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« Qui ne gueule pas la vérité… ». Une interview édifiante de René Viénet

La revanche de Deng Xiaoping. Fin des utopies. Retour au pragmatisme.
Queues de trajectoire maoïstes françaises

NB : Qu’est-il advenu de ces dissidents ?

RV : Ils furent libérés en 1979 et — hommage discret mais bienvenu à l’édition (en chinois, français et anglais, en trois langues dans la Bibliothèque asiatique) de leur DaZiBao, et au débat sur A2 — Francis Deron fut invité à prendre l’avion à Pékin pour Canton et les y rencontrer à leur sortie de prison, une libération qu’ils devaient à un autre dissident anti-LinBiao, mais éminent et bien plus célèbre. Lui aussi avait été enfermé et maltraité pendant une quinzaine d’années, depuis 1961.

Il venait d’être libéré par Deng Xiaoping pour réformer le GuangDong et établir dans la banlieue alors rurale de Canton et HongKong la future mégapole de ShenZhen : il avait été le patron de YanAn avant l’arrivée de la Longue marche, Xi ZhongXun.

NB : Le père de Xi JinPing ?

RV : Oui. Vous pouvez le lire en toutes lettres dans la dépêche du 9 février 1979, ci-jointe, de l’Agence Chine nouvelle.

NB : Et vous-même qu’avez-vous fait ensuite ?

RV : J’ai été, comme il se doit dans le Paris madame-maoïste de l’époque, dénoncé comme un « ami de Deng Xiaoping » — à l’ambassade de Chine en France — par courrier officiel sous la signature du Pr Léon Vandermeersch, et (à l’unanimité de la commission) renvoyé du CNRS : c’était la seconde fois. La première cela avait été quelques années plus tôt pour avoir édité et préfacé les Habits neufs du Président Mao.

NB : Vous devez donc votre trajet ultérieur, de banquier et d’industriel, en quelque sorte, à Léon Vandermeersch ?

RV : Tout à fait. Léon (c’est le cas de le dire, de le mettre en ligne, et un jour de l’imprimer) n’avait pas compris le film en général de l’Histoire chinoise récente, ni mes films en particulier. Mais a-t-il jamais compris grand-chose ?

Le diplomate qui se trouvait avec lui, en visite dans une commune populaire, se souvient encore en rigolant, à chaque fois qu’il le mentionne, de sa question de sinologue franchouillard à une dame donnant le sein à un nourrisson ⎡太太,妳的牛奶多不多?⎦: ⎡Madame, ton lait-de-vache, y-en-a beaucoup ? ⎦.

Vous comprenez pourquoi il me fait penser, tout comme Jean-Luc Domenach, aux héros du célèbre film de Jean Yanne. Léon, et son pieux disciple, c’étaient des braises dans cet encensoir catho-maoiste. A coté, Jean Chesneaux et François Julien c’étaient de la fumette pour raffarinades, de pieuses volutes pour normaliens althussériens.

François Fejtő, qui en dirigeait le service étranger, m’avait proposé au lendemain du débat de rejoindre l’AFP à Pékin. Je lui ai recommandé de recruter plutôt Francis Deron — qui se trouve ainsi cosigner de son vrai nom Mao par lui-même mais, in extremis, dut prendre un pseudonyme pour « Chinois, encore un effort … » et poinçonner le négatif du long métrage pour en extraire son visage dans le bref morceau de bravoure que constitue le générique (qui sert également de bande-annonce au film).

Francis fut ainsi propulsé en Chine et sera, aux côtés de son collègue et ami Georges Biannic, l’un des grands témoins du Mur de la démocratie.

NB : D’autres souvenirs de cette époque ?

RV : Plein. Je viens de retrouver dans celles de mes archives qui ne m’ont pas été dérobées — par une ancienne secrétaire, M-C.Q, et plus tard par le frère de Francis Deron (un pleutre dont j’aurais dû me méfier) — un des nombreux telex d’insultes à K-S. Karol et un autre à Jean Daniel, qu’avec Francis, en rentrant de dîner au Vieux Gauclaire, vers minuit, après nos journées dans la salle de montage, encore réjouis par une bonne bouteille de Chinon ou de Cahors, nous adressions à ces indécrottables partisans de Madame Mao.

Le mystère Lin Biao

NB : Et de Lin Biao.

