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›› Editorial

Quand le G7 cible la Chine, Pékin s’exerce à la médiation en Europe et développe son influence en Asie Centrale

Le 20 mai depuis Hiroshima, symbole cataclysmique d’un désastre nucléaire militaire, le communiqué du G7 [1] a, plus clairement que jamais et malgré les réticences de la France, stigmatisé Pékin, qui s’en est publiquement offusqué, promettant de formuler une protestation officielle auprès du Japon pays hôte et « des autres parties concernées  ».

Chiffon rouge qui heurte de plein fouet le souverainisme anti-occidental du Parti, la déclaration d’Hiroshima se dit « gravement préoccupée » par les atteintes aux droits de l’homme au Tibet et au Xinjiang et pointe du doigt à la fois les ingérences des réseaux d’influence et les coercitions militarisées de Pékin en mer de Chine du sud et dans le Détroit de Taïwan, menaçant la paix et la stabilité de la région.

La colère chinoise était encore exacerbée par la visite très militante le 16 mai à Taïwan de Liz Truss, l’ancienne première ministre britannique qui, depuis Taipei, prônait le gel des négociations financières économiques et commerciales avec Pékin, suggérait de fermer tous les instituts Confucius du Royaume Uni et exhortait les dirigeants occidentaux à prendre conscience de la stratégie chinoise de rupture avec l’Ouest.

A ce sujet lire notre article Modernisation de l’industrie lourde, « Chine 2025 » et transferts de technologies qui décrypte la stratégie industrielle de captations de technologies. Visant l’autosuffisance après les transferts obligés par le truchement des « co-entreprises ou JV  », elle s’inscrit dans une perspective de ralentissement des relations avec les États-Unis et l’Europe.

Au cours de sa présence dans l’Île, Liz Truss a précisé sa pensée par une déclaration sans ambages ramenant la question à hauteur d’une confrontation systémique « Trop d’acteurs en Occident continuent à s’accrocher à l’idée que nous pouvons coopérer avec la Chine sur des questions comme le changement climatique, comme si de rien n’était ; Comme s’il n’y avait pas de problèmes plus importants que la domination mondiale chinoise ou l’avenir de la liberté et de la démocratie ».

Prenant au mot les nouvelles ambitions de médiation de la diplomatie chinoise, les « sept » ont également exhorté Pékin à faire pression sur la Russie pour qu’elle cesse son agression.

La communiqué, exprimé dans le contexte du Pacifique occidental et de l’Asie du sud et du sud-est dont une partie des riverains y compris le Japon, la Corée du sud, l’Inde, le Vietnam, les Philippines et l’Indonésie perçoivent à des degrés divers, Pékin comme une menace, fait contraste avec les initiatives de Xi Jinping en Europe où il redouble d’efforts pour adoucir l’image de la Chine et la présenter comme un médiateur crédible du conflit en Ukraine, capable de parler à la fois à Moscou et à Kiev.

Xi Jinping riposte en Asie Centrale.

Les 18 et 19 mai, la diplomatie chinoise a mis en scène une capacité d’influence alternative au G7 en organisant à Xi’an, ville symbole des anciennes routes de la soie, une réunion avec les chefs d’État d’Asie Centrale du Tadjikistan, du Kazakhstan, de l’Ouzbékistan, du Kirghizistan, du Tadjikistan et du Turkménistan.

A cette occasion on notera que, sur les plates-bandes communes sino-russes de l’O.C.S, le Président Xi Jinping a, en l’absence de la Russie, fait la promotion de l’influence chinoise, en insistant particulièrement sur la relation de Pékin avec le Turkménistan.

Toujours gouverné par un régime politique fermé dominé par le culte de la personnalité du président Serdar Berdymuhamedov successeur de son père, le Turkménistan est comme ses voisins engagé dans une lutte contre l’Islam radical débordant parfois vers une mise aux normes plus ou moins brutale des signes religieux visibles.

Prônant l’isolationnisme, Achkhabad qualifiée en juin 2021 de « ville mégalomaniaque  » par un article de « Courrier International » qui avait en 2005 pris ses distances avec la Communauté russe des États indépendants, est aussi la seule capitale d’Asie centrale qui n’a pas adhéré à l’O.C.S.

Quel que soit l’angle de vue, le coup de canif dans le monolithisme stratégique de l’O.C.S, prenant langue avec un autocrate absolu à l’écart de la Russie, incite à interpréter la déclaration finale du sommet Chine-Asie Centrale où Moscou n’a pas été mentionné, comme une pierre dans le jardin de la Russie et la claire ambition qu’à l’avenir c’est l’influence chinoise qui prévaudra dans la région, tandis que celle de la Russie, affaiblie par la guerre en Ukraine recule.

Le texte et les discours qui reprenaient l’aspiration chinoise à promouvoir « l’efficacité de la gouvernance du parti comme modèle global de modernisation  » évoquèrent avec emphase les réalisations concrètes des autoroutes Chine – Ouzbékistan et Chine – Tadjikistan, celles des oléoducs et des gazoducs ouest-est, des trains de marchandises et des vols directs vers l’Asie Centrales, assimilées aux « caravanes modernes des nouvelles routes de la soie  ».

