›› Editorial
Du 1er au 4 septembre, le Pape François était en Mongolie dans un pays qui ne compte que 1450 catholiques sur une population totale de 3,3 millions.
Pour son sixième voyage en Asie au cours des dix années de son pontificat, après la Corée du sud en 2014 (lire : Le Pape François en Corée. Retour sur les relations entre le Vatican et la Chine), les Philippines et le Sri-Lanka en 2015, la Birmanie, le Bangladesh en 2017, et le Kazakhstan, il y a moins d’une année en septembre 2022, le 31 août, François le Jésuite, se tenait aux côtés du Président Khürelsüskh face à la statue géante de Gengis Khan, dont les armées submergèrent la Chine par une série de campagnes militaires qui durèrent sept décennies de 1205 à 1279.
Tous les observateurs l’ont noté : à l’évidence les voyages successifs du Saint-Père, sur les marches de l’Empire Chinois, dominé par le parti communiste depuis 1949, expriment la nostalgie de l’œuvre interculturelle édifiante de la Compagnie de Jésus en Chine.
En contemplant Gengis Khan, réminiscence d’une conquête de l’Empire par la force de la cavalerie mongole, François, le Jésuite songeait peut-être à ses grands ancêtres érudits qui, dans l’improbable espoir de « christianiser » la Chine, travaillèrent sans relâche à une œuvre exemplaire de rapprochement interculturel avec l’élite impériale chinoise qui s’acheva pourtant dans la défiance de la « querelle des rites » (lire : La France en Chine du XVIIe siècle à nos jours. Par Bernard Brizay).
Le 31 août, pour le Figaro, Jean-Marie Guénois rappelait qu’en mai dernier le Pape louait encore la « foi », les vertus de « patience », de « persévérance » et surtout la « méthode » pragmatique du Jésuite Matteo Ricci (1552-1610), qu’il estimait digne d’être canonisé.
Artisan d’un rapprochement par la confiance réciproque et les échanges de savoirs avec l’Empereur et sa cour, n’avait-il pas été respecté par les Chinois au point que l’Empereur Wanli lui accorda l’insigne privilège d’être inhumé à proximité de la Cité interdite, près de l’actuelle école des cadres du Parti ?
Il ajoutait : « Plus de 4 siècles après sa mort, il est toujours reconnu comme un missionnaire respectueux et un scientifique généreux par l’ensemble du peuple chinois. »
Tel est bien le « levier » de diplomatie positive plongeant dans une histoire édifiante, que le Saint-Père tente d’actionner avec la Chine, « angle mort » de son pontificat depuis son avènement. Pour ne pas risquer de compromettre le retour en Chine du Vatican fidèle à ses relations avec Taïwan, il a refusé de rencontrer le Dalai Lama à Rome en 2014.
Il est aussi resté insensible aux appels du cardinal Joseph Zen Ze-Kiun, 91 ans cette année, l’ancien archevêque de Hong Kong très engagé pour le respect des libertés dans la Région Administrative Spéciale.
François avait refusé de le recevoir en audience lors d’un de ses passages à Rome en 2020 et ne l’avait pas soutenu avant et pendant son procès en 2022 où il était accusé d’avoir apporté son soutien aux émeutiers de la R.A.S (lire A Hong Kong, mansuétude contre des mineurs. Mais inflexible brutalité contre le Cardinal Zen abandonné par le Pape François).
Rassurer le régime qui craint une déstabilisation par les religions.
Le samedi 2 septembre, depuis la Mongolie, les paroles du Pape « Les gouvernements n’ont rien à craindre de l’église catholique qui n’a pas d’agenda politique » visaient d’abord le pouvoir à Oulan-Bator qui, craignant le prosélytisme, a récemment durci les conditions de visa aux prêtres et religieuses étrangers.
Elles étaient aussi adressées à l’appareil communiste chinois qui craint l’implication sociale et politique des prélats et dont le souverainisme rejette l’idée qu’une structure religieuse chinoise puisse être soumise à une autorité extérieure.
A Oulan-Bator, le dimanche 3 septembre, à la fin de la messe pontificale, dans sa dernière ouverture adressée au régime communiste destinée à assouplir les restrictions religieuses, François a une nouvelle fois envoyé ses vœux à la Chine, qualifiant ses citoyens de « peuple noble ». Mais, surtout, allusion suggérant aux fidèles de rester politiquement neutres, il demandait aux catholiques chinois, d’être à la fois, « de bons chrétiens et de bons citoyens ».
