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›› Editorial

Pékin à Canberra : « Ne touchez pas aux intérêts vitaux chinois. » Brutalité et fragilités chinoises. Limites des discours d’ouverture

Sans surprise, Pékin exerce des représailles commerciales.

En ciblant les exportations australiennes, le pouvoir chinois espère qu’en jouant sur l’attirance de son marché, destination de 25% du commerce extérieur de Canberra soit 103 Mds de $ en 2019 (dont près de 70% est constitué par des minerais – fer, charbon - et des dérivés pétroliers), il influencera les groupes d’intérêts pouvant peser sur la politique étrangère de Morrison.

Pour l’instant du moins, Canberra a adopté une posture intransigeante n’ayant pas varié depuis les premières passe-d ’armes d’avril dernier, Morrison expliquait que la puissance des relations bilatérales mutuellement bénéfiques pouvait supporter la mise au clair des défiances nées de la pandémie. Il ajoutait qu’à défaut de compromis avec Pékin, l’Australie pourrait trouver des marchés pour ses minerais ailleurs dans le monde.

Même si aujourd’hui la discorde est devenue plus globale, fortement attisée par une rivalité idéologique, ce n’est pas la première fois que les relations entre Canberra et Pékin sont perturbées autour du marché des minerais (lire : Les Chinois interviennent dans la bataille sur les minerais.).

L’analyse qui pointait du doigt une vulnérabilité chinoise, décrivait l’habileté tactique de Pékin pour réduire les conséquences de sa dépendance en matières premières, notamment en minerai de fer. La manœuvre avait consisté à gêner la constitution d’un géant australien du fer trop puissant.

Premier pays importateur de minerai de fer – 380 millions de tonnes en 2007 et plus d’un milliard de tonnes en 2019, soit +163% en moins de 15 ans -, la Chine craignait en effet que le rachat du Brésilien Rio Tinto par l’Australien BHP Billiton créerait un géant contrôlant plus de 30% du marché mondial, dont le monopole pourrait exercer des pressions sur les prix.

Pour l’heure Canberra qui se dit en mesure de résister aux pressions commerciales chinoises, se positionne au sein d’une mouvance de défiance à la Chine. Le 17 novembre, Morrison était à Tokyo où il a conclu avec Yoshihide Suga, un accord de défense bilatéral permettant une coopération opérationnelle des deux forces armées.

Le rapprochement opérationnel est une première, mais il s’appuie sur une série de traités déjà signés en 2007, 2013 et 2017 touchant aux relations logistiques et à la fourniture d’équipements militaires. Après l’accord sur le statut des forces signé avec Washington en 1960 autorisant le stationnement de bases militaires et le déploiement de 50 000 « GI » sur l’archipel, le traité conclu avec Tokyo est le 2Ie accord défense de nature opérationnelle signé par le Japon depuis 1945.

Mais, il y a plus. S’il est exact que Tokyo et Canberra ne sont pas l’un pour l’autre des alliés stratégiques de premier rang (voir l’annexe) leurs déclarations communes se situant dans la sphère démocratique portant les mêmes valeurs de liberté, de démocratie et d’État de droit, les positionnaient dans un camp clairement opposé à la Chine, dans une posture de vigilance face au risque d’élargissement de l’empreinte stratégique et culturelle chinoise en Asie.

*

Il reste que, pour l’heure au moins, l’alliance « Quad » n’est pas de taille à contrebalancer la force des ripostes commerciales chinoises, tant il est vrai que tous les voisins de Pékin se sont alignés derrière le fanal chinois du libre-échange porté haut par la signature à Hanoi, le 15 novembre dernier, du Partenariat économique régional : En l’absence de l’Inde, la Chine unique poids lourd du Partenariat Économique Régional.

L’Inde, poids lourd régional de l’Alliance, restée en marge du Partenariat, l’a dit par la voix d’un de ses anciens ambassadeurs, « aucun d’eux ne se donne les moyens de se déconnecter du marché chinois. » (…) « Leur dépendance est telle qu’au contraire, ils s’y investiront toujours plus. »

Le 20 novembre, lors de son adresse au sommet virtuel de l’APEC [2], fort de son succès au cœur d’une nébuleuse commerciale aux dimensions inédites, Xi Jinping, s’est de surcroît payé le luxe d’annoncer que Pékin rejoindrait le Trans Pacific Partnership, création de l’administration Obama dont la Chine avait d’abord été exclue en 2015 pour ses manquements aux règles du marché.

Abandonné en 2017 par D. Trump, le Partenariat avait été maintenu la tête hors de l’eau par le Japon et les 11 pays rescapés. En 2018, ces derniers l’ont ressuscité sous le nom de « Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership (CPTPP) », ou « TPP-11 » (entre 11 pays au lieu des 12 initiaux avant le départ des États-Unis).

Par sa proposition de joindre un traité dont la Chine avait d’abord été tenue à l’écart accusée de ne pas se conformer aux règles du marché de séparation de la politique et des affaires, Xi Jinping, déjà au cœur d’un autre gigantesque traité de libre-échange, affiche, avec un opportunisme teinté d’ironie, son intention de démontrer la prévalence des « caractéristiques chinoises » sur celles de l’Amérique.

