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Ma Ying-jeou et Tsaï Ing-wen en quête du futur de l’Île

Tsai Ing-wen explore les limites de la liberté internationale de l’Île.

Le 5 avril à 10 000 km de la côte Est de la Chine, Tsai Ing-wen, ignorant les menaçantes mises en garde de Pékin, rencontrait à Simi Valley, 60 km au Nord-ouest de Los Angeles, le Sénateur Kevin Mc Carthy, 60 ans, Républicain, Président de la Chambre des représentants.

Successeur de la Démocrate Nancy Pelosi qui en août dernier avait déclenché la fureur et les foudres balistiques de Pékin en se rendant à Taipei, Mc Carthy est aussi un contempteur de Pékin et un soutien affiché de Taïwan harcelé par les menaces du Continent.

Alors en baisse dans les intentions de vote, mais en partie reconduite pour un deuxième mandat à la tête de l’Île en 2020 à la suite de la mise au pas systématique de la mouvance démocrate à Hong Kong par Xi Jinping en 2019 (lire : Hong Kong : l’Art 21 sur la sécurité nationale, arme absolue de Pékin contre les émeutiers démocrates. Les juges de la R.A.S. résistent-ils ?), Tsai a salué le « partenariat solide et unique » de l’Île avec l’Amérique, tandis que et McCarthy déclarait que les ventes d’armes à Taiwan devaient se poursuivre.

En même temps, versant de l’huile brûlante sur le feu, le 6 avril, 24 heures seulement après la rencontre entre Tsai et McCarthy, une délégation bipartisane du Congrès en tournée en Asie arrivait à Taipei après des étapes en Corée du sud et au Japon, avec la ferme intention d’affirmer le soutien des États-Unis à l’Île.

La déclaration sans équivoque du sénateur républicain McCaul, président de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre qui a rencontré Tsai de retour de Californie était de nature à raviver la colère de Pékin. « Nous sommes ici pour signaler au Parti communiste chinois que les États-Unis soutiennent Taïwan et qu’il réfléchisse à deux fois avant de décider d’envahir Taïwan  ».

Alors que l’hostilité américaine à la Chine de Xi Jinping traverse tout le spectre politique américain, tandis que des manifestations d’expatriés chinois et Taïwanais partagées entre pro et anti Taïwan se mobilisaient à Los Angeles, Pékin a, le 7 avril, sanctionné le Hudson Institute et la Bibliothèque Ronald Reagan.

Ayant fourni la plateforme d’accueil de Tsai Ing-wen aux États-Unis, dit le Waijiaobu, ils sont interdits de toute coopération et échange avec des institutions et des officiels chinois. Leurs personnels sont privés de visas et leurs éventuels actifs en Chine sont gelés.

Depuis le 5 avril, le porte-avions de l’US Navy Nimitz croisant à quatre cents nautiques à l’Est d’Île, surveille le porte-avions Shandong et son groupe aéronaval venus dans les parages de Taïwan depuis la base de Yulin à Hainan par le canal de Bashi au nord de Luzon.

Ce n’est pas fini, le 8 avril, le Commandement du théâtre d’opérations de l’Est, annonçait trois jours d’exercices militaires autour de l’Île. Baptisée « 联合利剑 » 演习 – « Exercices “Épée tranchante“ unie », la manœuvre de grande ampleur est, selon le communiqué du Commandement de la zone Est, « Un exercice obligé et une sérieuse mise en garde contre les forces séparatistes taïwanaises qui, en collusion avec les forces étrangères menacent l’intégrité territoriale de la Chine. » [2].

Mais plus que la rencontre avec Mc Carthy, c’est la venue des parlementaires à Taïwan qui pourrait à nouveau enflammer la vindicte chinoise. Dans ce contexte, il faut mettre en perspective le rapprochement manifeste entre le DPP de Tsai Ing-wen et Washington en l’observant par le truchement de l’opinion taïwanaise.

Ce travail existe. Publié le 6 avril par la Brookings, il a été réalisé par Alastair Ian Johston, professeur de stratégie chinoise à Harvard, Tsai Chia-hung, professeur de sciences politiques et de relations internationales à l’Université Nationale de Taïwan et George Yin, professeur assistant au Centre Fairbank d’études chinoises de Harvard.

L’inconfort des Taïwanais.

L’analyse repose sur une série d’enquêtes d’opinions effectuées entre septembre 2022 et janvier 2023, dont les réponses révèlent qu’en général la trajectoire de Tsai Ing-wen se rapprochant de Washington suscite plus d’inquiétude que d’apaisement.

« Une proportion importante d’électeurs taïwanais s’inquiètent d’être piégée par les États-Unis. S’il est vrai qu’en fonction des partis, il existe des nuances à ce sentiment, le fait est que les partisans du Kuomintang (KMT) et les indépendants craignent que la convergence entre le Parti démocrate progressiste (DPP) et des États-Unis au sein de la rivalité stratégique sino-américaine rende Taïwan moins sûr. » Les auteurs ajoutent que « Le souci s’est aggravé après la visite de Nancy Pelosi à Taïwan, en août 2022. »

L’enquête a posé 4 types de questions.

