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›› Editorial

« Le cavalier seul » d’Olaf Scholz à Pékin. Un exercice imposé du modèle économique allemand

Le 4 novembre, le Chancelier Olaf Scholz, conscient que 47,6% du PNB allemand reposent sur les exportations dont la part asiatique augmente – 15% de ses exports et 20% de ses importations avant la pandémie - était à Pékin, son troisième partenaire derrière l’Europe et les États-Unis (la France restant, au sein de l’UE, son 2e partenaire commercial derrière les États-Unis.)

Au-delà des polémiques sur l’absence de solidarité et les risques de découplage franco-allemand, le message qui fera date et a déjà valeur d’exemple pour Paris, est que la stratégie à l’égard de la Chine ne peut pas s’enfermer dans l’idée d’un « découplage ».

Au milieu des tensions surgies de la pandémie et de la guerre en Ukraine, à l’origine de la hausse des prix de l’énergie, alors que la Chine tente d’affirmer sa prévalence stratégique en se tenant sans le dire à distance de la Russie, le pragmatisme économique exige à la fois de ménager les liens commerciaux avec la Chine, la fermeté à l’égard de ses captations technologiques et la diversification du commerce pour échapper au chantage au « grand marché chinois ».


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Début novembre, Olaf Scholz était le premier chef de gouvernement occidental à se rendre en Chine depuis la crise pandémique et le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Même si le Chancelier a habillé sa visite d’un discours évoquant une entremise chinoise dont il pourrait être l’initiateur en faveur d’un arrêt des combats en Ukraine, l’objet de la visite en Chine était avant tout de restaurer la base de puissance industrielle de l’Allemagne malmenée par la crise pandémique et la dégradation des relations avec la Russie.

La tension entre ces deux objectifs, l’un affiché d’une médiation allemande auprès de la Chine pour qu’elle s’investisse dans l’apaisement du conflit en Ukraine, l’autre à l’évidence le plus important, destiné à renouer avec la proximité entre Pékin et Berlin d’Angela Merkel très orientée à l’export, est apparue dans les déclarations de Xi Jinping.

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Aux appels officiels d’Olaf Scholz qui évoquait la responsabilité de grande puissance de Pékin, le président chinois n’a répondu que sur le mode général et édifiant des discours stéréotypés de l’appareil présentant son pays, comme le promoteur global de la paix. Mais il s’est gardé de critiquer Moscou et encore moins d’appeler Vladimir Poutine à stopper son « opération spéciale ».

Une dépêche de Xinhua qui s’appliquait à souligner la « sagesse » philosophique à large spectre du n°1 chinois, était sans équivoque. En accueillant Olaf Scholz, le souci de Xi Jinping n’était pas l’Ukraine. L’intention était avant tout de restaurer la qualité de la relation avec Berlin.

Destinée en premier lieu à renforcer à l’intérieur l’image d’un Xi Jinping vertueux et visionnaire décrite dans la collection de ses discours en trois volumes (en français : « La gouvernance de la Chine », en chinois : « 习近平谈治国理政(習近平新時代中國特色社會主義思想 ») (Cf. l’Annexe), Xinhua rapporta la réponse du président chinois en énonçant l’évidente banalité « qu’il était facile de détruire la confiance politique, mais très difficile de la reconstruire. »

Soucieux de souligner que le dialogue avait porté sur la guerre en Ukraine, Olaf Scholz expliqua aux médias que, comme lui, Xi Jinping condamnait la menace russe d’utilisation de l’arme nucléaire, dont, a-t-il dit, « la mise en œuvre franchirait une ligne rouge tracée par l’ensemble de la communauté internationale. ». Mais, lors du déjeuner, ramenant aussitôt son propos à la relation bilatérale, le Président chinois a rappelé que Berlin et Pékin avaient la responsabilité de restaurer l’image abimée d’une relation bilatérale privilégiée.

Une visite officielle bienvenue pour Pékin.

Pour Xi Jinping, la visite officielle d’Olaf Scholz est une bonne aubaine. Elle compense l’embarras de Pékin gêné par sa proximité affichée avec Vladimir Poutine, dont l’agression contre l’Ukraine a, le 16 novembre, été condamnée par l’ensemble du G.20 y compris les émergents (*). Sur la photo de droite qui date de juin 2018, prise au Grand Palais du Peuple, Xi Jinping remet à Vladimir Poutine la « première médaille de l’amitié de la République populaire ».

(*) Après d’âpres négociations, les termes de la déclaration du G.20 sont explicites et isolent Moscou : « La plupart des membres ont fermement condamné la guerre en Ukraine et ont souligné qu’elle cause d’immenses souffrances humaines et exacerbe les fragilités existantes de l’économie mondiale – freinant la croissance, augmentant l’inflation, perturbant les chaînes d’approvisionnement, tout en exacerbant à la fois l’insécurité énergétique et alimentaire et les risques pour la stabilité financière. »


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Accueillant Olaf Scholz, Xi Jinping mesurait toute l’importance de la visite pour contredire les analyses géopolitiques d’une Chine isolée face à l’Occident principale destination de ses exportations.