Autre critique adressée à Moscou, les déclarations du sommet ont, avec en arrière-plan l’agression de Moscou contre l’Ukraine, mentionné l’exigence du respect des frontières et de l’intégrité territoriale des pays souverains. En même temps, ciblant le prosélytisme démocratique occidental, elles ont réaffirmé la liberté de chacun à définir son propre système politique.

En Europe, vaste opération d’affichage pacifique au succès mitigé.

Au moment où, le 20 mai, après un passage controversé par le sommet de la Ligue Arabe , le Président Zelensky défiant Moscou s’affichait sur la photo du G7 à Hiroshima pour accélérer les livraisons d’armes à Kiev, en Europe se développait la nouvelle stratégie chinoise prônant la paix et le dialogue.

Ayant le projet de poser Pékin dans le rôle de médiateur pacifique contrastant avec le militarisme agressif et antirusse de Washington, la stratégie a d’abord été mise en œuvre par le Ministre des Affaires étrangères Qin Gang, qui, du 8 au 12 mai, a successivement visité la France, l’Allemagne et la Norvège.

La mission de bons offices a été suivie par l’arrivée à Kiev de Li Hui, ancien ambassadeur à Moscou chargé de la tâche, pour l’instant improbable en plein conflit, d’explorer les possibilités d’une médiation pacifique entre l’Ukraine et la Russie.

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L’offensive diplomatique du ministre Qin Gang visait à réparer les relations avec l’Europe, très tendues depuis le mise en sommeil au printemps 2021 de la ratification du traité sur les investissements signé à l’arraché par Angela Merkel en décembre 2020, dans un climat de défiance sino-européenne qui monte depuis 2018, Lire : Les vents contraires de la relation Chine – Europe & Chine – Europe. Symbole d’un risque de dislocation globale, l’horizon de l’accord sur les investissements s’obscurcit.

Le moins qu’on puisse dire est que la mission de Qin Gang, à peine dix jours après les déclarations à l’emporte-pièce de l’Ambassadeur en France Lu Shaye qui, dans une interview sur LCI du 21 avril 2023 avait douté de la légitimité souveraine des anciens pays du pacte de Varsovie, a reçu un accueil mitigé.

Alors qu’il faisait la promotion de la capacité chinoise à rester neutre, exhortant ses interlocuteurs à ne pas se laisser aller à une « nouvelle guerre froide  », à Paris il a, le 10 mai, été reçu avec bienveillance par Catherine Colonna qui, après avoir évoqué en privé la situation au Xinjiang, s’est publiquement limitée aux échéances futures de la relation bilatérale et à exhorter Pékin à faire pression sur Moscou pour l’inciter à respecter la charte des NU et à mettre fin à la guerre en Ukraine.

A Berlin en revanche, la ministre de AE Annalena Baerbock, qui était à Pékin à la mi-avril après le Président français, a directement interrogé la Chine sur sa neutralité et la réalité de ses intentions de médiation entre Kiev et Moscou : « Je me demande pourquoi Pékin n’a jusqu’à présent pas demandé à l’agresseur russe d’arrêter la guerre  ».

L’échange est resté tendu quand Qin Gang a mis en en garde contre la tentation d’infliger des sanctions à la Chine, alors même que la Commission européenne venait d’ajouter huit groupes industriels chinois à la liste noire d’un nouveau train de sanctions pour avoir fourni par le détour de Hong Kong des équipements à double usage civil et militaire à la Russie. Lire : Les circuits occultes de la fuite des microprocesseurs américains vers la Russie.

Moins d’une semaine après la tournée de Qin Gang en Europe, arrivait à Kiev Li Hui, l’envoyé spécial de Pékin, dans la foulée de l’échange téléphonique entre le Président Xi Jinping et V. Zelensky, le 26 avril dernier.

La difficile médiation de Li Hui. Questionnements américains et doutes des intellectuels chinois.

L’initiative de médiation chinoise a eu un effet direct à la fois sur les débats internes aux États-Unis où s’affrontent va-t’en guerre et modérés et sur les relations sino-américaines.

Les 10 et 11 mai, deux semaines après l’appel entre Xi Jinping et Zelensky eut lieu à Vienne une rencontre entre Wang Yi, Directeur central des AE du Parti et Jack Sullivan, le Conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche.

Signe qu’en dépit des tensions Washington et Pékin n’ont pas renoncé à se parler, la rencontre était l’échange diplomatique du niveau le plus élevé depuis la destruction par le Pentagone du ballon espion chinois, le 4 février dernier.

Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres.

Anticipant à tort un effet positif sur la relation entre le Chine et l’Occident, le 7 mai, le Wall Street Journal dont certains auteurs prônent la négociation, y compris en abandonnant les préalables des réclamations territoriales et du retrait des forces russes, écrivait : « L’intérêt pour les négociations amène Washington à s’aligner plus étroitement sur certains pays européens. Impatients de voir le conflit se terminer, ou à tout le moins diminuer d’intensité, ces derniers ont été plus déterminés à négocier une résolution cette année.  ».