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En apparence, c’est toujours avec bienveillance que l’appareil répond aux avances du Saint-Siège. Au télégramme diplomatique de courtoisie, adressé le 1er septembre à Pékin depuis l’avion pontifical lors du survol de la Chine, l’appareil s’est montré affable, affirmant, en retour de « l’amitié et des paroles de bonne volonté » du Saint-Père son souhait « de renforcer la confiance mutuelle. »
Mais la réalité est toute autre. Alors que le Parti est habité par l’exigence d’un contrôle politique total visant à « siniser » les religions pour les soumettre, les « ouvertures » du Vatican sont toujours restées lettre morte.
De fait, le contrôle politique sur les mouvements hiérarchiques de l’Église chinoise s’est resserré. Depuis un an, Pékin ne respecte plus l’accord conclu avec Rome en 2018. Tout en reconnaissant au Parti la prévalence de la nomination des évêques, l’arrangement stipulait une consultation préalable avec le Vatican et reconnaissait son droit à opposer un véto à une nomination.
Ce modus-vivendi a volé en éclat. Fin novembre 2022, contre l’avis du Saint-Siège et bousculant la structure hiérarchique du diocèse, Pékin a nommé Mgr Giovanni Peng Weizhao, évêque auxiliaire de Yujiang dans le Jiangxi.
Ancien prélat de « l’église souterraine » et déjà détenu en 2014, il a sous d’intenses pressions été poussé à abandonner son obédience au Vatican et placé de facto sous l’autorité de Mgr Li Suguang, évêque en titre de l’église patriotique de Nanchang, capitale de la province.
Cinq mois plus tard, en avril 2023, Mgr Shen Bin était nommé évêque de Shanghai sans consultation avec le Saint-Siège. Les deux nominations ont finalement été entérinées par François dont l’entourage a néanmoins regretté une décision unilatérale. En 2018 déjà, le cardinal Zen voyait dans ses accommodements du Vatican avec le Parti communiste chinois « l’anéantissement de la vraie Église ».
Ailleurs, dans la communauté catholique d’Asie, tout le monde n’est pas non plus favorable à cet esprit de vaste œcuménisme qui, à Oulan-Bator, a réuni les bouddhistes mongols, les musulmans, les juifs, les chrétiens évangéliques et orthodoxes, les mormons, les hindous, les shintoïsmes, les bahaïs et les chamanes.
Alors que François revendique haut et fort « l’enrichissement du dialogue interreligieux et culturel » qui, dit-il, devrait « dépasser les différences », depuis le Kazakhstan le très conservateur Athanasius Schneider, évêque auxiliaire d’Astana qualifie les rassemblements œcuméniques de « supermarché de religions qui diminuent le statut de l’Église catholique. »
A Pékin, en fort contraste avec les élans d’ouverture du Pape Jésuite, la tonalité n’est pas non plus à la bienveillance œcuménique et à la tolérance xénophile.
Obsession de l’homogénéité ethnique et sinisation des religions.
Alors qu’à Oulan-Bator le Pape fustigeait « l’étroitesse d’esprit, l’imposition unilatérale, le fondamentalisme et la contrainte idéologique qui détruisent la fraternité, alimentent les tensions et compromettent la paix », en Chine, le 25 août, moins d’une semaine avant la visite pontificale, le Parti qui invoquait les dangers du « nihilisme historique », interdisait un livre sur « l’Histoire générale des Mongols - 蒙古通史 - ».
Accusé de ne pas être allé assez loin dans la description d’une histoire des Mongols intégrée à celle du peuple chinois, le livre était jugé non conforme à la ligne officielle.
En 2018, l’aversion de l’appareil face à la vérité de l’histoire l’avait déjà conduit à condamner à un an de prison avec sursis pour « séparatisme et atteinte à l’unité nationale », l’historien mongol Lhamjab A. Borjiginqui qui avait réuni des témoignages sur le génocide mené par le Parti contre les Mongols.
La controverse renvoie à l’extrême sensibilité de l’appareil hanté par « l’unicité historique et culturelle ». L’obsession s’était directement manifestée en France en 2020 pour « corriger » le contenu d’une exposition sur Gengis Khan organisée par le Château des ducs de Bretagne près de Nantes, accusé par les autorités chinoises de « réécrire l’histoire ».