S’il est exact que le commerce extérieur de la Chine a sévèrement reculé au premier semestre 2022, en 2021 en revanche, l’UE et les États-Unis étaient toujours les principales sources de ses vastes excédents commerciaux ayant atteint les records de 249 Milliards d’€ avec l’UE et de 396 Mds de $ avec les États-Unis.

Patiemment construit par le volontarisme commercial d’Angela Merkel qui, durant ses seize années de mandat a effectué douze visites en Chine où elle rencontrait Xi Jinping et Li Keqiang avec qui elle avait, dit-on en Occident, noué une relation de complicité, l’intense courant d’échanges qui proposait au marché chinois les véhicules allemands haut de gamme, un éventail impressionnant de machines-outils informatisées et la puissance de son industrie chimique, avait placé Berlin dans une position d’exception face à la Chine. Lire : Chine – Allemagne – Europe. Le grand malentendu.

L’Allemagne était devenue son seul grand partenaire en mesure d’afficher avec Pékin un fort excédent commercial, alors même que le vaste déséquilibre des échanges avec l’Amérique avait été la première mèche fiscale allumée par Donald Trump en 2017 du conflit commercial sino-américain aujourd’hui dilaté en une incandescente rivalité géostratégique.

Premiers doutes. Premières défiances.

Lorsqu’en février 2018, le Chinois Geely déjà propriétaire de Volvo a annoncé une prise de participation de 10% dans Daimler, propriétaire de Mercedes-Benz, il a provoqué un choc sans précédent dans les milieux d’affaires et la classe politique allemande.

Un des commentaires les plus significatifs des réactions allemandes fut celui de l’économiste Kerstin Andreae député des « Verts » : « Ce qui est dérangeant est que Geely s’introduit subrepticement dans le capital de Daimler, sans que personne ne l’ait vu venir ». (…) « Un beau jour le PDG de Daimler s’est réveillé en constatant qu’il avait dans son capital un nouvel actionnaire modifiant considérablement la structure de propriété de l’entreprise ».


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Dès 2016, apparurent les premières inquiétudes allemandes liées à l’entrisme chinois dans le secteur des hautes technologies et en même temps la crainte que l’extrême enchevêtrement commercial entre Berlin et Pékin menace la cohésion européenne.

Pour autant, les actuelles critiques françaises fustigeant « le cavalier seul allemand » en Chine oublient qu’au moment même où Berlin commençait à prendre conscience du « risque stratégique chinois », le premier ministre français Jean-Marc Eyraud était en visite à Pékin. Lire : La Chine, l’Europe, l’Allemagne et la France.

Lui aussi recherchait des débouchés sur les marchés publics chinois. En plus, fort d’une longue expertise nucléaire civile il explorait la possibilité d’une coopération à l’export pour la vente de centrales nucléaires, ultime tentative française pour sauver une coopération franco-chinoise vieille de trente années. Lire : Coopération nucléaire franco-chinoise : une page se tourne.

En Allemagne, la page chinoise de la stratégie allemande d’Angela Merkel en Chine avait semblé se tourner quand à la Conférence de Sécurité de Munich de février 2018, le ministre des Affaires étrangères Sigmar Gabriel avait mis en garde contre les risques que la proximité sino-russe sape l’unité européenne.

En même temps, stigmatisant l’Occident pour ses divisions et son absence de vision, appelant l’Europe à rester unie, il soulignait la « tentative de la Chine de façonner le monde selon ses intérêts développant, au-delà des relations commerciales, une alternative systémique globale au modèle occidental ».

En mars 2019, recevant à l’Élysée le Président Xi Jinping, le Chef de l’État français qui s’était entouré de Jean-Claude Junker, président de la Commission à Bruxelles et de la Chancelière Angela Merkel avait, face aux menées chinoises dans les PECO et en Grèce, tenté d’afficher, une cohésion européenne, en signifiant à son homologue chinois que l’Europe considérait la Chine comme un « rival systémique ». Lire : Face à Pékin, la solidarité hésitante de l’Europe.

Tel est le contexte encore aggravé par les critiques politiques internes à Berlin qui, trois ans plus tard, a entouré le voyage d’Olaf Scholz à Pékin, dont la première intention financière et commerciale était attestée par la présence dans sa délégation de douze grands patrons d’industries dont les PDG de Volkswagen, de la Deutsche Bank, de Siemens et de BASF.

A Pékin, ils rencontrèrent leurs homologues chinois à huis-clos. Parmi eux Geely Automobile, Sense Time group en pointe en Chine dans le secteur de l’Intelligence Artificielle et la Banque de Chine. Selon des sources proches du dossier les industriels allemands auraient critiqué les rigidités de Pékin face aux risques épidémiques. Il faut dire qu’à leur arrivée ils durent se soumettre, alors qu’ils n’avaient pas encore été autorisés à débarquer, à un contrôle épidémique par une équipe vêtue de combinaisons de protection.


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