›› Editorial

La présidente de la Chambre des Représentants américaine, Nancy Pelosi est arrivée à Taïwan le mardi 2 août dans la soirée, à bord d’un avion présidentiel Air-Force One. Elle en est repartie le 3 août après avoir rencontré la présidente Tsai. Peu après son arrivé, elle a affirmé que « la solidarité de l’Amérique avec les 23 millions de Taïwanais était plus importante que jamais, au moment où les démocraties sont confrontées au défi des autocrates. »
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Le 4 août, 24 heures après le départ de Nancy Pelosi, le Parti communiste chinois au pouvoir à Pékin depuis 1949, mettant à exécution ses menaces, a annoncé que les représailles militaires contre Taïwan avaient commencé à 04h00 GMT (06h00, heure de Paris).
Les vastes démonstrations de forces (tirs de missiles armés, intrusions de chasseurs de combat et manœuvres navales dans le Détroit et autour de l’Île) qui doivent durer jusqu’au dimanche 7 août 4h00 GMT, ripostent à l’accueil réservé dans l’Île par Tsai Ing-wen à la Présidente de la chambre des représentants.
Troisième dans l’ordre protocolaire américain, Nancy Pelosi, qui par le passé s’était souvent signalée par ses critiques des abus du régime chinois, est venue dans l’Île à bord d’un avion présidentiel « Air Force One », ce qui affaiblit l’argument de la Maison Blanche selon lequel la visite était complètement déconnectée de l’exécutif.
En réalité, Pékin réagit à la perception qu’en dépit des démentis de Washington, les États-Unis s’éloignent de plus en plus de l’esprit et de la lettre des Trois Communiqués (voir le § « Les Trois communiqués » de notre article Les nouvelles eaux mal balisées de la question de Taïwan qui analysait à la fois les critiques de généraux chinois contre l’obsession « réunificatrice » du Parti et la montée des tensions, conséquence de la variété et du niveau des contacts entre Washington et Taipei.)
Ce n’est pas la première fois que Pékin exprime une brutalité militaire sans nuance dans le Détroit.
En 1995, déjà, l’appareil avait réagi à ce qu’il avait analysé comme un éloignement de la « Politique d’une seule Chine » par Lee Teng-hui quand il était retourné à l’Université Cornell, dans l’État de New-York, sur ses traces d’étudiant aux États-Unis [1]. Lire : Deux heures d’échanges téléphoniques tendus entre Joe Biden et Xi Jinping. Vers la 4e crise de Taïwan ?.
Une deuxième salve de missiles, tirée une année plus tard, réagissait à son élection à la présidence au suffrage universel direct, vu par l’appareil à Pékin, comme le principal ferment idéologique d’une rupture probable.
Mais aujourd’hui, les démonstrations de force ont une ampleur bien plus vaste, au point que – faisant référence à la mise en garde de Xi Jinping à Joe Biden, le 27 juillet dernier - on peut se demander qui « joue avec feu. », tant il est vrai que ni Washington, ni Pékin n’ont l’intention de déclencher une catastrophe globale.
Une puissante montée en gamme des menaces.

La carte montre en rose les zones des frappes de 2022, comparées à celles en gris de 1995 – 1996. Le contraste montre à quel point la 2e artillerie missiles a désormais confiance dans la précision de ses armes. Les tirs autour de l’Île suggèrent que Pékin teste sa capacité à l’enfermer dans un blocus. Si c’était le cas à l’avenir Washington serait contraint de réagir en vertu du Taïwan Relations Act disposition de droit interne adoptée par le Congrès en 1979 qui contraint l’exécutif à ne pas rester interne en cas d’agression chinoise non provoquée par un déclaration d’indépendance.