Ayant finalement réussi à faire annuler l’exposition par Bertrand Guillet, le Conservateur du musée, choqué par l’ingérence politique de Pékin dans la vérité historique [1], les Chinois, engagés dans une politique de négation de leur propre diversité historique et ethnique au point que l’appareil harcèle les Mongols de Mongolie intérieure, avaient non seulement imposé que soient supprimées toutes les références à Gengis Khan et à l’Empire Mongol, mais aussi exigé d’avoir la haute main sur l’évènement.
La censure de « L’histoire des Mongols » pourtant déjà présentée par le livre comme très imbriquée à celle de la Chine, a été imposée par l’exécutif en amont de la visite du Saint-Père, alors que Xi Jinping effectuait sa deuxième mission d’inspection au Xinjiang en moins d’un an, où il a à nouveau mis l’accent sur l’assimilation culturelle des Ouïghour et la « sinisation de l’Islam ».
En opposition frontale avec la vision œcuménique du Pape François qui, dans son livre « Un temps pour changer » Ed. Flammarion, 2020, avait évoqué la persécution des Ouïghour, des Rohingyas, des Yazidis, des Chrétiens d’Égypte et du Pakistan, Xi Jinping a le 26 août à Urumqi, repris le thème de la mise aux normes chinoises de l’Islam (lire à ce sujet La Chine, l’Occident et les Ouïghour).
« Le maintien de la stabilité sociale durement acquise restera la priorité absolue. Élément essentiel du développement, elle doit combiner le renforcement de la lutte antiterroriste et anti-séparatiste, la promotion de la stabilité sociale et de l’État de droit, la sinisation de l’islam et le contrôle efficace des diverses activités religieuses illégales ».
Note(s) :
[1] La Mongolie, fut le centre du vaste Empire mongol qui au XIIIe siècle s’était rendu maître de la Chine au point que Kubilai Khan, petit-fils de Gengis Khan, y avait fondé la dynastie Yuan (1271-1368).
Après le déclin de la puissance des armées mongoles harcelées par les Ming, le pays fut gouverné par la dynastie Qing de 1644 à la chute de l’empire en 1911. A la faveur des désordres de la révolution chinoise, le Nord de la Mongolie passa sous le contrôle de la Russie puis de l’URSS.
Au Sud, les tribus méridionales ralliées à la Chine des Qing dès les premières décennies du XVIIe siècle, resteront définitivement rattachées au monde chinois, quels que soient leurs efforts pour s’en dégager.
En 1924, le Nord devint la « République Populaire de Mongolie » et sa capitale prit le nom d’Oulan-Bator, « la ville du héro rouge ». Au sud après 1949, la République populaire de Chine, mit brutalement la province aux normes communistes, ferma les temples et les monastères bouddhistes, expropria les nomades qui furent privés de leurs troupeaux réquisitionnés par le parti, et réduisit à néant le style de vie traditionnel des Mongols.
Avec l’objectif de « siniser » la province autonome, Pékin favorisa l’immigration massive des Han, pratiqua le favoritisme ethnique qui inversa le rapport entre Mongols et Chinois qui comptent aujourd’hui pour 80% de la population et mit en œuvre une politique d’exploitation directe des ressources du territoire.
A partir de la fin des années soixante-dix, la Mongolie intérieure a connu un développement spectaculaire favorisé par les réformes de Deng Xiaoping. Entre 2000 et 2010, la croissance du PIB, toujours au-dessus de 10%, parfois plus, a été, avec celle de la région de Canton, la plus élevée du pays, en grande partie grâce à l’exploitation des ressources naturelles de terres rares et de charbon, non sans de sérieux dégâts à l’environnement.
(lire : Terres rares. La face cachée du monopole chinois & Terres rares. Domination chinoise, menaces et contrefeux.)
La répartition inégale des richesses et des phénomènes de corruption ont exacerbé les tensions ethniques. Marginalisés, de nombreux Mongols autochtones se sont révoltés en 2011 et 2013. Enfin, le 31 août 2020, de grandes manifestations ont éclaté dans les communautés ethniques mongoles dont la fierté ethnique fut heurtée par les projets du gouvernement visant à supprimer progressivement l’enseignement en mongol.