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La Chine et l’embouteillage du canal de Suez

Le 29 mars dans l’après-midi, après le déblaiement 30 000 m3 de sable, le porte-Conteneur « Ever Given » de 220 000 t long de 400 m, exploité par la compagnie taïwanaise Evergreen Marine qui obstruait le canal de Suez depuis six jours, était remis dans l’axe vers l’Europe, par 13 remorqueurs de la compagnie néerlandaise Boskalis.

Le blocage qui immobilisa 400 navires mis en panne au nord et au sud de l’incident, donna lieu à une longue série de commentaires sur la vulnérabilité des communications planétaires, la fragilité des systèmes économiques, la longueur et le surcoût de la route alternative par le Cap de Bonne Espérance, et les pertes commerciales évaluées par les compagnies d’assurance.

D’abord 12 à 14 millions de $/jour par les autorités égyptiennes du canal, chiffre énorme compte tenu du prix d’un passage à 250 000 $ par bateau, mais une vétille comparée aux 6 à 10 Mds $/jour de pertes pour le commerce mondial, toujours selon les assureurs.

Durant le week-end du 28 mars, l’incident est devenu une sensation médiatique internationale couverte par toutes les agences de presse. En Chine, le Global Times qui précisa que l’Ever Given venait du terminal de conteneurs de Yantian à Canton, dressa un inventaire rassurant des conséquences économiques et industrielles pour la Chine, malgré la rupture du trafic maritime et des chaînes d’approvisionnement avec l’Europe.

On attendait une hausse des prix du pétrole – qui ne s’est pas produite – ; on craignait des pénuries de pièces détachées et de matières premières, l’outil industriel chinois en a certes souffert, mais, dit le journal, seulement pour une durée limitée.

En revanche, le grand souci de tous s’est concrétisé. Les coûts logistiques ont flambé de plus de 45%, au point qu’à Yiwu près de Shanghai, plus grand centre mondial du marché de gros destiné à l’export, approvisionné par les usines du Zhejiang et du Jiangsu, on commençait à envisager d’augmenter le rythme des liaisons vers l’Europe par voie ferrée. Lire : Les faces cachées des « Nouvelles routes de la soie ». Un défi pour l’Europe.

Autre réaction officielle chinoise, le 2 avril, le Quotidien du Peuple publiait un article qui rendait compte de l’intention des autorités du canal de réclamer « plus d’un milliard de dollars de dommages et intérêts » au transporteur Evergreen Marine.

Le ton qui frisait la polémique anti-taïwanaise, insistait sur la détermination de l’Amiral Osama Rabie, président de l’Autorité du canal à obtenir une compensation complète, « non seulement pour la perte financière résultat du blocage de la navigation pendant six jours, mais aussi pour la location des dragueurs et des remorqueurs tout comme pour les dommages physiques causés aux berges du canal.. » (…) « Nous n’abandonnerons pas » dit l’Amiral.

Quant à la télévision chinoise, le 2 avril, elle a repris les critiques de l’autorité du canal qui ciblaient les « manœuvres maladroites » du commandant taïwanais de l’Ever Given.

L’incident a aussi permis de jeter un éclairage inhabituel sur les importations chinoises venant d’Europe orientale. A l’entrée du canal au large de Port Saïd, parmi les centaines de navires bloqués, on pouvait compter onze bateaux arrivés par Istanbul et la mer Égée, partis du port roumain de Constanta sur la Mer Noire avec à bord 130 000 moutons destinés à la Chine. (Le Monde du 29 mars).

Les inquiétantes flammes nationalistes.

Parmi les déclarations officielles notons celle du ministère des Transports taïwanais. Directement concerné, ce dernier chercha à dédouaner la responsabilité de l’équipage et d’Evergreen Marine en expliquant que le navire avait été poussé par de puissants vents de sable mesurés à 56 km/h.

Une autre prise de parole remarquée fut celle de Yukito Higaki l’armateur japonais qui, le 25 mars présenta ses excuses au nom de sa compagnie Shoei Kisen Kaish pour les « terribles inconvénients causés aux navires bloqués dans le canal et à ses approches. »

En revanche, si les déclarations officielles chinoises qui d’ailleurs furent réduites à l’article du QDP, sont restées dans le cadre de réaction diplomatiques mesurées, les réseaux sociaux, en revanche, se sont déchaînés sur un mode ultra-nationaliste. Ils n’épargnèrent ni Taïwan, ni le Japon.

Sur Weibo, durant le week-end, le hashtag, « # 苏 伊 士 运河 大 塞 船 后果 # » conséquence du grand embouteillage de navires sur le canal de suez - » a connu une audience virale. En quelques heures il a été vu par 190 millions d’internautes. On y chercherait vainement des signes d’empathie.

Le plus souvent les messages ciblèrent les Taïwanais : « Sont-ils seulement bons à créer des obstacles ? » Ou ramenant la question à l’obsession nationaliste de réunification « l’indépendance de Taïwan est un cul-de-sac 台独死路一条 táidú sǐlù yītiáo ;

Le Japon n’était pas épargné. Le hashtag « #日本船东为阻塞苏伊士运河道歉 # - les armateurs japonais s’excusent d’avoir bloqué le canal » a été vu 60 millions de fois. Certaines réactions furent insultantes et vulgaires : « Le petit Japon ne sait qu’incliner la tête et s’excuser en essuyant les f..s de ses interlocuteurs ».

*

Depuis janvier 2020, la pandémie née au milieu des hésitations et occultations de la bureaucratie chinoise à Wuhan, accélère la tendance nationaliste du régime.

Exprimée clairement au 19e Congrès, elle enfle, portée par le pouvoir qui approuve tacitement les effervescences de la base.

Brian Wong, d’origine hongkongaise, Doctorant à Oxford et fondateur de la Revue Politique d’Oxford, est un auteur au South China Morning Post, à Asia Times et à Supchina, et au magazine américain The Diplomat.

Pour lui, le nationalisme agressif des jeunes diplomates « loups guerriers » répondant du tac au tac aux critiques faites à la Chine à propos de Hong Kong et du Xinjiang, s’adresse certes à leurs accusateurs occidentaux, mais il est aussi un miroir tendu à l’opinion chinoise dont certains secteurs sont de plus en plus inflammables.

Il est clair que la surenchère nationaliste attisée par l’aller-retour entre l’image internationale dégradée d’une Chine devenue plus agressive et certains pans parmi les plus jeunes de la société chinoise recèle un inquiétant potentiel explosif.


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