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›› Editorial

L’ UKRAINE, la CHINE, ses « initiatives globales » et la paix du monde

Entre Pékin et Kiev, la diplomatie est en marche.

Après l’échange téléphonique entre Xi Jinping et V.Zelensky, le MAE chinois a nommé Li Hui russophone, ancien ambassadeur à Moscou de 2009 à 2019 – ici décoré à son départ par V. Poutine – comme envoyé spécial chargé d’explorer les modalités d’un retour à la paix en Ukraine. Il reste à vérifier la faisabilité d’une médiation alors qu’aucun des belligérants n’a manifesté l’intention de négocier et que tout indique qu’en sous-main Washington n’a en dépit de ses bonnes paroles pas l’intention de se laisser voler la prévalence stratégique aux limites mêmes de l’OTAN.


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Tirant profit de l’élan créé par l’entretien téléphonique, le président ukrainien a aussitôt nommé Pavel Ryabikin, 57 ans, au poste d’Ambassadeur d’Ukraine en Chine, vacant depuis trois ans [2]. Trois fois élu député entre 2012 et 2000, ce diplômé de droit international formé à Kiev et à Leipzig en Allemagne de l’Est (1987), a été à la tête de l’administration des douanes avant d’être nommé en 2021 Ministre des Industries stratégiques.

Quant à Xi Jinping qui lors de l’entretien téléphonique a promis que Pékin ne resterait pas inerte, il a confié à Li Hui, 70 ans la mission d’envoyé spécial en Eurasie, chargé d’examiner en Ukraine, en Europe de l’est et à Moscou, les conditions d’un retour à la paix.

Diplomate chevronné spécialiste de l’Europe orientale, parlant russe, cet ancien ambassadeur en Russie de 2009 à 2019 où il avait été envoyé avec le rang de vice-ministre, avait accompagné la montée en puissance des liens sino-russes ponctués par neuf voyages officiels de Xi Jinping à Moscou et le presque triplement des relations commerciales passés entre 2009 et 2018 de 38,8 à 107 Mds de $.

Dans ce tumulte d’événements qui reconfigurent les rapports de force du monde, la boussole stratégique de Pékin reste définie par ses « rivalités systémiques » avec Washington, dont l’essentiel s’articule à l’idée que la gouvernance selon « les caractéristiques chinoises  » non démocratiques est plus propice à la paix que celle de la démocratie à l’Américaine.

Le raisonnement vaut aussi et peut-être surtout pour Taïwan, où selon Pékin, ce sont les initiatives américaines dans l’Île développées au nom de la défense de la démocratie, mais à rebours des « trois communiqués » et de la « politique d’une seule chine » qui portent un risque de conflit.

Mais l’ambition globale de Pékin génère des contrefeux.

Alors que l’agressivité militaire chinoise en Asie contredit ses intentions pacifiques affichées en Europe, les ambitions globales de sécurité et de développement de la Chine qui portent des projets planétaires de développement économique et de sécurité véhiculant un modèle politique et culturel rival de l’Occident, suscitent des contrefeux en Asie-Pacifique en Europe et en Afrique.


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Toujours l’œil sur sa rivalité systémique avec Washington et sur son audience politique interne parfois tentée par l’appel des libertés politiques, la stratégie planétaire s’articule aux Initiatives globales de développement et de sécurité (全球发展倡议 & 全球安全倡).

Elles recèlent dans leurs soutes à la fois une intention de propagation culturelle globale, articulée aux « caractéristiques chinoises  » démarquées des principes démocratiques et un projet d’interventionnisme militaire pour sécuriser les intérêts chinois (cf. le récent exemple des Îles Salomon et du Pakistan – lire : Aux Îles Salomon, Pékin perturbe la prévalence anglo-saxonne & Le défi de la sécurité des Chinois au Pakistan.

La rhétorique pacifique cependant contredite par l’attitude impériale et agressive en mer de Chine du sud et dans le Détroit de Taïwan, fonde aujourd’hui la propagande de l’appareil donnant le sentiment que l’exécutif chinois tente de se donner, grâce à son efficacité, un rôle planétaire dont Pékin dit qu’il vient en appui de celui de l’ONU.

