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›› Editorial

Chine – États-Unis, décryptage d’une schizophrénie

Depuis que le département d’État a accusé Pékin de génocide au Xinjiang, la situation stratégique marquée par la rivalité sino-américaine est dilatée en une hostilité culturelle qui paraît irrépressible. Elle exprime aussi tous les aspects d’une préoccupante schizophrénie.

Le 25 janvier, au forum virtuel de Davos, après avoir rappelé avec emphase comment la Chine avait porté secours au Monde durant la pandémie, le président Xi Jinping, qui prônait le multilatéralisme et le « respect de la loi internationale pour le bien de l’humanité » mettait en effet en garde contre la résurgence d’une « guerre froide ».

En même temps, une puissante démonstration de forces d’aéronefs militaires chinois dans le Détroit de Taïwan ripostait au rapprochement entre Washington et Taipei initié par l’administration Trump ; sur le Continent la 2e Artillerie affichait ostensiblement le déploiement de missiles DF-26 au Shandong et au Xinjiang, capables de cibler à la fois des cibles en Inde et des navires de l’US Navy en mer de Chine du sud et de l’est.

Quels que soient les arrière-plans historiques et culturels des tensions, il est rare qu’un discours officiel qui exhortait à « laisser la torche du multilatéralisme éclairer l’humanité », soit à ce point décalé de la réalité.

Grand écart entre la pensée normative et la réalité.

Qu’il s’agisse de la situation réelle dans le Détroit ignorant les tensions politiques entre le régime autocrate du Continent et la démocratie taïwanaise ; ou de la promotion affichée du « bien de l’humanité » contrastant avec la persistance des pressions militaires exercées contre l’Île ;

Ou encore de l’appel au respect du droit international jurant avec les réclamations de Pékin en mer de Chine du sud, précisément articulées, non pas au « Droit », mais à l’histoire de la présence chinoise dans la région, le discours du n°1 chinois au forum économique mondial dessinait une vision chimérique du monde articulée à la seule perspective normative de l’appareil communiste à l’exclusion de toute autre.

Contredisant son appel à la « consultation et à la coopération » qui disait refuser le « conflit et la confrontation », Pékin a, au cours du seul week-end des 24 et 25 janvier, veille du forum de Davos, fait survoler le Détroit de Taïwan par des dizaines d’aéronefs militaires. Selon l’armée de l’air taïwanaise, quatre chasseurs de combat chinois, huit bombardiers et un appareil de lutte anti-sous-marine sont entrés par le sud dans la zone de défense aérienne taïwanaise et ont ensuite franchi la ligne médiane du Détroit.

La démonstration de force en dissonance flagrante avec l’esprit d’apaisement et de coopération exprimé par le discours du lendemain, n’est certes pas une première.

Depuis la première crise de Taïwan en août 1954 et l’occupation par Tchang Kai-shek des îles Quemoy et Matsu qui entraîna leur bombardement par l’artillerie de l’APL, suivie de nouvelles effervescences en 1956 et 1959, les démonstrations de force ont souvent accompagné la quête hégémonique du Parti dans la région du Détroit et, plus largement dans la zone Asie-Pacifique, toujours en rivalité avec l’emprise américaine.

Logiquement, les tensions se sont aggravées au cours des deux périodes où la présidence à Taipei était occupée par des personnalités de la mouvance du Minjindang 民進黨, se réclamant d’une politique du rupture avec le Continent, entre 2000 et 2008 et depuis 2016.

L’habitude des menaces s’est accompagnée d’une modernisation de l’outil. Les récents essais de missiles « tueurs de porte-avions » DF-26 du 26 août dernier au sud de Hainan (lire : La puissante menace régionale des missiles chinois.) avaient une précision sans commune mesure avec les DF-15 ou M-9 inertes tirés lors de la crise de 1995 – 1996, en riposte au voyage de Lee Teng-hui aux États-Unis et à l’instauration de la démocratie dans l’Île.

Sans compter que la mise en service à l’été du GPS chinois (lire : Le système de navigation Beidou 3 est opérationnel.), confère désormais aux DF-26 une autonomie débarrassée des interférences du GPS américain.

Tenir les États-Unis à distance et prévenir l’émancipation de Taïwan.

Le décryptage de ce grand écart entre le discours stéréotypé de la propagande autour de la quête « du bien commun de l’humanité » et la réalité alarmante d’une « guerre froide » militaire que la rivalité sino-américaine est en train d’attiser est simple.