1re question : « Les exercices militaires chinois après la visite de Nancy Pelosi étaient-ils une sérieuse menace ? ».

Au KMT, 70,5% ont répondu que la menace était « sérieuse » ; Au DPP les réponses sont au même niveau à 70,1%. Chez les « Indépendants » (ni KMT, ni DPP) la proportion, à peine plus faible, est à 67,3%.

2e question : « Quel a été l’impact de la visite de Nancy Pelosi sur la sécurité de l’Île ? ».

Globalement, tous partis confondus, 62% ont considéré que la visite a rendu l’Île moins sûre. Seulement 30,3% ont considéré qu’elle avait amélioré la sécurité.

3e question : « Les valeurs américaines et de l’Île sont-elles identiques ? »

Seulement 11,5% des électeurs du KMT et 19,1% des Indépendants estiment qu’elles sont identiques alors qu’au DPP ils sont 50,6%. Globalement il est remarquable que près de la moitié des Taïwanais (49,4%) estiment que leurs valeurs ne sont pas les mêmes que celles des Américains.

4e question : « Quelles sont les raisons de l’instabilité dans le Détroit ? »

Cinq raisons ont été invoquées : 1) Taïwan a négligé sa défense : 56,8% ; 2) L’ambiguïté stratégique américaine : 58,4% ; 3) Le désir de Pékin d’imposer une réunification forcée : 68,5% ; 4) L’augmentation de désir d’indépendance à Taïwan 59,5% ; Disparition de l’ambiguïté stratégique américaines : 55,5%.

Les raisons de l’instabilité sont variables en fonction des partis.

1) Pour les électeurs du DPP le facteur « négligence de la défense » est le plus important à 59,5%. En revanche pour le KMT et les Indépendants, il ne recueille respectivement que 35,6% et 37,4% des réponses.

2) Il est remarquable que presque la même proportion de réponses considère qu’une des causes de l’instabilité est « l’ambiguïté stratégique américaine » (58,4%), alors qu’une proportion à peine moindre (55,5%) estime à l’inverse que l’instabilité est causée par sa disparition.

3) Toujours à propos de « l’ambiguïté américaine  », un clivage apparaît aussi sur la question de l’envoi de troupes au sol par Washington : 51,9% des électeurs du DPP pensent que Washington devrait clairement lever l’ambiguïté, contre seulement 36,7% au KMT et 38,7% chez les Indépendants.

4) La responsabilité de Pékin influant sur l’instabilité par son désir d’imposer à toute force la réunification fait également débat. Au KMT, elle n’est retenue que par 57,7% des électeurs, quand ils sont 85,2% au DPP et 56,3% chez les Indépendants. La moyenne générale est cependant élevée, puisque 2 électeurs sur trois, 66,4%, attribuent à Pékin la responsabilité des crises dans le Détroit.

5) Enfin l’instabilité est également attribuée à des degrés divers à l’évolution de Washington vers une reconnaissance de l’existence de deux Chines. C’est le cas chez 64,1% des électeurs du KMT, pour 51,4% des Indépendants et 48,4% des partisans de Tsai Ing-wen.

*

De cette exploration des sentiments des Taïwanais à l’égard des Américains et de la Chine, trois conclusions s’imposent.

1) Le risque existe que l’excès d’implication américaine aux côtés du DPP pourrait être contreproductif. Cette perspective est exprimée dans le titre de la Brookings : « When might US political support be unwelcome in Taiwan ? A partir de quand le soutien politique américain pourrait-il ne plus être le bienvenu à Taïwan ?  »

2) La contradiction menace d’autant plus d’affaiblir la cohésion stratégique entre Taïwan et Washington, qu’il existe un hiatus dans l’appréciation d’une proximité culturelle entre l’Amérique et l’Île où près de 50% des électeurs considèrent que les « valeurs  » de l’Île sont différentes de celles des États-Unis.

3) Une forte majorité de la population, tous partis confondus estimant que l’instabilité dans le Détroit est due à l’affirmation chinoise de réunification à toutes forces, Pékin doit, en amont des élections présidentielles du 13 janvier 2024, prendre conscience que l’accumulation des menaces éloignera les Taïwanais du Continent, renforçant mécaniquement l’audience du parti de Tsai Ing-wen.

Note(s) :

[2Peu après l’annonce, qui définissait le but de l’exercice comme un « entrainement à la prise de contrôle d’un espace aéroterrestre par des moyens interarmées », la défense taïwanaise signalait la présence huit navires et de 42 chasseurs de combat au-dessus du Détroit, dont une trentaine avaient franchi la ligne médiane.


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