient qu’en partie raison. L’État a ajusté à la baisse les objectifs de réduction d’émissions de CO2, en revanche le prix du charbon sur le marché global a continué à augmenter.

Alors que la Chine est, malgré une production annuelle de 4 milliards de tonnes, le premier importateur mondial de charbon (avant l’Inde) avec 303 millions de tonnes en 2020, l’explosion des prix passés de 46,5 $ la tonne début août à 240 $ le 4 octobre, impacte directement la production d’électricité encore dépendante à près de 60% du charbon.

De nombreuses centrales ont fait faillite. Lire : Le 14e plan quinquennal. « L’aménagement technologique du territoire » et le plan carbone. Au-delà des affichages. Un autre facteur de la baisse des réserves de charbon est lié aux efforts des provinces pour tenter de se conformer aux directives de réduction carbone.

Afin d’éviter les répercussions de prix sur les ménages pouvant cristalliser un mécontentement social, le choix stratégique du pouvoir est, pour l’instant et selon une habitude ancienne, d’installer la pénurie dans les zones industrielles. Il reste que cette fois les coupures n’ont pas seulement concerné les usines. Elles ont également touché, les hôpitaux, les écoles et les ménages.

Localement, craignant les faillites, certaines provinces comme celles de Canton et du Hunan, ont, depuis le début octobre, été autorisées à transgresser le contrôle (partiel et hybride) des prix de l’électricité en les reliant au prix du charbon. Tandis qu’à Pékin, les planificateurs qui mesurent cependant l’impact sur la croissance, prévoient de répercuter encore plus la hausse sur les seuls groupes industriels.

Signe évident d’une fébrilité de l’appareil, selon Bloomberg, Pékin a ordonné aux banques d’accorder en priorité des prêts aux mines de charbon et aux centrales thermiques. Mais le plus préoccupant est peut-être que les régulateurs aient décidé que, temporairement, un accident dans une mine n’entraînerait pas automatiquement la fermetures des mines voisines pour enquête.

En haussant l’analyse d’un étage, Bloomberg pointe du doigt une vulnérabilité de l’une des priorités de Xi Jinping, qui promettait d’assurer la sécurité énergétique du pays. Mal gérée, la crise pourrait, par ses effets de contagions, fragiliser le pouvoir lui-même.

Selon Michal Meidan, Directeur du programme de recherches Chine Energie à Oxford, si elle veut éviter des redites, la Direction politique devra entreprendre des réformes majeures pour mieux harmoniser les réseaux de distribution à très haute tension, revoir sa politique de stocks et augmenter encore la part des renouvelables dans le mix énergétique.

Enfin, Kou Nannan, également Directeur de recherche sur la Chine à Bloomberg pose clairement le dilemme de la rentabilité des centrales : « Si la Chine libéralisait le marché de l’électricité, par un vérité des prix, elle pourrait fournir suffisamment d’électricité, mais la hausse des coûts de l’électricité aurait une influence directe sur l’inflation et la stabilité socio-économique du pays. »

Note(s) :

[1Les défilés militaires de grande ampleur ont lieu tous les 10 ans. Le prochain se déroulera en 2029. Tous les cinq ans, Pékin organise une parade réduite. Ce sera le cas en 2024. Les autres années, les cérémonies officielles se limitent à un lever des couleurs sur la place Tian An Men.

[2Le 21 septembre 2021, lors de l’Assemblée générale des Nations unies marquée par les fortes tensions entre les États-Unis et la Chine, le président Xi Jinping a expliqué que « la nation chinoise était porteuse d’un idéal de paix, de concorde et d’harmonie ».

Au passage, il n’a pas manqué de rappeler – remarque insolite pour un régime autocrate – que « La démocratie n’était pas spécialement réservée à un pays en particulier, mais un droit dont devraient jouir les peuples de tous les pays ».

Il a aussi, sans le dire, pointé du doigt l’échec américain en Afghanistan. « L’évolution récente de la situation mondiale montre une fois de plus que l’intervention militaire de l’extérieur et la soi-disant transition démocratique n’entraînent que des dommages. »

[3Les informations diffusées par nombre de médias confondent l’espace aérien souverain de 12 nautiques et la Zone d’Identification et de Défense Aérienne (ZIDA). Établie en 1950, conformément aux règles de la circulation aérienne internationale, la zone définit un espace de vol à l’intérieur duquel les obligations des aéronefs ne sont pas clairement arrêtées.

Il est bien plus vaste que l’espace souverain de 12 nautiques. Lire : SOUVERAINETÉ SUR L’ESPACE AÉRIEN (pdf). De même, le franchissement de la ligne médiane du Détroit n’est en aucune manière une pénétration de l’espace aérien.

Le bilan des « survols », qui sont certes des démonstrations de force, montre que tous ont lieu à environ 120 nautiques au sud-ouest de Kaohsiung à l’extrême sud du Détroit, loin de l’espace aérien de Taïwan.
Lire : TREIZIÈME CONFÉRENCE DE NAVIGATION AÉRIENNE (pdf).

La Chine joue elle-même de l’ambiguïté de ces espaces aériens. Lire à ce sujet le rapport de l’IRSEM (pdf).

A ce sujet lire notre article : La Zone d’Identification Aérienne chinoise. Symbole de souveraineté et de rivalité avec Tokyo et Washington.

Les réactions taïwanaises qui n’entrent pas dans ces détails topographiques, ne focalisent que sur la « menace », en effet réelle, même si elle est encore loin d’une agression directe.

Dans un long article publié dans la dernière livraison de Foreign Policy, Tsai Ing-wen, qui replace la question de Taïwan à hauteur du défi que les nations démocratiques de la planète doivent relever face aux autocrates, dénonce l’impérialisme militariste de Pékin.

« Après des années d’investissements à deux chiffres dans l’armée chinoise et un comportement expansionniste dans le détroit de Taïwan et dans les zones maritimes environnantes, Pékin remplace son engagement en faveur d’une résolution pacifique par une posture de plus en plus agressive. ».


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