A coups de menaces et de démonstrations de forces, les intimidations de l’armée de l’air chinoise au-dessus de Détroit de Taïwan rivalisant avec les manœuvres de la 7e flotte qui font entendre – sans « le rideau de fer » qui installait une étanchéité - un niveau de « bruit de ferraille » assez proche des gesticulations de l’OTAN et du Pacte de Varsovie jusqu’en 1989, Pékin adresse deux messages à la nouvelle administration américaine.

Le premier, de plus long terme, répété régulièrement par les revues militaires chinoises, est son intention de tenir les porte-avions américains à l’écart des zones de conflit potentiel du Pacifique occidental, de la mer de Chine et du Détroit de Taïwan.

Le deuxième, plus immédiat est une mise en garde contre la tendance américaine à s’écarter des promesses des « Trois communiqués » avalisant l’existence « d’une seule Chine » qui spéculaient aussi que les relations entre Taipei et Washington devaient rester discrètes. Lire : Les nouvelles eaux mal balisées de la question de Taïwan.

Sans préjuger de ce que seront le moyen et le long termes, le double langage de Pékin a, pour le moment, abouti au résultat inverse.

Rigidité souveraine et risque de retour de flammes.

Le 23 janvier, trois jours après l’investiture de Joe Biden, alors que l’armée de l’air chinoise avait commencé ses évolutions menaçantes au-dessus de Taïwan, Ned Price, le nouveau porte-parole démocrate de la Maison Blanche, se disait préoccupé (lire : PRC Military Pressure Against Taiwan Threatens Regional Peace and Stability) que le schéma des relations extérieures de Pékin restait invariablement articulé à « l’intimidation de ses voisins, y compris Taïwan ».

Alors que le 7e flotte pénétrait une nouvelle fois sur le théâtre de la mer de Chine du sud, la fin du communiqué, réponse du berger à la bergère, rappelait la position inchangée de Washington. Avec cependant le non-dit que la mouvance démocrate pouvait encore moins que ses concurrents républicains passer sous silence la nature démocratique de l’Île, le Département d’État rappelait « la ferme volonté de Washington de contribuer à la paix et à la stabilité dans le Détroit et dans la région. »

L’irréductible fossé entre la vision normative et centralisée de la question de Taïwan par Pékin et l’élan démocratique de l’Île, qui n’a cessé de se creuser depuis 1987, quand Jiang Jinguo, le fils de Tchang Kai-shek, ouvrit Taïwan au vent de la démocratie (lire : Chiang Ching-kuo, le fils du Generalissimo. et Formose trahie.) s’est encore exprimé, le 25 janvier dernier par la bouche de Zhao Lijian, le porte-parole du Waijiaobu.

« La cause profonde des tensions et des troubles dans le Détroit est que les autorités du 民進黨 refusent de reconnaître le “consensus de 92 “ attestant qu’il n’existe “qu’une seule Chine“. Au lieu de quoi elles ont multiplié les provocations indépendantistes et recherché l’appui de forces extérieures. »

Lors de la même conférence de presse, le porte-parole, ignorant les tensions au-dessus de Taïwan créées par les incursions de l’aviation chinoise, a aussi répété que les opérations de l’US Navy en mer de Chine du sud étaient « peu propice à la paix et à la stabilité de la région - 美国频繁派舰机进入南海活动,炫耀武力, 不利于地区局势的和平与稳定 - », à quoi le département d’État répliqua que la mission du groupe aéronaval Theodore Roosevelt était de garantir la liberté de navigation en mer de Chine du Sud.

Un indice que l’abus des menaces répétées pourrait finir par atteindre le but inverse de celui recherché par les discours est la nouvelle encore à confirmer que Berlin enverrait prochainement un navire de combat dans le Pacifique Occidental. Après des escales au Japon et en Corée du sud, la frégate allemande rejoindrait l’Australie en transitant dans les eaux contestées de la Mer de Chine du sud.

Le projet fait suite à la décision du gouvernement allemand prise à l’automne 2020 d’entériner à la suite de Washington, Tokyo, New-Delhi et Séoul, le schéma stratégique de « l’Indo-Pacifique ». Sans être une alliance formelle, la vision recèle l’idée d’une résistance des états-démocratiques à l’expansion chinoise.

C’est en tous cas ce qu’a récemment confié Thomas Silberhorn, secrétaire d’État parlementaire auprès de la ministre de la défense à un journaliste de Nikkei en amont d’une mission de la marine de guerre allemande en extrême Orient. « Nous souhaitons approfondir nos relations avec nos partenaires du camp des démocraties ».


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