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Guerre froide ? Guerre chaude ? Le risque des dérives somnambules

Alors que les tensions entre la Chine et les États-Unis ne faiblissent pas, la brutalité des déclarations croisées étant à peine mise en veilleuse par l’annonce d’une prochaine reprise des pourparlers commerciaux après l’accord de la « phase 1 » négocié en décembre 2919 et signé en janvier 2020 (lire : Chine – États-Unis. Mise en scène d’un armistice commercial. Le diable est dans les détails.), QC fait le point des risques posés par la montée en Chine comme aux États-Unis de sentiments agressifs arc-boutés à un farouche surgissement nationaliste.

Au point que nombre d’observateurs évoquent sérieusement l’hypothèse de graves incidents armés. Ce qui n’est pas tout à fait une guerre froide entre deux puissances de premier rang aux relations étroitement imbriquées mais de plus en plus hostiles, risque, dit Henri Kissinger, de déraper soudain en un conflit aux conséquences catastrophiques.

Aux États-Unis comme en Chine, les exécutifs sont aux prises avec l’alchimie toxique des opinions qu’ils ont eux-mêmes chauffées à blanc, mêlées aux impératifs majeurs de sécurité nationale furieusement auto-centrés. De ces fulminations sont dangereusement absents à la fois l’attention portée à l’autre, le plus élémentaire mécanisme éprouvé de désescalade et la prudence stratégique à l’approche des lignes rouges de l’adversaire.

Récemment, inquiète des risques d’isolement, la diplomatie chinoise a bien baissé d’un ton sa rhétorique agressive, sans cependant réduire la hargne du Président américain dont le discours anti-chinois s’exaspère à mesure qu’approche l’échéance présidentielle.

Une chose est sûre. Pour réparer la relation déjà effondrée, Pékin devra clarifier ses violations du droit en mer de Chine du Sud et ses manquements aux convenances internationales policées dans le Détroit de Taïwan [1], le ministre des Affaires étrangères allemand Heiko Mass qui répondait au Bundestag à une question de Klaus-Peter Willsch, président du groupe des amitiés parlementaires entre Taïwan et la RFA, affirma qu’au XXIe siècle, « Quelles que soient les tensions […], l’Allemagne considérait comme inacceptable la menace d’employer des moyens militaires ».

Dans la foulée, il a exhorté les pays de l’UE à adopter la même position à l’égard de la situation dans le Détroit, après avoir souligné que, sur ce sujet la cohésion européenne était gênée par « l’influence indue de Pékin sur différents membres de l’Union ». Après les tensions en Allemagne liées aux craintes de transferts de technologies, cette prise de position avait brutalement scellé la fin de la lune de miel entre Pékin et Berlin. Lire à ce sujet : Chine – Allemagne – Europe. Le grand malentendu et La Chine, l’Europe, l’Allemagne et la France., source d’une défiance largement partagée dans le monde. Les réluctances furent encore attisées par les ratés de l’appareil en janvier à Wuhan et la vaste campagne d’auto-promotion menée par le Parti après le mois d’avril.

Washington de son côté ne pourra pas faire l’économie d’une introspection stratégique sur son rôle et la brutalité de ses méthodes globales, alors que surgit un concurrent porté par une culture millénaire, réfutant le droit international et ayant, en seulement quatre décennies, radicalement augmenté ses capacités d’action et son influence dans le monde.

Entre les deux protagonistes d’une situation globale dont les querelles tiennent désormais une place majeure, la liste est longue des frictions pouvant s’enflammer.

Provocations et ripostes.

Au-delà des deux points chauds déjà portés au rouge de la mer de Chine du Sud et du détroit de Taïwan, elles vont de la « normalisation politique » de Hong Kong, la plus récente pomme de discorde et des défiances réciproques aggravées par la pandémie, à l’hégémonie punitive du Dollar, aux féroces rejet des technologies chinoises par Washington ostracisant Huawei, WeChat et TikTok accusés d’espionnage, en passant par le cyber-intrusions chinoises, les manœuvres obliques d’ingérence politique, le déficit commercial, les captations de technologies, la promotion des système autocrates et le dénigrement des démocraties.

La force des contentieux « de principe », tel que le respect de la démocratie devenue un enjeu majeur de la question taïwanaise, enflammé par la présidente Tsai Ing-wen qui riposte aux pressions chinoises en battant le rappel des pays libres, est attisée par les surenchères électorales et l’agressivité du Secrétaire d’Etat Mike Pompeo.

Sous nos yeux, l’escalade dissipe les ambiguïtés, garde-fou ayant jusqu’à présent contribué à tenir le détroit de Taïwan à distance d’une explosion.

Taïwan et l’incandescent nationalisme chinois.

Le ton et la nature des relations entre Pékin, Washington et Taipei changent. Le 16 mars 2018, l’adoption par le Congrès américain du « Taïwan Travel Act » autorise désormais les voyages officiels ouverts des responsables américains « de tous niveaux » dans l’Île. Dans la foulée, Alex Wong, n°2 du Bureau Asie Pacifique du département d’État, visitait l’Institut Américain de Taïwan à Taipei.

