›› Editorial

Alors que le système électoral a été réformé, John Lee Ka-chiu (李家超 LiJiachao), ancien officier de police et ancien responsable de la sécurité de la R.A.S a été élu le 8 mai, successeur de Carrie Lam, par le Comité électoral qui ne laisse plus aucune place à la mouvance démocrate. La confiscation du pouvoir par la mouvance pro-Pékin transparaît dans le résultat du scrutin qui a élu Lee par 99,16% des suffrages exprimés.
Le contraste est flagrant avec les espoirs de la mouvance démocrate qui, il y a seulement quelques années, réclamait l’élection du Gouverneur au suffrage universel direct. Le slogan 同 為 香 港 開 新 篇, tourne résolument la page de l’histoire britannique coloniale et invite les Hongkongais à « ouvrir ensemble un nouveau chapitre. ».
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Le 8 mai, confirmant la dérive autocrate, c’est l’ancien chef de la RAS pour la sécurité et ancien Premier secrétaire de l’administration John Lee Ka-chiu (李家超 Li Jiachao) qui a été désigné pour succéder à Carrie Lam à la tête de Hong Kong.
Preuve que l’esprit démocratique s’est effondré, Lee, seul candidat en lice, a obtenu 1416 voix des 1428 votes exprimés par le Comité électoral (il y eut 33 abstentions ou absents), soit 99,16% des bulletins.
Le vote a eu lieu sous l’égide de la nouvelle loi électorale entrée en vigueur au printemps 2021 (lire : A Hong Kong, Pékin réforme la loi électorale, durcit la gouvernance et élimine la mouvance démocrate) dont les points clés sont la réduction de moitié des sièges élus au Conseil législatif (Legco) par scrutin direct et la vérification préalable de la loyauté patriotique des candidats à Pékin.
L’exigence patriotique instaurée après les protestations de l’été 2019 vaut désormais pour toutes les élections aux structures institutionnelles de la R.A.S que sont la Commission électorale, le Legco et le chef de l’exécutif.
Il n’est pas anodin de rappeler que c’est John Lee lui-même qui avait initié l’Article sur l’extradition à l’origine des émeutes de l’été 2019.
Alors qu’au sein de la Cour d’appel final a surgi une tension à propos de l’indépendance des juges, la communauté d’affaires et la mouvance proche de Pékin ont marqué leur satisfaction par la voix de Lau Siu-kai.
Vice-président de l’Association chinoise des études académiques à Hong Kong et Macao, sociologue de l’Université de Hong Kong, formé aux États-Unis, conseiller du gouvernement et membre du Comité Politique de la Conférence Consultative du peuple chinois à Pékin, Lau Siu-kai porte à Hong Kong, la vision pragmatique de Pékin. Celle de la capacité d’action et de la performance.
Un gage d’efficacité politique, débarrassé des « perturbations parasites. »

De gauche à droite, le Cardinal Zen, l’avocate Margaret Zen, l’universitaire Hui Po-Keung et la chanteuse pop Denise Ho. Tous les quatre étaient membres de l’ONG 612 人道支援基金 aujourd’hui dissoute qui avait prodigué aide logistique et financière aux activistes de 2019 durant leurs procès. Ils ont été arrêtés pour enquête le 11 mai. Le cardinal Zen a été relâché sous caution.
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Pour Lau qui place l’efficacité politique avant les débats et l’éventuelle expression d’idées contraires, « la sincérité de ce large soutien », dit-il, (d’autant plus vaste qu’il n’y a pas d’opposition) devrait aider le nouveau chef de l’exécutif « entouré d’une nouvelle équipe », à affronter rapidement les questions sociales, économiques et sanitaires de la R.A.S.
En même temps, Lee ne perd pas de vue qu’il devra faire voter par le Legco les textes couvrant les délits de trahison, de sédition et de vols de secrets d’État, partis de l’Article 23. En souffrance depuis qu’en 2003, l’Article avait déjà été à l’origine d’émeutes ayant rassemblé 500 000 personnes dans les rues. Si l’opposition politique est réduite à néant, la réaction populaire à une nouvelle tentative reste cependant une inconnue.
Pour la suite en tous cas, Tian Feilong, professeur de la Faculté de droit de l’Université Beihang basée à Pékin, qui constate que le paysage politique est éclairci, ne mâche pas ses mots. Il s’agit, dit-il, « d’un nouveau départ pour Hong Kong en matière de gouvernance locale grâce à l’élimination des interférences des forces anti-Chine et émeutières ».
Quant au rôle de la R.A.S comme passerelle entre le monde démocratique et la Chine, il est compromis à la fois par la disparition de l’ancien statut « Un pays deux systèmes », et la féroce rivalité stratégique entre Washington et Pékin.
