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Moody’s dégrade la note de la Chine, mais juge les perspectives chinoises « stables »

Revoilà les inquiétudes à propos de la dette chinoise. Le 23 mai dernier, l’agence de notation Moody’s Investor Service rétrogradait la note de la Chine de Aa3 (qualité haute ou bonne) à A1 (qualité moyenne supérieure), au même niveau que l’Arabie Saoudite, Israël ou le Japon.

Le commentaire de Moody’s anticipait « une érosion à brève échéance de la puissance financière et du potentiel de croissance, associée à une augmentation régulière de la dette ». Il ajoutait que « les tendances ne seront pas ralenties par le processus de réformes en cours pour assainir le système financier et ajuster l’économie au marché, ce qui augmentera le potentiel de risques contingents ».

Importante hausse de la dette depuis 2008.

Rappelons d’abord la nature du problème. Après la crise de 2008, les plans de relance massifs de la banque de Chine avaient enclenché un flot ininterrompu de liquidités ayant mécaniquement alimenté les dérives du crédit facile et la dette.

A la fin 2015, le ministre des finances Lou Jiwei, faisant le point de la situation des finances chinoises après la crise, avait reconnu que la dette chinoise avait augmenté de 15 000 Mds Yuan (2000 Mds d’€) par rapport à 2014, pour atteindre 27000 Mds de Yuan (3700 Mds d’€) dont 16 000 Mds de Yuan (2000 Mds d’€) émanaient directement des provinces, avec plus de 100 municipalités et 400 districts ayant franchi la ligne rouge d’un ratio dettes / revenus supérieurs à 100%, contre une moyenne nationale encore à 89%.

L’analyse du ministre suivait un rapport du McKinsey Global Institute (février 2015) qui révélait une explosion de la dette depuis 2007, au milieu d’un mouvement général d’endettement de la planète auquel peu de pays échappèrent. Selon le rapport, à 282% du PIB, la dette de la Chine était la plus lourde de tous les émergents et dépassait la plupart de celle des pays développés.

A y regarder de plus près, on constate cependant que la plus forte proportion de la dette pèse sur les entreprises (44%) et les banques (23%), tandis que celle des comptes publics de l’État, comparable à la dette des ménages à 38%, n’était que de 39,4%, très en-dessous des ratios européens (60%), américain (104%) et japonais (229%) [1].

L’importance du poids relatif de la dette des entreprises dans la dette chinoise explique que Moody’s ait aussi diminué la note de 26 entreprises publiques dont celle du géant pétrolier CNPC, du groupe public des Trois Gorges, de Guangzhou Metro Group et du motoriste Dongfeng.

Réaction du ministère des finances.

La baisse de la note de la Chine, la première depuis 1989 par Moody’s qui fait cependant suite à une baisse identique de la note chinoise par Fitch en avril 2013, a provoqué une réplique de Lou Jiwei pour qui la cotation procédait d’une « surestimation » des difficultés de l’économie chinoise et une « sous estimation » des capacités de l’État à mettre en œuvre une politique de l’offre efficace visant à réduire les régulations excessives et le poids des taxes sur les entreprises. Selon lui, les risques liés à la dette resteront contrôlables à court et moyen terme.

La réalité est que, conscient des risques, plusieurs fois rappelés par la Banque Mondiale en 2016, le gouvernement s’applique à éteindre toutes les mèches pouvant conduire à un enchaînement néfaste telles qu’une épidémie de faillites d’entreprises majeures connectées au marché international. Récemment la Commission de régulation boursière a sévèrement réprimé les investissements à risques financiers, tandis que la Banque Centrale a, par 2 fois, augmenté les taux d’intérêt à court terme.

En mars, le ministre du commerce Zhong Shan et Zhou Xiaochuan, le Directeur de la Banque Centrale, ont pesé de tous leurs poids pour faire cesser les investissements débridés à l’étranger dont certains affectent l’image de la Chine tandis que d’autres ne sont qu’une couverture de la fuite de capitaux dont le rythme s’est accéléré après la crise boursière de juillet 2015 [2].

Sérieuse remise en ordre du secteur financier.

Enfin, depuis février 2016, supervisées par Xi Jinping qui exige de réduire les risques, les 3 commissions de contrôle des finances et des assurances ont reçu des directives de sévérité et leurs chefs ont été remplacés.

A la tête de la Commission boursière, Liu Shiyu 刘士余 qui vient de la mouvance Zhu Rongji et proche du Zhou Xiaochuan a succédé à Xiao Gang. Un an plus tard, en février 2017, Guo Shuqing 郭树清, un réformateur intraitable venant du même sérail réformateur prenait la tête de la Commission de régulation bancaire, à la suite de Shang Fulin.

En avril 2017, Xiang Junbo 项俊波 patron de la Commission des assurances et membre du Comité Central tombait pour corruption, accusé de surcroît d’être le principal responsable du dérèglement du secteur assurances. A la faveur de la jungle qu’il avait laissé se développer, des groupes privés comme Anbang ou Foresea Life - 前海- accumulèrent de considérables profits, provoquant un explosion des avoirs des compagnies d’assurance qui passèrent de 6000 à 15 000 Mds de Yuan en 5 ans (800 à 2000 Mds d’€).