L’ouverture diplomatique de la Maison Blanche à l’égard de l’Île, passée dans la politique américaine de l’ombre à la lumière, entraîna aussitôt une réaction du Président Xi Jinping qui, le 20 mars 2018, 4 jours après l’adoption du « Taïwan Travel Act », déclarait lors de son discours d’ouverture de la réunion de l’ANP que « toutes les manœuvres pour diviser la Patrie seraient vouées à l’échec, condamnées par le peuple chinois et par l’histoire - 一切分裂祖国的行径和伎俩都是注定要失败的,都会受到人民的谴责和历史的惩罚 ».

En même temps, la Chine durcissait ses menaces militaires directes, multipliant les incursions de navires et d’avions de combat dans l’espace aérien et maritime de l’Île, tandis que la Maison Blanche qui a nettement augmenté ses ventes d’armes [2], a récemment encore attisé les braises de la discorde en envoyant dans l’Île Alex Azar, le secrétaire d’État à la santé et aux services sociaux, reçu par Tsai Ing-wen le 10 août 2020.

A cette visite de haut rang, Pékin ne s’est pas contenté de protester. Ses avions de combat ont survolé le Détroit et franchi la ligne médiane séparant l’Île du Continent [3], tandis que peu après, le Commandement du Théâtre d’Opérations de la Zone Est organisait des manœuvres navales au nord et au sud du Détroit.

Taïwan, entre l’impatience chinoise et les provocations de Washington.

Analysant les risques de conflit armé dans la zone, Kevin Rudd qui fut deux fois premier ministre australien, diplômé d’études chinoises et parlant le Mandarin, notait, dans un article de Foreign Policy paru le 3 août, la tentation impatiente de Xi Jinping de mettre fin aux ambiguïtés stratégiques et de s’inscrire dans l’histoire à hauteur de Mao, avec « peut-être l’intention de le surpasser ».

Se projetant dans le court et moyen terme des années 2020, Rudd estimait cependant que tout en s’aventurant dans les parages des lignes rouges, Washington, Pékin et Taipei restaient pour l’instant dans les limites des attitudes diplomatiquement acceptables. Surtout, il mettait l’accent sur les dangereux aléas d’un coup de force.

« Après tout, l’échec d’une attaque militaire chinoise dans le Détroit mettrait fin au mandat de Xi Jinping et saperait gravement la légitimité du Parti ».

Si par la force des choses Pékin reste prudent au moins dans le Détroit de Taïwan, tandis que l’audace démocratique de Tsai Ing-wen qui refuse de reconnaître l’attachement de l’Île au Continent, s’arrête aux limites d’une déclaration d’indépendance, Washington pourrait, emporté par la violence de sa vindicte anti-chinoise, céder aux plus provocateurs des lobbies taïwanais et, par exemple, décider d’une escale d’un bâtiment guerre à Taïwan.

« L’effet incendiaire de la provocation serait politiquement impossible à ignorer pour les dirigeants chinois. Ces derniers pourraient riposter en investissant Jinmen, Matsu ou Wuqiu situées à quelques encablures des côtes chinoises dans le Détroit. (…) Ou même les îles Dongsha (Pratas) ou/et Taïping (Itu Aba), toutes deux actuellement administrées par Taipei en mer de Chine méridionale. »

L’incandescence de la question taïwanaise reste, on le voit, encore en-deçà de la déflagration – à ceci près qu’elle pourrait être enflammée par une provocation de Washington au nom de la défense des droits et libertés -.

Elle est contenue parce que Pékin se contente, pour le moment, du consensus international ayant cédé à ses injonctions répétées de « l’existence d’une seule Chine », espérant aussi qu’à Taïwan la mouvance unitaire et la crainte d’un conflit tiendront sous le boisseau la tentation de la rupture.

En revanche, la mer de Chine du sud est aujourd’hui le lieu de tous les dangers.

Note(s) :

[1Le 16 janvier 2019, Heiko Maas, deux semaines après que le président Chinois ait, le 2 janvier, présenté ses vœux aux Taïwanais assortis d’une menace militaire au cas où ils refuseraient la réunification. (lire : Les défis de l’obsession réunificatrice.)

[2En mai dernier Washington a notamment approuvé la vente à l’Île d’une valeur totale de 180 millions de $ de 18 torpilles sousmarines MK-48 Mod6 dernier modèle équipées des plus récentes technologies de furtivité et de guidage par sonar à large spectre. Cette vente s’ajoute à celle de chars Abram M1 A2T et de missiles Stinger annoncée en juillet, et surtout à celle officialisée le 18 août de 66 chasseurs de combat F-16 Block 70-Vipers aux capacités de combat améliorées. Dépassant les 10 Mds de $, la vente constitue un des plus gros contrats autorisés à ce jour par le Congrès des Etats-Unis.

[3Ce n’était pas une première. Le Détroit est devenu un lieu de démonstration de forces. En mars 2018, Pékin y avait dépêché le Liaoning son porte-avions d’entraînement. Alors que par le passé la fréquence des transits de l’US Navy, n’était que d’une fois par an, depuis octobre 2019, elle est au moins mensuelle. En mars 2019, déjà deux avions de chasse chinois J-11 avaient passé la ligne médiane à peine une semaine après une mission dans le Détroit de 2 navires de l’US Navy.


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