Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

›› Editorial

A Ryad, la Chine anti-occidentale et dépendante du pétrole arabe ébranle l’ambiguïté de la prévalence américaine

Bascule des intérêts stratégiques et convergence sino-arabe à l’ONU.

Entre Washington et Ryad l’affichage d’une alliance toujours sans faille est la règle. Mais sous l’écorce de l’apparente loyauté, des ferments de discorde affaiblissent l’arrangement. Le refroidissement entre les deux alliés réunis autour de leurs intérêts convergents, tient d’abord à la réduction de la dépendance américaine au pétrole arabe et à la volonté de la monarchie saoudienne de diversifier ses relations hors de la sphère américaine.

Alors que Ryad et Washington ont continué à affirmer la solidité de leur connivence d’intérêts, le malaise a sauté aux yeux des observateurs. Les fastueux égards réservés aux président Chinois tranchaient avec la froide sobriété protocolaire de la visite de Joe Biden en juillet, elle-même sévèrement critiquée en Israël et aux États-Unis.

Au-delà de l’ébranlement du socle opportuniste et pragmatique des accords vieux de quatre-vingt ans, il y avait, au cœur des tensions récentes, les mauvaises relations de la Maison Blanche avec le Prince héritier Mohamed Bin Salman (MBS), ouvertement accusé par la CIA d’avoir en octobre 2018, organisé l’assassinat au consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul du journaliste Jamal Khashogi, féroce critique du pouvoir à Ryad.

Il reste que la puissance des intérêts d’affaires et des quêtes d’énergie a contribué à tourner la page des indignations ayant ostracisé Ryad en Occident entre 2018 et 2021. La visite de Xi Jinping n’a fait que suivre le mouvement.

Avant le voyage de Joe Biden à Ryad en juillet dernier, le Président Macron fut en 2021 le premier chef d’État occidental à rencontrer MBS. La chaleur affichée du Président français concrétisait les 700 millions d’achats d’armements à la France par le Royaume au cours des années précédentes. Tous avaient été conclus derrière le paravent d’un refroidissement diplomatique.

Plus encore, la visite du n°1 chinois s’inscrit dans une construction stratégique de contournement de l’Occident à l’œuvre depuis l’établissement en 2004 du forum entre la Chine et la Ligue arabe (China Arab States Cooperation Forum– CASCF -), sur le mode de celui crée en 2000 entre Pékin et les pays africains (Forum on China Africa cooperation – FOCAC -).

Contrairement aux sommets africains, le cœur des réunions chinoises avec les pays du Golfe ne traite pas seulement de commerce ou d’investissements d’infrastructure. Comme en Afrique, la Chine propose il est vrai la construction de voies ferrées et de centrales électriques, y compris nucléaires. Elle s’implique aussi dans une longue série de projets qui vont du raffinage du pétrole à l’enseignement du Chinois en passant par l’immobilier, par l’hydrogène, les infrastructures de transport, les hautes technologies de l’information et la pétrochimie.

Mais, depuis la création des structures multilatérales du CASCF, Pékin utilise les réunions pour diffuser des messages concurrents de ceux de Washington. Commencée à la création du forum en 2004 par le neutralisme de « l’appui au processus de paix au Moyen Orient  », la position chinoise a progressivement évolué pour se rapprocher de celle des Palestiniens.

Dès 2008, le Forum appelait Israël à mettre fin à l’occupation de la Cisjordanie et au blocus de la bande de Gaza. En même temps, il exhortait les Israéliens à stopper la colonisation des territoires et invitait la communauté internationale à lever les sanctions contre la Palestine. En 2012, il faisait la promotion de l’entrée de la Palestine à l’ONU et à l’Unesco.

A partir de 2018, alors que D. Trump augmentait ses pressions sur la Chine à propos de ses responsabilités dans le déclenchement de la pandémie Covid-19, Pékin précisait son positionnement anti-américain en appelant à la mise en œuvre de la Résolution 2334 du Conseil de sécurité des NU de 2016.

Votée par 14 membres du Conseil dont quatre membres permanents, alors que les Etats-Unis s’était abstenus, la résolution, qui stigmatisait clairement Israël et mettait Washington en porte-à-faux, déclarait que « l’activité de colonisation d’Israël constituait une « violation flagrante » du droit international et n’avait « aucune validité juridique »  ». Elle exigeait que Tel-Aviv cesse les occupations et remplisse ses obligations en tant que puissance occupante en vertu de la quatrième Convention de Genève, relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre.

En réalité, la stratégie de riposte à l’Amérique au sein de l’ONU, née dans les années 90, s’accélère depuis le milieu des années 2000. Elle s’est concrétisée par la succession de vétos posés conjointement par Moscou et Pékin, contre les propositions occidentales (mais pas seulement) sur les situations politiques au Myanmar (janvier 2007) et au Zimbabwe (2008), suivis d’une rafale de 4 vétos sino-russes sur la question syrienne entre 2011 et 2014.