Surtout en août 2020, le nouveau chef de l’exécutif avait fait l’objet de sanctions infligées par le gouvernement de D. Trump pour avoir affaibli l’autonomie de Hong Kong. Deux mois plus tard, le 12 octobre 2020, son nom avait même été ajouté à la liste des dix responsables ayant directement violé la loi fondamentale de la R.A.S et la déclaration conjointe sino-britannique de 1984.
Avant même son entrée en fonction, le nouveau chef de l’exécutif a donné le ton de ce que sera sa mandature. Le 11 mai, il faisait convoquer par la police pour l’interroger avant de le relâcher sous caution, le cardinal à la retraite Joseph Zen (90 ans) l’un des plus anciens responsables religieux catholiques en Asie.
Trois autres activistes – l’avocate Margaret Ng, 74 ans, déjà condamnée avec sursis ; l’activiste et chanteuse pop Denise Ho, 41 ans, militante LGBT et l’universitaire Hui Po-keung – ont également été interpellés. Ce dernier a été arrêté à l’aéroport le 10 mai, alors qu’il était en partance pour l’Europe pour honorer un poste d’enseignant. Cyd Ho, 68 ans, militante démocrate LGBT ancienne parlementaire démocrate (2008 – 2016), déjà incarcérée est également sous le coup de la même accusation de « collusion avec des forces étrangères. »
L’avenir de la R.A.S réduit à l’intégration à la Chine.

La carte montre le projet de la grande baie de Zhuhai, au débouché de la rivière des perles dans lequel le pouvoir a décidé d’intégrer la R.A.S de Hong Kong. Elle y conservera ses flux financiers et commerciaux, mais y a déjà perdu sa particularité politique négociée en 1984 avec Londres, en vigueur depuis 1997, mais à laquelle Xi Jinping a mis fin un quart de siècle avant l’échéance prévue de 2047. Rarement évoqué par les commentateurs, constatons que 25 ans après la rétrocession, Xi Jinping a perçu le risque inacceptable d’une dérive indépendantiste dont il a jugé qu’elle ne pouvait que s’aggraver. En haussant l’analyse d’un étage, force est de reconnaître que l’intention initiale du projet est inversée. Les 50 années de l’arrangement des « deux systèmes » étaient le délai que les Britanniques jugeaient nécessaire pour que le Continent s’aligne politiquement sur la R.A.S. C’était une naïveté. Il s’est produit le contraire.
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Privé de son caractère hybride particulier, l’avenir de la R.A.S étroitement surveillée par la police qui s’est mise à marcher au pas de l’oie à l’occasion des cérémonies officielles pour, disent ses responsables, exprimer son patriotisme et où commencent à surgir des réflexes de délation, tandis que les libre-penseur rebelles à Pékin sont harcelés au moindre écart, s’inscrira dorénavant dans le cadre du projet de la « Grande Baie de Zhuhai ».
Inaugurée en 2018, par Carrie Lam, avalisé par le Bureau Politique, la vision est à contrecourant de ceux qui souhaitent conserver à Hong- Kong sa spécificité séparée du Continent. Ses promoteurs la voient au contraire comme le moyen d’intégrer efficacement la R.A.S dans le vaste aménagement urbain de 9 grandes métropoles du sud de la Chine, immense plaque tournante financière et économique où Hong Kong ne sera plus qu’une métropole régionale parmi d’autres.
Il y a plus. Pour résoudre les tensions des prix immobiliers exorbitants de la R.A.S, l’ambition d’intégration économique et sociale prévoit déjà de favoriser la migration quotidienne des résidences des plus jeunes hongkongais vers les centres urbains de Canton, Zhuhai et Shenzhen, reliés à Hong-Kong par voies rapides et TGV.
En même temps, l’environnement direct de la R.A.S évolue rapidement et change la donne. Depuis 2017, la croissance de Shenzhen a dépassé celle de Hong Kong et cette année, le nombre de diplômés de l’enseignement supérieur approchait celui de la R.A.S. Les salaires des ingénieurs système offerts par les groupes de haute technologie sont parfois plus élevés que dans la R.A.S.
En octobre 2020, lors du 40e anniversaire de la ZES de Shenzhen, devenue un des cœurs des hautes technologies chinoises, Xi Jinping a incité la ville à développer une économie numérique et à renforcer ses centres de recherche et d’innovation. Dans cet élan, une usine de microprocesseurs à 8,9 Mds de $ est en cours de construction par le groupe SMIC (Semiconductor Manufacturing International Corporation).