Le discours faisait suite à celui prononcé le 19 novembre, également en vidéo-conférence à destination des Chefs d’État et de gouvernement de l’APEC dans lequel le n°1 chinois qui faisait l’apologie du libre-échange par contraste avec l’Amérique qui le renie. Il énumérait les efforts récemment consentis pas Pékin pour faciliter les investissements étrangers [3].

Les limites de l’ouverture.

L’habileté de la manœuvre consistant à présenter la Chine comme un parangon de l’ouverture commerciale alors que nombre de ses secteurs notamment dans les services sont seulement en train de s’ouvrir, est remarquable.

Des restrictions matérialisées par des contrôles stricts de l’État, par des quotas limites d’investissements et par l’obligation de s’associer à un partenaire chinois existent en effet toujours – entre autres - dans l’éducation, la santé (partenaire chinois obligatoire), le génie génétique dans l’agriculture, les télécommunications, les médias (contrôle obligatoire de l’État), l’automobile, le commerce en ligne, le stockage, le transport (investissements limités à 50%).

Ajoutons que, dans le système économique dominé par l’État chinois, les relations restent ambigües entre le Parti, le gouvernement, les entreprises (publiques ou privées) et la société civile.

Interrogés sur le sujet, les responsables des entreprises étrangères investies en Chine estiment en général que les pouvoirs publics donnent la priorité aux objectifs politiques que sont la prévalence absolue de la souveraineté nationale et la stabilité sociale au détriment des investisseurs étrangers y compris en violant le droit.

Contredisant le discours politique d’ouverture, la Banque Mondiale n’accorde à la Chine qu’une note de 1,75 sur 5 pour juger de l’efficacité des recours juridiques engagés contre les autorités administratives protestant contre les accès limités ou inexistants aux lois et règlements, l’absence de transparence et l’application sans concertation préalable de nouvelles mesures administratives.

Plus généralement, s’il est vrai que Pékin s’efforce de réduire les contraintes, la plupart des investisseurs étrangers se plaignent que les barrières ne tombent que quand la place est déjà prise par les intérêts chinois dont les positions sont difficiles à concurrencer, précisément du fait des défaillances citées plus haut.

Surtout certains indices mesurant l’équité ou le climat des affaires restent mauvais ou au mieux décevants. En 2019, l’ONG Tranparency International mesurant le niveau de corruption classait la Chine au 137e rang sur 180. Pour le climat des affaires, noté par la Banque Mondiale elle n’était qu’au 31e rang.

Les partenaires habituels de la Chine qui connaissent bien le pays comme les Japonais sont au mieux partagés, au pire méfiants, à l’instar de ce fonctionnaire resté anonyme, cité par Nikkei Asia :

« Que voulons-nous ? Retourner dans le monde d’avant Trump si d’aventure c’était possible ? Pour de nombreux décideurs à Tokyo, la réponse est probablement non, car avoir une stratégie mal mise en œuvre mais fondamentalement correcte [sous Trump] est mieux que d’avoir une stratégie bien mise en œuvre mais ambiguë. »

Wang Yi le MAE chinois a bien compris les enjeux. En voyage au Japon et en Corée du sud, du 24 au 27 novembre, il dit vouloir « sonder le terrain » et « consolider les liens avec deux alliés de Washington. »

Note(s) :

[2Créée en 1989, L’APEC (« Asia Pacific Economic Cooperation ») est un forum économique intergouvernemental visant à faciliter la croissance économique, la coopération, les échanges et l’investissement de la région Asie-Pacifique. Regroupant 21 pays, de la zone, il se réunit chaque année, alternativement dans chacun des pays membres.

En 2020, l’hôte virtuel était la Malaisie. Il n’est pas inutile de rappeler que l’épisode virtuel de cette année, opportunément utilisé par Chine pour affirmer sa prévalence commerciale à l’aune de ses propres critères contre lesquels Washington ferraille au moins depuis 2012, apparaît comme une embellie après plusieurs couacs successifs.

Le premier en 2018 à Port Moresby en Nouvelle-Guinée quand pour la première fois depuis la création du forum les participants n’avaient pas réussi à se mettre d’accord pour une déclaration commune, précisément du fait des tensions entre Washington et Pékin.

En 2019, le forum qui devait se tenir au Chili avait été annulé au milieu de protestations contre les violences policières et les inégalités et le coût de la vie.

[3En mars 2019, la nouvelle lois sur les investissements étrangers stipulait : Art 4 : Que les investisseurs étrangers seraient traités de la même manière que les Chinois, à l’exception des secteurs figurant sur la liste dite négative ; Art 16 : Que les étrangers pourraient participer aux appels d’offres publics ;

Art 17 : Que les entreprises étrangères pourraient émettre des obligations ou des actions pour financer leurs projets ; Art 22 : Que les transferts de technologies réclamées par des structures officielles de l’État seraient interdits ; Art 23 : Que les secrets commerciaux des investisseurs seraient protégés ; Art 26 : Que des mécanismes de plaintes seraient mis en place ;

Art 39 : Que manquements aux obligations et les abus d’autorité des fonctionnaires locaux seraient sanctionnés ; Art 40 : Que la Chine appliquerait le principe de réciprocité contre tout État appliquant des mesures restrictives contre les investissements chinois à l’étranger.


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