Intérêts bien compris et ébranlement géopolitique.

De cette proximité avec les pays arabes, Pékin tire d’abord des avantages stratégiques. Outre le contournement de l’Amérique par une intrusion dans son pré carré moyen-oriental, on l’a vu avec une plus longue expérience historique du monde arabe, l’appareil politique chinois peut se satisfaire qu’aucun pays musulman du Golfe ne se joigne aux condamnations occidentales de sa stratégie de mise au pas culturel des Ouïghour au Xinjiang (lire notre article : Controverses globales autour du traitement des Ouïghour. Pékin rallie un soutien hétéroclite et brouille la solidarité des musulmans.).

Publié en juin 2019, l’analyse constatait même que le Bahrain, le Koweit, Oman, le Qatar, l’Arabie Saoudite, les Émirats et le Pakistan avaient pris la défense de la Chine contre la charge menée par 18 pays européens, rejoints par le Japon, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande (lLes États-Unis de D. Trump s’étaient abstenus) qui dénonçait à l’ONU la politique de Pékin au Xinjiang.

Au plan économique et commercial la Chine dont le commerce bilatéral avec Ryad se monte à 87 Mds de $, supplantant depuis un an le volume des échanges avec États-Unis, mais dont une forte part est consacrée aux achats de pétrole [2], bénéficie de la diversification stratégique mise en œuvre par le Prince héritier Mohamed Bin Salman.

La bascule s’opère alors qu’en Arabie Saoudite et au Moyen Orient les intellectuels et les milieux d’affaires perçoivent que l’Amérique, puissance en déclin mais devenue moins dépendante au pétrole saoudien, prend ses distances. Le glissement des priorités du Royaume est d’abord concrétisé par la signature d’un accord de partenariat stratégique avec Pékin, avec réunions au sommet tous les deux ans, signe qu’à Ryad on perçoit que la Chine est non seulement devenue un acteur essentiel de l’économie globale et des hautes technologies, mais aussi une puissance déterminante dans le rapport des forces stratégiques.

Le 7 décembre, dès le premier jour de la visite, trente-quatre accords ont été signés pour une valeur de trente milliards de Dollars, dont une partie seront consacrés aux projets du Royaume destinés à desserrer sa dépendance à la rente pétrolière.

On y trouve notamment la construction d’une usine de véhicules électriques, l’autorisation – pied-de-nez à l’embargo américain - accordée à Huawei de créer un centre de stockage de données et d’installer un réseau de relais 5G ; des projets de coopération dans les secteurs des transports, de la construction immobilière, des équipements médicaux, de l’énergie propre et de la pétrochimie (entre Shandong Energy et Sinopec et le Saoudien Aramco, déjà impliqué au Fujian et au Zhejiang).

La partie « défense » des accords comporte une coopération entre l’entreprise saoudienne Advanced Communications and Electronics Systems Co (ACES) et le chinois China Electronics Technology Group Corporation CETC pour la construction dans le Royaume d’un système de contrôle à distance des charges armées des drones et la vente de 12 avions d’attaque légers chinois L-15, appareil d’entraînement modifié, déjà vendu aux Émirats.

Enfin, indice que les intérêts chinois s’infiltrent au cœur de la coopération stratégique entre Ryad et Washington, le fond d’investissement chinois Silk Road Fund fait partie du consortium financier dirigé par la société américaine EIG Global Energy Partners qui, en 2021, a racheté 49% des activités d’oléoducs de Saudi Aramco pour 15,5 Mds de $.

A plus long terme, les entreprises chinoises sont déjà prêtes à participer au projet dystopique saoudien de la ville linéaire du future [3].

Note(s) :

[2Depuis 1995, le commerce avec l’Arabie saoudite a augmenté en moyenne de 20% par an (exports et imports) au point que la Chine est en 2021 devenue le 1er partenaire commercial de Ryad. Aujourd’hui, la forte demande chinoise en pétrole est que la balance commerciale chinoise est fortement déficitaire.

En 2021, les exportations chinoises n’ont atteint que 30,3 Mds de $, quand les importations étaient de 57 Mds de $, dont la presque totalité, - c’est un sérieux talon d’Achille quand en même temps l’Amérique réduit sa dépendance - est constituée par des achats de pétrole pour une valeur de 55,5 Mds de $ (96%). En même temps, les importations de pétrole saoudien son premier fournisseur représentent 18% du total des importations chinoises.

[3Projet dystopique de la ville du futur saoudienne. Lire Projet NEOM en Arabie Saoudite : la construction de la ville futuriste The Line a débuté.


• Commenter cet article

Modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

• À lire dans la même rubrique

A Hong-Kong, l’inflexible priorité à la sécurité nationale a remplacé la souplesse des « Deux systèmes. »

14e ANP : Une page se tourne

La stratégie chinoise de « sécurité globale » face aux réalités de la guerre

Que sera le « Dragon » ?

Brève et brutale crise boursière. Le prix de la défiance