RV : Oui, le Monde, en particulier sous la houlette d’André Fontaine, a mis une pleine année avant d’admettre que Lin Biao avait été éliminé, au moment même où paraissait en France les Habits neufs du Président Mao, en septembre 1971.

NB : Vous répondez, lors du débat, lorsque Marceline Loridan vous interpelle, que Lin Biao a été abattu à BeiDaHe. Est-ce nier qu’il était dans le Trident qui s’est écrasé en Mongolie ?

RV : Je n’ai pas consacré de longues recherches à ce sujet, qui n’a pas encore décanté, et nos sources à l’époque étaient modestes, fugaces, sujettes à caution. Mais de ce qui a été depuis publié, il semble confirmé que dans l’enceinte officielle où il résidait, en route pour l’aéroport, la limousine de Lin Biao a bien été mitraillée.

Si, dans l’avion, le successeur-désigné était mort, ou mourant, cela a dû poser de sérieux problèmes à son fils Lin LiGuo et au pilote : vivant, Lin Biao pouvait se poser à Canton, ou Taiwan, et tenter de survivre - loin de Pékin - à la colère du Président et à la haine de Zhou EnLai. Mort, il ne pouvait plus protéger sa parentèle.

Lin LiGuo a certainement paniqué, dans un sens, et le pilote sans doute dans l’autre. Mais l’essentiel n’est pas là : c’est que dès 1970, comme on le voit sur une bande d’actualités, Lin Biao fait la gueule au Président et quitte sans saluer la table où ils reçoivent ensemble Sihanouk sur la terrasse de TianAnMen. C’est sans doute ce jour-là que son sort fut scellé.

De toutes façons, en Chine aujourd’hui, c’est le passé qui est difficile à prédire, bien plus que l’avenir. Mais sommes-nous mieux lotis en France ? Prenez le cas de l’Université francophone de MaWei, en aval de FuZhou, dans la rivière Min, et de son chantier naval : Devant le champ de bataille de Ma Wei

La bévue navale de Jules Ferry.

Ce fut, aux frais de la Chine impériale, à l‘initiative de Zuo ZongTang et du Français Prosper Giquel le cœur de la modernisation de la Chine dès 1866, en langue française avec du matériel acheté en France.

Prosper Giquel, à juste titre, est désormais le Français le plus et le mieux célébré en Chine. Moins de vingt années plus tard, sur ordre de Jules Ferry, l’amiral Courbet a détruit, au Mouillage de la Pagode, la flotte construite par son compatriote, ainsi que - pour faire bonne mesure - le chantier naval et l’université.

Combien d’étudiants français (aucun), combien de diplomates français (trois, à mon invitation) ont visité le considérable parc historique sur ce lieu de mémoire ? Et son musée juste à coté du cénotaphe des 2 800 marins chinois (et de leurs officiers formés en France) morts sous les obus et torpilles de Jules Ferry ? Aucune thèse en France sur le sujet : juste un excellent mémoire de maitrise par un étudiant lyonnais que je n’ai pas réussi à retrouver.

J’ai fourni à ce musée quelques centaines de documents, une iconographie exceptionnelle — inconnue en Chine — que j’avais en partie achetée chez Charles Blackburn vers 1980 et, pour l’essentiel, mis au jour chez les descendants de Prosper Giquel, qui ont retrouvé une malle, pleine de manuscrits et de photos, dans leur grenier.

Moi-même, j’avais un angle mort dans mon rétroviseur : j’ai trop tardivement découvert ce trou noir récent (pourtant en 1884, l’histoire de cette guerre franco-chinoise faisait les gros titres de la presse parisienne) en étant invité au FuJian vers 1995 pour un projet que j’avais initié (mais qui n’a pas survécu à la monstrueuse faillite organisée par Anne Lauvergeon) : celui d’une centrale nucléaire de conception française, avec deux réacteurs dont l’un aurait alimenté Taiwan par un câble sous-marin en courant continu, en compensation du cadeau par Taiwan du combustible MOX issu du recyclage en France des combustibles nucléaires usés des réacteurs taïwanais.

L’acte manqué d’une coopération nucléaire franco-chinoise avec Taïwan.

