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›› Editorial

Les planètes se désalignent pour Xi Jinping. Doit-on vraiment s’en étonner ?

Résumé : Xi Jinping, conscient de la fragilité de son pouvoir en 2012 a opté pour une gouvernance autoritaire recherchant le monopole du pouvoir au fil de la confiscation des responsabilités de ses plus proches collaborateurs, d’un refus de collégialité et de purges sous couvert de lutte contre la corruption. Cette stratégie qui a pu donner une impression de toute puissance, révèle aujourd’hui ses limites.

Elle a des conséquences potentiellement dévastatrices pour l’unité du Parti. Cette quête brutale du pouvoir absolu a logiquement provoqué des frustrations. Progressivement, elle fait surgir des oppositions qui ne sont pas de bon augure avant le Congrès historique de 2022 qui est censé « élire » Xi Jinping pour un 3e mandat de 5 ans.

A deux ans de cette échéance, ce n’est certes pas encore « la chute de la Maison Xi » mais bel et bien « little fires everywhere » qu’il convient de maitriser avant qu’ils ne s’unissent en un incendie généralisé.

En arrière-plan des fêlures dans la gouvernance de Xi Jinping, se précise peu à peu une féroce rivalité avec le premier ministre Li Keqiang.

*

Depuis quelques années on lit à intervalles réguliers des critiques à l’égard du pouvoir de Xi Jinping, mais immédiatement des experts nous indiquent que ces velléités sont le fait d’intellectuels isolés, sans audience populaire et que le n°1 conserve toute son autorité et sa puissance, tant sur le pays qu’au sein du Parti qui reste uni derrière son Secrétaire Général.

Récemment, constatant une certaine récurrence de ces manifestations d’humeur sur fond de pandémie ayant exacerbé le sentiment antichinois dans le monde, alors que la communication catastrophique des « loups guerriers », était aussi malhabile que le concept lui-même est ridicule et suicidaire, ces mêmes experts qui, depuis 2012 nous avaient vendu un Xi Jinping « lider maximo » incontesté et incontestable, aimé du petit peuple, respecté et craint des cadres du Parti, ont commencé à revoir leur copie en évoquant des fragilités dans le pouvoir de Xi Jinping.

Leur revirement montrait ainsi une souplesse d’esprit et un sens aigu du principe de prudence aussi remarquables que leur détermination, trois ans plus tôt, à décrire l’émergence inéluctable d’un second Mao.

Le 18 août, The Guardian et le New-York Times ont publié les confidences de Cai Xia, ex-professeure de l’École Centrale du Parti, qui, désormais hors de Chine et exclue du Parti, souhaite parler librement. L’épisode laisse présager un livre dévastateur qui livrera son lot de révélations sur ce que pense réellement le système de son chef.

En qualifiant Xi Jinping de « mafia boss » sous la direction duquel le Parti n’est plus une force mais un obstacle au progrès de la Chine, Cai Xia exprime tout haut les dissensions apparues au sein du Parti au fil des années de quête par Xi Jinping du pouvoir absolu.

Émanant non plus d’intellectuels mais d’une cadre supérieure de l’appareil politique, qui plus est issue du Creuset idéologique du Parti, la critique à l’égard du dirigeant suprême change de nature. Lire l’article de J.P. Yacine publié le 17 juin dernier : Xi Jinping et Li Keqiang à couteaux tirés ? Un défi à la résilience de l’appareil.

Chacun le sait bien, à l’extérieur, l’appareil s’applique à s’exprimer d’une seule voix. En interne, en revanche, il n’est en rien monolithique. Les états d’âme de Cai Xia jetés sur la place publique seulement quelques mois après la fuite des « Xinjiang papers » indique indéniablement des turbulences à la cour. Lire au sujet des Xinjiang Papers : « BRI » DE VERRE. L’Islam dans le collimateur.

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Les deux prédécesseurs de Xi Jinping ont toujours su et du composer, Jiang Zemin avec un premier ministre puissant qui avait la main sur les affaires économiques dans un partage des tâches imposé par Deng Xiaoping, puis Hu Jintao qui, pour sa part, a gouverné à la tête d’un système pleinement collégial, y compris au sein du Comité Permanent.

Si Hu Jintao avait appris l’importance du pouvoir collectif pour un Parti uni, cette collégialité, trop souvent rapidement analysée comme une marque de faiblesse, n’était pas seulement l’expression de la volonté de partager le pouvoir. Elle procédait surtout d’une exigence. Celle, pour ne pas échouer seul, de répartir entre tous les responsabilités des décisions prises au sommet de l’appareil et d’assumer collectivement leurs conséquences.

Xi Jinping, pour sa part, n’a jamais laissé la moindre place à la collégialité. Reprenant sans esprit critique la propagande d’un système de plus en plus opaque et complexe à interpréter, la majorité des commentateurs ont décrit l’ascension irrésistible d’un homme convaincu que parmi les dirigeants de la Chine nouvelle il y aurait deux timoniers, Mao, lui-même, et les autres !

