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Espoirs et déceptions des travailleurs migrants à Shanghai

"Un samedi soir d’affluence, Shouzhua était parvenu à faire entrer discrètement Guo Tai et Min An dans le restaurant ; ils ne travaillaient pas après vingt heures cette nuit-là à cause d’un accident sur leur chantier, trois mingong morts dans l’effondrement d’une grue, la Sécurité publique était intervenue contre toute attente et avait ordonné la fermeture du chantier jusqu’à nouvel ordre, c’est-à-dire tant que les promoteurs n’auraient pas versé un gros quelque chose aux différents responsables du commissariat de quartier...

... Je suis descendu au rez-de-chaussée pour interroger Shouzhua, quelle idée avait-il donc eu de les laisser rappliquer, c’était encore un coup à se faire renvoyer par la direction sans adieu ni sourire, on ne laisse pas pénétrer impunément les pauvres et les affamés dans les magasins d’approvisionnement en pleine famine ; il a froncé les sourcils et d’une voix colérique il m’a répondu que c’était nos amis et que nous n’avions pas à avoir honte d’eux, après tout nous n’étions pas si différents et on sortait tous du même tas de fumier, paysans sous-pauvres, mingong, esclaves dans un bar, un chantier de construction ou ailleurs, on n’échappait jamais vraiment à notre sort.

Il m’a coupé le souffle. J’ai réfléchi à sa surprenante véhémence en remontant l’escalier. N’avait-il pas raison ? N’étais-je pas en train de perdre définitivement la notion de notre réalité ? Moi qui ne cassait plus de briques avec une masse vingt heures par jour sept jours sur sept, travailleur manuel à perpétuité.

J’étais miraculeusement passé de l’autre coté de la barrière, là où l’herbe est moins jaune et rare, avec un emploi de larbin dans un restaurant haut de gamme et un poste de maître-nageur dans un club sportif réservé aux meilleurs d’entre eux, et avec la vie que nous partagions, moi et Aiguo, notre chambre et la salle de bains indépendante, nos doubles salaires, ses pourboires, les additions que j’effaçais allègrement tous les soirs, bref cette manne qui nous tombait du Ciel, ce destin qui commençait à prendre une tournure moins épouvantable, j’en étais arrivé à oublier complètement mon origine de classe et ma condition ; né paysan sous-pauvre j’étais condamné à le rester et à mourir paysan sous-pauvre, avec une seule variante possible, celle de devenir mingong dans une province côtière et mourir dans un accident du travail, seul, oublié, immédiatement remplacé par un autre maudit identique et interchangeable..."

LA PROMESSE DE SHANGHAI, de Stéphane Fière,
 Edition BLEU de CHINE, Paris 2006, coll. Babel.
 www.bleudechine.fr

Une excellente description de la vie des travailleurs migrants à Shanghai. Leurs bagages : vitalité quasi-animale et comportement amoral pour survivre, préjugés d’orgueil et mépris des étrangers pour tenir debout, capacité d’adaptation sans limite pour monter l’échelle sociale. Shanghai est pour eux une jungle impitoyable.


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