La stratégie d’apaisement qui, au passage, a réduit la voilure des diplomates « loups guerriers » - L’incident avec Lu Shaye étant une réminiscence néfaste de l’ancienne stratégie de riposte offensive à l’Amérique [3] – se développe sous nos yeux.

Ciblant le « sud global  », l’Asie Centrale et les plates-bandes stratégiques occidentales, notamment au Moyen Orient et désormais en Europe, la poussée diplomatique de Xi Jinping qui se présente en faiseur de paix, est impressionnante. Mais marquée au coin de l’orgueil de puissance du « rêve chinois  » à usage politique interne, elle porte le risque de sérieux contrefeux.

Déjà présents dans le Pacifique occidental attisés par la défiance aux agressivités chinoises, portée par les membres du «  QUAD » où l’Inde, également membre des BRICS fait pourtant cause commune avec Tokyo, Canberra et Washington, les contrefeux viennent de s’enflammer en Europe.

Après « l’épisode Lu Shaye », les réactions très irritées des pays baltes et des pays d’Europe centrale et orientale sur fond d’affaiblissement de l’influence de Pékin en Europe de l’Est, suivent les tensions avec Bruxelles, nourries par les analyses sans concession de la « menace systémique chinoise  » portées par la Commission et le parlement européen.

Chances de succès et limites de l’entremise de Pékin.

L’échange téléphonique du 26 avril entre Xi Jinping et V. Zelenski a ravivé les souvenirs des coopérations entre Pékin et Kiev notablement ralenties depuis plusieurs années. Ici, le 5 décembre 2013, le président Xi Jinping accueillait à Pékin Viktor Yanukovych.

Lors de la visite à Pékin du Président Macron accompagné par Ursula Von Der Leyen, Fu Cong l’ambassadeur auprès de l’UE avait rappelé que Pékin ne reconnaissait pas l’annexion du Donbass et de la Crimée et n’apportait aucune aide militaire directe à la Russie.

Mais le 5 avril 2023, dans une interview au New-York Times, il avait souligné que la Chine ne condamnait pas l’attaque russe contre l’Ukraine car, a t-il dit, les « racines du conflit sont plus compliquées que ne le disent les pays occidentaux ». En même temps, il avait exhorté les Européens à se libérer de l’emprise américaine.

Il reste que les efforts de l’ambassadeur Fu Cong pour minimiser le rapprochement sino-russe, venaient tout juste deux semaines après la visite à Moscou du Président Xi Jinping où avec V. Poutine, il avait glosé sur leur projet commun de reconstruire un ordre mondial moins dominé par l’Occident et les États-Unis.


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Tout indique donc que la tentative de médiation chinoise en Europe sur un théâtre dont Pékin maîtrise mal les codes et les tensions historiques, enracinées dans les grands massacres du XXe siècle, aux arrière-plans à la fois religieux, idéologiques et culturels n’a que peu de chances d’aller au bout de l’affichage d’efficacité brandi par l’appareil.

Dans une situation où aucun des belligérants n’exprime le souhait de cesser les combats pour négocier, l’initiative essentiellement articulée aux intérêts stratégiques chinois de faire pièce à Washington en se posant en porteur de paix contre le militarisme agressif américain et au souci politique de légitimité interne qui arbore une performance internationale valorisante, est brouillée par plusieurs handicaps.

Au-delà de l’évidence que mieux vaut négocier que s’entretuer, le premier hiatus est lié aux conditions opérationnelles et pragmatiques d’une négociation sérieuse qui ne peut pas s’exonérer des questions territoriales du Donbass et de la Crimée que Pékin n’évoque jamais.

Le deuxième est que l’image véhiculée du positionnement stratégique de la Chine reste, malgré ses efforts, fortement marquée par sa proximité avec Moscou.