Deux semaines plus tard, malgré les nuances suggérées par Paris, le communiqué du G7, influencé par les positions de Berlin, Tokyo et Washington, remettait le feu aux poudres de la relation en désignant clairement Pékin comme une menace systémique en Asie. [2].

*

Commencée le 16 mai, succédant à celle de Qin Gang, la mission de Li Hui en cours au moment de la rédaction de cette note (il devait se rendre à Bruxelles, en France, en Pologne et en Russie) n’a pas débuté sous les meilleurs auspices.

Critiquée par Josep Borrell « Nous savons que le Chine pratique une neutralité pro-russe  » elle a été ponctuée, 48 heures après l’arrivée à Kiev de Li Hui par une des salves de missiles les plus denses tirées sur la capitale ukrainienne depuis le début de la guerre, certains à partir de bombardiers stratégiques, tandis qu’à Pékin, les intellectuels chinois eux-mêmes exprimaient leur scepticisme.

Alors que Zelensky exige le retrait de ses troupes par Moscou, préalable à toute négociation, Wang Yiwei, professeur à l’Université du peuple expert des études européennes, estime que la requête est aussi irréaliste que d’attendre la victoire de l’un ou l’autre sur le champ de bataille. « La seule voie » dit-il « serait que Moscou et Kiev acceptent de faire des concessions initiales pour se retrouver plus tard, à mi-chemin ».

Vue sous cet angle, la mission de Li Hui paraît pour l’instant plus proche de la posture que d’une initiative réaliste. Pour autant si on prend la peine d’examiner la capacité d’influence chinoise sur le Kremlin et le vaste éventail des relations entretenues par Pékin avec Kiev, on constate qu’elle ne manque pas de pertinence.

Note(s) :

[1A Hiroshima, le « Groupe des sept ou G7 » - à l’origine (1975) un forum d’échanges et de partenariat économique d’obédience politique libérale dont, pour cette raison, ni la Chine ni la Russie pourtant membres du P5 (au total 15 000 Mds de PIB à eux deux, mais dont 90% sont chinois), ne font historiquement pas partie, rassemblait sur la photo officielle du 21 mai avec V. Zelensky, les 7 membres officiels, le Japon, le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume Uni et les États-Unis augmentés des deux représentants de l’Union Européenne (Charles Michel, Président du Conseil européen et Ursula Von der Leyen, La présidente de la Commission).

Réputés détenir près de 45% de la richesse mondiale, les « 7 plus  », dominés de très loin par les États-Unis (20 500 Mds de $ de PIB) et véhiculant souvent une image de domination du monde par le « grand capital », ils sont la cible d’une contestation de plus en plus marquée à la fois par le « Sud global  », les émergents, et les « altermondialistes  ».

Ces derniers qui s’expriment souvent avec violence lors des sommets des institutions internationales FMI, OMC, G8 puis G7 quand, après l’annexion de l’Ukraine en 2014, la Russie a été expulsée, regroupant des nébuleuses diverses écologiques, « antilibérales », contre la « tyrannie des marques » ou prônant la décroissance, ont surgi avec force sur le devant de la scène mondiale lors de la conférence de l’OMC les 29 et 30 novembre 1999 à Seattle.

Conscients des risques portés par la contestation multiforme qui monte, les membres du G7 ont pris l’habitude d’associer à leurs réunions des acteurs non occidentaux symboles des petits États laissées pour compte ou ceux dont la puissance démographique et la force de développement économique pèsent sur la situation géopolitique. Cette année étaient invités l’Australie, le Brésil, les Comores, les Îles Cook, l’inde, l’Indonésie, la Corée du sud et le Vietnam.

Sur le théâtre asiatique, la riposte au G7 s’affirme aussi par le biais de la vision culturelle et géostratégique anti-occidentale de la Chine autocrate. Portant depuis 2012 une pensée révisionniste de l’ordre politico-culturel occidental qui rejoint celle de la Russie, elle accuse ses voisins asiatiques japonais et coréens du sud associés au G7 et alliés de Washington de faire le lit de l’influence libérale et anti-chinoise des Occidentaux en Asie.

[2Dans son paragraphe « Questions régionales », après avoir reconnu la nécessité de coopérer avec Pékin, précisant que les « Sept » n’ont pas l’intention de brider le développement de la Chine, le Communiqué demande une fois de plus à Pékin de faire pression sur Moscou pour mettre fin à son agression contre l’Ukraine. En même temps, il dénonce l’ingérence des réseaux d’influence chinois et cible sans le dire les délocalisations industrielles, exhortant les membres à réduire les dépendances à la Chine de leurs chaînes d’approvisionnement.

Surtout, il condamne sans ambiguïté les atteintes aux droits au Tibet et au Xinjiang, la mise au pas politique de la R.A.S de Hong Kong, les revendications expansionnistes en mer de Chine du sud violant le droit de la mer et les harcèlements militaires contre Taïwan, menaçant la stabilité de toute la région.


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