Ces soudaines fortunes furent à la racine de comportements erratiques de groupes chinois à l’étranger condamnés par le pouvoir. Lire La nouvelle agressivité des groupes chinois à l’international mise en perspective.

*

A l’intérieur, la dérégulation fut à la racine de la fortune du milliardaire Yao Zhenhua, 47 ans 姚 振 华, patron des assurances Qianhai 前海 ou Foresea qui, après plusieurs opérations juteuses lança une OPA hostile contre le groupe immobilier Vanke.

Dans la dernière livraison de China Leadership Monitor, Barry Naughton décrit les risques d’opérations alimentées par des emprunts à court terme de Yao. Tirant profit des dérégulations autorisées par Xiang Junbo et promettant d’importants profits aux clients de son assurance vie, source de sa considérable fortune, Yao fut perçu par le pouvoir et une partie de l’opinion comme un prédateur financier s’appropriant des sociétés bien gérées comme Vanke.

Résultat, la Commission de régulation boursière bloqua l’OPA, Yao fut exclu du secteur des assurances pour 10 ans, tandis que les assurances Qian Hai durent cesser de vendre des « assurances universelles », en réalité considérées par les régulateurs comme des « produits » financiers à risques.

Ces derniers associaient la prime normale de décès à des promesses de retours sur investissements de 4 à 8% générés par des produits financiers pouvant toucher à la finance grise et à des titres boursiers. L’interdiction de ces produits par lesquels les assureurs utilisaient les versements des particuliers pour leurs financements de court terme, a mis plusieurs assureurs en difficulté.

Faibles risques de crise, mais probable chute du Yuan.

En même temps, l’œil rivé sur l’harmonie sociale, le pouvoir se préoccupe de préserver la croissance. En septembre 2016, le magnat de l’immobilier Wang Jianlin plus grande fortune de Chine avait, dans une interview à CNN, décrit les contradictions d’une situation où l’accumulation des dettes créait une situation toxique, tandis que des mesures correctives trop brutales ou prises trop tôt pouvaient déclencher une crise systémique.

A long terme, la direction chinoise qui dispose cependant du solide avantage que la dette n’est en grande majorité pas exposée aux marchés financiers, continuera de piloter l’économie entre ces deux écueils. Selon la BNP, une crise systémique reste improbable. Le jugement est confirmé par l’appréciation des perspectives chinoises par Moody’s qui les estime « stables ».

Quant aux conséquences à court et moyen terme de la décision de Moody’s, elles se développent alors que se confirme le faible succès des obligations émises par les banques d’État, malgré un rebond depuis l’automne 2016 et leur insensibilité à la décote, tandis que le resserrement du crédit a tendance à éloigner les investissseurss du marché chinois.

Le Wall Street Journal estime qu’à l’extérieur, la décision de Moody’s pourrait compliquer la quête de capitaux par les entreprises opérant à l’étranger ainsi que le reboursement de leurs créances ; elle pourrait également exercer une pression à la baisse sur le Yuan en dépit des efforts de la Banque Centrale pour le maintenir à niveau [3].

Lire aussi Risques financiers et pilotage macro-économique. Entre relance et rigueur.

Note(s) :

[1Selon la banque des règlements internationaux fin 2016, la dette des entreprises chinoises s’élevait à 170% du PIB, en hausse de 70% par rapport à 2008, soit le double de la moyenne des économies développées.

[2En mars dernier, une proposition d’1 milliard de $ de Dalian Wanda pour racheter les productions Cick Clarck producteur des Golden Globe Awards, a brutalement été retirée (lire notre article Main basse sur le cinéma chinois à Qingdao. et Wang Jianlin cible un projet phare du « Grand Paris ».

En juin 2016, ce sont les assurances Anbang, liées au pouvoir chinois et dont la structure de capital est opaque qui retirèrent soudain leur offre de 14 Mds de $ pour la rachat de la chaîne d’hôtels Starwood.
Lire notre article La nouvelle agressivité des groupes chinois à l’international mise en perspective.

Autre exemple à moindre échelle, à l’automne 2016, le groupe métallurgique Anhui Kinke se retira d’une négociation à 350 millions de $ avec Voltage Pictures, producteur de films américain.

[3Après avoir été constamment à la hausse depuis 2007 par rapport au $, la monnaie chinoise baisse depuis l’été 2015. Selon un trader chinois à Shanghai, sans l’intervention de la Banque centrale, le Yuan aurait sérieusement plongé après le 23 mai. La plupart des analystes anticipent que malgré les efforts du régime pour freiner la baisse, celle-ci ne cessera pas. D’ici un an la valeur du Yuan pourrait se rapprocher de 7 Y pour 1 $. Si c’était le cas, la monnaie chinoise retomberait à la valeur qu’elle avait au premier trimestre 2008.


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