Le troisième enfin est l’improbabilité que dans l’actuel contexte de rivalité systémique, Washington laisse libre cours sans réagir aux initiatives chinoises sur le cœur historique de l’alliance atlantique et de ses stratégies depuis 1949 dont la pertinence vient d’être ravivée par la guerre.

Il reste que Xi Jinping a un avantage sur tous les autres tenus à longueur de gaffe par Vladimir Poutine. Comme le rappelle de manière imagée Gideon Rachman, stratège et commentateur du Financial Times dans un article du 1er mai 2023, « Le Chinois est le seul à pouvoir lui serrer la main en public et à espérer pouvoir lui tordre le bras en coulisse.  »

Pour quel effet ?

Si on fait l’hypothèse que ni V. Poutine ni V. Zelinsky n’accepteront de négocier au prix d’une perte territoriale, le mieux que puisse espérer Pékin est de persuader le Kremlin de la nécessité d’un cessez-le-feu.

L’arrêt des massacres accepté par les deux bords serait déjà un succès.

Mais pour quelle suite ? Un armistice ne serait que l’arrêt des combats. Il ne résorberait pas les différends attisés par la vision de Moscou d’une Ukraine historiquement russe aujourd’hui inféodée à l’Occident en déclin, ni celle de Kiev, dont le pays a été agressé par l’armée russe – ce que Pékin, tenté de renvoyer l’un et l’autre dos à dos, semble oublier – ayant le droit légitime de reconquérir tous les territoires perdus, y compris la Crimée.

Note(s) :

[2Ce qui ne signifie pas que Pékin et Kiev n’entretenaient pas de relations étroites. Au contraire. Jianli Yang, activiste des droits, promoteur de la démocratie à partir des mouvements pour les droits civiques, réfugié aux États-Unis après Tian An Men, en fait l’inventaire dans un article de The Diplomat du 21 mars dernier.

Hormis la liste des nombreuses coopérations déjà existantes entre Pékin et Kiev (1er partenaire commercial avant la Russie avec une augmentation des échanges de 80% depuis 2013, 7 Mds de $ de nouveaux contrats en 2021, accords de développement d’infrastructures financés par des prêts dans le cadre des « Nouvelles Routes de la Soie »), l’idée maîtresse de l’article est que les armes les plus séduisantes de la Chine, y compris pour V. Zelisnky sont ses capacités de reconstruction de l’Ukraine après la guerre.

Mais il ajoute - telle est bien l’analyse de Washington « toute personne ayant un minimum de perspicacité stratégique sait que si la guerre se terminait dans des conditions négociées par la Chine, le paysage mondial d’après-guerre deviendrait exponentiellement plus difficile pour le monde démocratique – où Taïwan est en première ligne -, face à la formation d’une alliance sino-russe-saoudienne-iranienne qui déjà règlent leurs transactions pétrolières dans la monnaie nationale chinoise (renminbi) afin de défier l’hégémonie du dollar américain  »

[3Nombre d’analyses attribuant au parti communiste chinois une rationalité qu’il n’a pas toujours, expliquent que les embardées de Lu Shaye, ont été diligentées par l’exécutif à Pékin et qu’il n’aurait fait qu’obéir aux ordres.

S’il est exact que la Chine de Xi Jinping est publiquement engagée dans une stratégie contestant ouvertement l’ordre global installé par les États-Unis et l’Occident après le deuxième conflit mondial, la remise en cause publique de la souveraineté de pays européens nés après la chute de l’URSS n’a jamais été à l’ordre du jour des stratégies de l’appareil.

Au contraire, en développant les schémas 16+1 et 17+1, aujourd’hui affaiblis, Pékin prenait soin d’appuyer son action sur le nationalisme souverain des anciens pays du Pacte de Varsovie, ayant une identité politique différente, à la fois démarquée de l’héritage soviétique et des injonctions légalistes de Bruxelles.

Considérées sous cet angle, les déclarations de l’ambassadeur de Chine en France, apparatchik au nationalisme agressif sans nuance, sont bien des embardées nuisibles aux stratégies chinoises d’influence en Europe tirant profit des tensions de la relation entre Bruxelles et les PECO.


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