Fin du particularisme politique, préservation des flux financiers et commerciaux. Élimination du « localisme. »
Au total, il est probable qu’en dépit de l’effondrement du schéma un pays deux systèmes, l’intégration dans le vaste tissu urbain de la zone de Zhuhai contribuera à garantir la densité des échanges commerciaux et des flux financiers vers la R.A.S.
Selon Jerome A. Cohen, analyste au Counsil Of Foreign Relations, le bouleversement politique qui signe la fin des espoirs démocratiques pour les 7,5 millions d’habitants de la ville, ne sera cependant pas la fin de Hong Kong comme centre financier global.
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La plupart des pays occidentaux ont critiqué la trajectoire de la R.A.S. Après l’interrogatoire infligé au cardinal Zen, le Vatican s’est dit préoccupé. Le fait est qu’un quart de siècle après la rétrocession, l’ancienne colonie britannique a prématurément tourné le dos au schéma « Un pays deux systèmes », 25 ans avant l’échéance initialement prévue de 2047.
Mais Xi Jinping n’a cure de ces condamnations. Trois années après les émeutes de l’été 2019, il a complètement éliminé les contestations démocratiques. Leurs auteurs sont en prison ou en exil. Grâce à la réforme électorale, il s’est fermement assuré que les élections ne porteraient pas au pouvoir dans la R.A.S un homme politique hostile au régime chinois.
Surtout, ayant en tête le symbole d’humiliation que représente la R.A.S depuis les traités inégaux, il a, sans fléchir, tué dans l’œuf la mouvance inaccepable pour tous les Chinois sans exception, d’un sécessionnisme qui ne disait pas son nom. Baptisé « localisme » par ses activistes, il prônait bel et bien la rupture avec Pékin et, in fine, l’indépendance de Hong Kong qu’aucun dirigeant chinois, même ceux imprégnés de libéralisme politique, ne pourrait envisager.
Le système judiciaire de la R.A.S peut-il résister ?

Le 30 mars, Lord Robert Reed et Lord Patrick Hodge, Président et vice-président de la Cour d’appel final ont démissionné de leurs fonctions à la plus haute cour de Hong Kong. A leur départ, ils ont critiqué l’état des libertés civiles et de l’État de droit à Hong Kong suite à la mise en œuvre de la loi sur la sécurité nationale par les autorités chinoises en 2020.
Reed et Hodge ne sont pas les premiers juges étrangers à quitter la plus haute juridiction du territoire, suite à la loi sur la sécurité nationale, que Pékin utilise non seulement pour harceler l’opposition politique et fermer les publications des médias indépendants, mais surtout pour tuer dans l’œuf les velléités de rupture politique avec le Continent inacceptable pour Pékin. L’australien James Spigelman avait démissionné en septembre 2020 et, en juin 2021, la britannique Brenda Hale avait décidé de ne pas renouveler son mandat.
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Dans cette tendance de sévère concentration des pouvoirs aux ordres de Pékin, une inconnue demeure cependant. Elle est liée aux traditions d’indépendance des juges laissée par la « Common Law » britannique. Quoi qu’en disent les commentateurs qui décrivent une répression brutale, l’appareil judiciaire exprime une nuance.
Non seulement les sentences prononcées contre les promoteurs de la sécession sont clairement plus indulgentes que sur le Continent où l’intention de rupture a valu la prison à vie à Ilham Toti, (lire : Condamnation à la prison à vie d’un intellectuel ouïghour), mais encore, la relaxe le 13 novembre 2021 de trois prévenus incarcérés au nom de la sécurité nationale, semble exprimer une tendance des magistrats à préserver un État de droit héritier de la culture juridique britannique.
Les attendus de la décision d’élargissement par la Cour d’appel final furent en effet remarquables. Les juges avaient en effet statué que les procureurs étaient tenus de prouver la participation ou « l’intention de participer » d’un suspect, pour qu’une accusation d’émeutier soit appropriée.
La tension entre les deux visions de la justice, l’une aux ordres du pouvoir, l’autre très jalouse de son indépendance, s’est exprimée par la démission le 30 mars, des juges britanniques Patrick Hodge et Robert Reed, Président et Vice-Président de la Cour d’appel final. En revanche, les autres juges anglo-saxons (trois australiens, une canadienne et cinq autres britanniques) on choisi de rester en fonction.
Alors que Pékin a regretté le départ des deux britanniques, le 1er avril, les neuf autres juges ont justifié leur décision de continuer à siéger. « À un moment critique de l’histoire de Hong Kong, il est plus que jamais important de soutenir le travail de ses cours d’appel pour maintenir l’État de droit et le contrôle des actes de l’exécutif ».
Pour la juge canadienne Beverley McLachlin, « La Cour fonctionne en tant que branche judiciaire indépendante du gouvernement. Elle est peut-être la dernière institution forte de la démocratie qui subsiste ».
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