Le Détroit de Formose demeure le même, mais l’eau qui y coule est différente, aurait dit Héraclite à Confucius — s’il l’avait rencontré. Dès 1981, Taiwan fut incité par Washington à se fournir en uranium enrichi en France pour ses six réacteurs d’origine américaine et ainsi pouvoir, le moment venu, bénéficier du recyclage de ses combustibles usés, une spécialité française. Alors qu’au début des années 90 en pleine ouverture de la Chine à l’étranger et au début de son programme nucléaire, Pékin était à la fois intéressé par le savoir-faire français et par le MOX issu du retraitement taïwanais, Viénet proposa un schéma vertueux de coopération à trois entre Paris, Pékin et Taipei autour du retraitement des déchets taïwanais et de l’alimentation en combustible des centrales chinoises.

Pour compenser ce cadeau, Taiwan aurait bénéficié (via un câble sous-marin de courant continu) de l’électricité produite dans un réacteur à construire dans la presqu’ile granitique de HuiAn juste en face de Taiwan.

Alors que les Taïwanais étaient enthousiastes et que Pékin voyait dans le projet un resserrement des liens industriels favorable à son projet de réunification, un complot franco-français, qui mériterait un livre, fit dérailler cette perspective, compliquant singulièrement la situation de l’électronucléaire taïwanais, au moment où le DPP - dogmatiquement anti-électricité-nucléaire - accédait au pouvoir en 2000. Même si le principal partenaire commercial de Taïwan reste de loin la Chine, l’équation n’est plus la même aujourd’hui, dans un contexte politique devenu plus sensible.

Pour autant, dans un contexte stratégique radicalement tendu, où les plus lucides recherchent une occasion d’apaisement, il faut se demander sérieusement pourquoi la France ne renouvelle pas une offre (d’autant plus profitable que La Hague est depuis longtemps amortie) qui permettrait aux pro- comme aux anti-nucléaires de Taiwan de se débarrasser de leurs combustibles nucléaires usés.>

C’était une autre époque, ancienne, où le FuJian n’avait pas encore de réacteurs nucléaires [désormais il y en a six], pas le budget et où les deux cotés du Détroit cherchaient des occasions de coopération pacifique. Hélas, les peaux de banane ineptes mais redoutables de Rouvillois, Rougeau, Durret, Lauvergeon ont fait dérailler ce projet — qui avait pourtant été encouragé un peu plus tôt par Jean-Claude Leny, Dominique Dégot et Jean Syrota.

NB : Quelle conclusion moins industrielle, plus cinématographique, pourriez vous apporter à cette entretien ?

RV : « Le vent souffle où il veut [et vous en entendez le bruit, mais vous ne savez pas d’où il vient ni où il va] » était l’une des citations préférées de Robert Bresson. Mais je suis un peu en porte à faux avec l’Évangile — comme vous l’avez remarqué avec Ne laissons pas les morts enterrer les morts, le titre que j’ai choisi pour le film de Miriam Novitch. Bref On peut savoir d’où ça vient, on peut deviner où ça va, et on devrait essayer de l’expliquer — grâce à des articles, des livres — et au cinéma.

Je m’y suis donc essayé il y a un demi-siècle. Le succès d’estime et l’impact politique et cinématographique ont été au rendez-vous, y compris à Cannes. Ce qui fut un réel plaisir et reste un très agréable souvenir.

Mais les producteurs se dérobaient devant l’insuccès commercial, et même ceux qui savaient gérer des déficits fiscaux n’avaient aucune envie de m’aider. J’aurais sans doute pu m’incruster, m’imposer et entamer des films avec des comédiens au chômage sur les sujets qui me branchaient. Claude Faraldo avait bien réussi à faire produire son très sympathique Bof, puis Themroc.

Dans le même temps, dans l’université le sérieux dans les études chinoises n’était pas à l’ordre du jour : les cathos-maos tenaient le haut du pavé et avaient contraint Simon Leys à l’exil en Australie (et Léon Vandermeersch s’empara de la maitrise de conférences que j’avais fait créer à l’intention de Pierre Ryckmans / Simon Leys). Bref il était temps de prendre le large. Pour un Havrais, c’est une tradition. J’ai donc choisi Formose, pour y rétablir une présence française, et rendre compte de son histoire complexe et passionnante.