Pour autant, tout comme un journaliste écrivait récemment, sur le ton de la découverte, que la Chine était « résistible », Xi Jinping est lui aussi « résistible ». Depuis son émergence, il a ressenti le besoin d’un pouvoir fort pour compenser une autorité fragile de nature.

Il reste que les campagnes brutales conduites depuis 2012, loin de compenser cette fragilité, ont au contraire fait surgir une crise de loyauté et des fissures dans la gouvernance et l’unité du Parti. Au fil des tensions qui, ces dernières années, ont jalonné l’histoire du pays (pollution de l’atmosphère et des sols, crise porcine, crise épidémique, inondations), les craquements dans la cohésion de l’appareil ont contribué à isoler encore d’avantage Xi Jinping.

Or, on pouvait dès 2012 soupçonner la précarité de l’autorité de Xi Jinping à l’aune de trois marqueurs : la légitimité, l’expérience des coups durs, la solidité et l’étendue de sa « base », notamment chez les militaires.

Les trois faiblesses de Xi Jinping.

La fragilité du pouvoir de Xi Jinping résulte d’abord d’une légitimité personnelle hésitante. Xi Jinping est avant tout le fils de Xi Zhongxun, compagnon de route de Mao.

C’est précisément son appartenance au clan des « princes rouges » qui en fait depuis longtemps un potentiel dirigeant de premier plan et, lors de la désignation du dirigeant emblématique de la 5e génération, le représentant des « fils de princes », a fortiori après la chute de Bo Xilai, abattu en plein vol.

La carrière de Xi Jinping, sur laquelle ont toujours plané l’ombre et la légitimité de son père, compagnon de Mao, fut balisée par des désignations calculées et des affectations valorisantes, loin des zones reculées et politiquement risquées. Hu Jintao son prédécesseur avait par contraste été formé aux difficultés et s’était forgé une résilience au Gansu, au Guizhou et au Tibet au fil d’affectations compliquées et hors des feux de la rampe.

De fait, si l’on exclut la Révolution Culturelle qui, au demeurant, n’a vraiment épargné personne en Chine, pas moins Xi qu’un autre, quels défis ont vraiment jalonné la carrière de Xi Jinping pour l’endurcir et le préparer aux épreuves du sommet ?

Son affectation au Hebei ? Pour façonner sa légende, cette première étape de sa vie professionnelle est souvent décrite comme résultant de la décision courageuse d’un homme soucieux de bâtir lui-même sa carrière hors de Pékin et loin des privilèges de sa classe.

En fait, l’expérience - vécue avec Liu Yuan, le fils de Liu Shaoqi, avait été décrite par le chef du Parti du Hebei de l’époque, Gao Yang lui-même, comme un parachutage calculé, à distance raisonnable de Pékin qui, d’ailleurs, dura à peine trois ans.

La suite, au Fujian, au Zhejiang ou à Shanghai (où il demeura moins d’un an) a constitué un cursus sans surprise au cours duquel il a même été protégé des scandales surgis alors qu’il était aux commandes. Ainsi celui de Lai Changxing, homme d’affaire mafieux de Xiamen, bête noire du très vertueux premier ministre Zhu Rongji, aux manettes de l’économie du pays, quand Xi était gouverneur du Fujian.

Au parti, il est de notoriété publique que s’il n’avait pas été le fils de Xi Zhongxun, Xi n’aurait alors pas bénéficié de la protection de Jiang Zemin. Ce manque d’expérience des coups durs a certes permis une progression à moindres risques au sein du Parti. Mais elle n’a pas endurci l’actuel n°1 comme il aurait dû l’être pour affronter les responsabilités et les crises au sommet de l’État et du Parti.

A titre de contre-exemple, plus proche de nous, on rappellera l’anecdote liée aux émeutes d’Urumqi en 2009, très sérieuse secousse intérieure qui éclata tandis que Hu Jintao participait au G8 de l’Aquila en Italie et que Xi Jinping était déjà Vice-Président.

Lorsqu’après la catastrophe qui avait dévasté la ville italienne, les dirigeants du monde montrèrent par leur présence leur solidarité avec le peuple italien, Hu Jintao fut contraint de rentrer en urgence à Pékin pour gérer lui-même la crise.

Ce flagrant déficit d’autorité échappa à nombre d’observateurs thuriféraires de Xi Jinping pour qui le Vice-Président n’aurait pas eu le pouvoir de décision dans de tels cas. Pour eux, il était dans l’ordre des choses que le numéro 1 rentre à Pékin.

D’autres en revanche plus lucides notèrent que Xi Jinping, à l’époque en compétition avec Li Keqiang pour la succession de Hu, aurait pu en profiter pour montrer son autorité et justifier les pronostics de sa nomination imminente au poste de Vice-Président de la Commission Militaire Centrale - qui n’interviendra finalement qu’en octobre 2010 -.

Les sceptiques se souvinrent aussi que, quand, le 1er avril 2001, un J8 chinois dont le pilote avait disparu en mer avec son avion au large de Hainan, avait percuté un appareil de reconnaissance américain EP-3, Jiang Zemin en déplacement en Amérique Latine avait géré la crise à distance avec Hu Jintao, le vice-président de l’époque et n’avait pas jugé nécessaire de rentrer en Chine !


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