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Alors qu’en 1995, les trois zones de frappe des missiles inertes étaient alignées le long des côtes continentales empiétant à peine sur la ligne médiane du Détroit, cette fois, les onze missiles bel et bien armés de la série DF-21 connus pour leur précision et leur portée de 2100 km dont au moins quatre ont survolé l’Île [2], frappent six zones entourant l’Île de toutes parts, certaines empiétant même sur les eaux territoriales au nord et au sud.
En même temps, selon Xinhua, plus d’une centaine d’aéronefs - les chiffres américains sont de seulement d’une soixantaine d’appareils - et dix bâtiments de combats frégates et destroyers, probablement armés de missiles anti-navires supersoniques, ont fait de multiples mais brèves incursions au-delà de la ligne médiane du Détroit. Le 4 août, une réaction de la marine de l’Île aurait obligé des bâtiments de combat chinois à rebrousser chemin.
L’incident fait craindre au Pentagone le déclenchement par accident d’une confrontation directe entre Taïwan et le Continent, même si en dépit des postures, il apparaît – ce qui montre une retenue - qu’ayant franchi la ligne médiane, avions et navires de combat chinois n’ont pas pénétré dans les eaux territoriales et dans l’espace aérien taïwanais.
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Il reste que si on considère que les notifications d’exercices à tirs réels du ministère de la défense chinois perturbent sérieusement le trafic aérien et maritime dans la zone, il apparaît que, par ses exercices d’une ampleur inédite, Pékin teste en réalité ses capacités à mettre en place un blocus autour de l’Île.
Alors que les 4 et 5 août, plusieurs compagnies aériennes dont Singapour Airlines, Asiana, Korean Air ont détourné ou annulé leurs vols, l’hypothèse d’un exercice de blocus est attestée par l’embargo décidé par Pékin sur l’exportation en Chine d’une centaine de produits alimentaires et agricoles taïwanais, touchant de plein fouet les producteurs et les intermédiaires commerciaux. En même temps, Pékin a stoppé ses exportations de sable à l’Île, une mesure qui frappe directement l’industrie du verre à Taïwan.
Alors que la Direction chinoise continuait à promettre « les abysses » aux Taïwanais s’ils continuaient sur la voie séparatiste, la Maison Blanche ayant décidé de prolonger la présence dans la zone du groupe aéronaval Ronald Reagan, affirmait que, si nécessaire, Washington réagirait, sans préciser comment, pour dégager l’Île de l’isolement imposé par Pékin.
Note(s) :
[1] En réalité, la trajectoire politique de Lee Teng-hui a, au cours de sa vie politique, clairement évolué vers une pensée séparatiste très opposée à celle du régime de Pékin (lire notre article : Le « père de la démocratie taïwanaise » est mort).
[2] A ces nouvelles, la population de Taïwan est restée placide et les autorités n’ont pas déclenché les sirènes d’alertes comme certains, dont le maire de Taipei Ko Wen-je, le réclamaient. Alors que la Présidente Tsai qui dénonçait « le voisin maléfique 惡的鄰居 » qui, à sa porte- « 我 們家門口 » montre sa force « 炫耀她的力量 », assurait que Taïwan ne chercherait pas le conflit, mais protègerait sa sécurité nationale et son intégrité territoriale, le ministère de la défense de l’île annonçait que la trajectoire balistique des missiles, hors atmosphère, ne posait aucune menace au sol.
En même temps, Mark Liu, PDG de TSMSC, le n°1 mondial des semi-conducteurs avec 64% du marché, déclarait qu’en cas d’invasion de l’Île par la Chine, la rupture des contacts extérieurs indispensables dans cette industrie rendrait le secteur inopérant à Taïwan et réduirait à néant les exportations vers la Chine. La rupture de l’approvisionnement en “puces” par un conflit déstabiliserait les industries de haute technologie de la planète.
Dans un entretien sur CNN avec Fareed Zakaria, Liu a comparé un possible conflit à Taïwan à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, déclarant que, même si les deux conflits étaient très distincts, l’impact économique sur le monde serait identique.