J’étais également persuadé que Taïwan serait le meilleur tremplin possible pour le jour où la Chine s’ouvrirait aux réformes. Cela vous explique comment j’ai été amené à y faire découvrir les premières photos par John Thomson de Formose en 1871 (retrouvées à la Société de géographie de Paris, puis leurs négatifs à Londres), avant de déposer - aux Archives du Film de Taipei - mille cinq cents extraordinairement précieuses bobines des plus célèbres classiques du cinéma chinois, que j’avais sauvées de la destruction, avec Chan HingHo et Françoise Zylberberg, à HongKong, en 1970.


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Par Wonderjo Le 3/09/2021 à 09h57

est ce bien sérieux ?

quand on aborde un texte aussi long, on parcourt en diagonale et on tombe sur ce paragraphe consacré à une coopération triangulaire entre France, Chine et Taiwan autour du projet Areva, coopération à laquelle l’auteur croit toujours. Peut être le reste du texte mérite-t-il d’être lu mais difficile de le trouver aérien aujourd’hui quand on observe la situation du triangle en question généreusement lesté d’une enclume. Les difficultés du projet Areva n’excusent en rien cette myopie d’appréciation.

Par François Torrès Le 8/09/2021 à 08h34

« Qui ne gueule pas la vérité… ». Une interview édifiante de René Viénet.

Cher Lecteur, merci de votre commentaire. Permettez-moi d’en relever quelques incohérences. Après avoir glosé sur la longueur du texte, dont vous dites que vous n’avez fait que le survoler, remarque qui, au passage, chevauche l’air du temps de la synthèse maximum au détriment de la nuance, vous fustigez le manque de perspicacité - « la myopie d’appréciation » dite-vous - de l’auteur à propos de la situation dans le Détroit de Taïwan.

La critique est à la fois terrible et très injuste quand on sait qu’elle cible un homme qui, lucide avant tous les autres, fut par deux fois exclu du CNRS pour avoir dénoncé les mantras maoïstes ayant submergé l’Université française.

A cet égard, je vous invite à lire ou à relire le texte écrit par François Danjou, publié par QC en septembre 2014, à la mort de Simon Leys. Intellectuellement, ce dernier fut parmi les sinologues les plus proches de René Viénet après que, dans le maquis des harcèlements maoïstes, Viénet fut le premier à publier son livre iconoclaste « Les habits neufs du Président Mao » Hommage à Simon Leys et à la liberté de penser

S’agissant de la question de Taïwan, la vision de René Viénet est à nouveau à contretemps des incessantes répétitions glosant sur un probable conflit dans le Détroit.

Dans ce contexte où les médias amateurs d’émotions fortes rabâchent à longueur de vidéos et d’analyses la perspective d’un affrontement armé, il est salutaire de s’interroger si la vraie perspicacité et la bonne appréciation ne seraient pas ailleurs.

Elles consisteraient, par exemple, à anticiper que, non seulement une conflagration directe ouvrant une boîte de Pandore stratégique insondable serait très improbable, mais que, de surcroît, il pourrait être possible que les deux parties – qui sont des Chinois dont René Viénet connaît bien les riches ressources de pragmatisme - finissent par trouver un arrangement d’apaisement pour sortir par le haut de ce cul-de-sac souverainiste inflexible.

Si c’était le cas, par une hypothèse qui, aujourd’hui, paraît contre intuitive quand on ne considère que la surface des choses – mais en Chine plus qu’ailleurs, la réalité est enfouie sous les apparences – le projet de retraitement des déchets taïwanais serait pour la France un formidable levier d’influence.

Enfin vous notez que le naufrage d’Areva, n’a pas de rapport avec l’échec du projet triangulaire. Il est en tous cas directement lié à l’incompétence, fond de tableau des tête-à-queue de la stratégie française à l’égard de la Chine et de Taïwan.

Il renvoie aussi à l’imprudence d’avoir placé par esprit de clan et arrière-pensées progressistes de posture, une personne qui, en dépit de ses expériences à Alcatel et à la Cogema, n’avait peut-être pas les épaules et la clairvoyance sereine pour prendre la tête d’un des fleurons stratégiques les plus sensibles de l’industrie française.

François Torrès, ancien responsable des Affaires chinoises à la Délégation aux Affaires Stratégiques du Ministère de la Défense et Conseiller éditorial du site Question Chine.

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