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›› Editorial

La « sinisation » en panne au Tibet

Aujourd’hui la Chine doit, en plus des contradictions de son développement, s’accommoder de la diversité ethnique de sa population en des temps de bouleversements sociaux et économiques rapides. En Occident, on mesure parfois l’importance que le Bureau Politique a accordé à l’intégration des communautés allogènes disparates. Mais on n’a pas toujours conscience de l’importance politique que la question ethnique revêt pour le pouvoir central.

Le Tibet et le Xinjiang font la une de l’actualité avec leurs émeutes récurrentes sur fond d’incompréhensions culturelles et religieuses, dans un contexte où les Han se voient eux-mêmes comme les héritiers d’une histoire linéaire sans véritable rupture. Ces racines culturelles remontent aux dynasties antiques des Xia, des Shang et des Zhou – 2200 à 481 avant J.C -, à Confucius, puis au premier Empire de Qin, qui donna son nom à la Chine, suivi des Han, à l’origine de la première expansion chinoise en Asie.

Le poids mal connu des minorités.

Mais il existe de nombreuses autres minorités qui parlent des langues différentes et se réfèrent à d’autres traditions historiques et culturelles. Elles ne comptent que pour 7% de la population, ce qui paraît peu, mais leur nombre est tout de même proche des populations de la France et de l’Espagne réunies. Plus encore, elles représentent presque 50% des habitants sur des territoires qui couvrent plus de la moitié de la Chine.

Ces espaces peuplés de groupes ethniques différents vont de la province du Xinjiang, accolée à l’Asie Centrale, avec ses importantes ressources énergétiques et minières, au vaste plateau tibétain qui n’englobe pas que la province autonome, mais également tout le Qinghai, ainsi que les zones à majorité tibétaine, aujourd’hui annexées aux provinces du Gansu et du Sichuan.

Au sud-ouest ils s’étendent jusqu’au Yunnan et au Guangxi qui jouxtent la province de Canton. Ces trois dernières provinces abritant plus de 40 millions de non-Han appartenant aux minorités assez peu connues hors de Chine, des Naxi, des Yi et des Dai.

A l’époque, pas très éloignée, du chaos marqué par les rivalités des Seigneurs de la guerre, des pans entiers du territoire chinois étaient aux mains de chefs de clans qui, parfois, n’appartenaient pas à l’ethnie Han majoritaire. Dans un contexte politique et culturel où la capacité à garantir l’unité centralisée du pays reste un des marqueurs de la légitimité du pouvoir, les réalités ethniques, que le Parti a toujours en tête, fondent à la fois l’inquiétude des dirigeants chinois face au risque de contagion séparatiste et leur détermination à la briser sans faiblir.

Au cours de l’histoire récente, les réponses aux menaces de divisions d’origine ethnique ont varié. Au milieu des années 80, Hu Yaobang, le Secrétaire Général de sensibilité libérale, s’était distingué par ses idées très à contre courant sur la question tibétaine. Il ordonna en effet de réduire le nombre de fonctionnaires Han dans la province et obligea ceux qui restèrent à apprendre le Tibétain. Pour lui, l’amélioration de la situation au Tibet passait d’abord par l’augmentation des budgets dédiés à la province, l’amélioration du niveau d’éducation et surtout le renouveau de la culture tibétaine.

Ratés de la « sinisation ».

Mais depuis l’éviction de Hu en 1987, les stratégies vis-à-vis des provinces à populations allogènes, essentiellement au Tibet et au Xinjiang, marquées par une très forte empreinte culturelle et religieuse et traversées par des émeutes récurrentes, ont reposé sur deux piliers majeurs : le contrôle policier et la répression féroce des dissidents, associés au développement socio-économique. Ce dernier est accompagné et soutenu par une vigoureuse politique de peuplement, inscrite dans la stratégie du développement de l’ouest, dont l’un des effets est d’inverser progressivement le rapport ethnique.

Le concept, qui ne manque pas de logique, fait le pari de la « sinisation » progressive consolidée par le peuplement massif des Han et soutenue par le progrès matériel et social, auquel s’ajoute la cooptation des élites locales, dont l’accès aux responsabilités provinciales est octroyé en échange de leur loyauté au Parti.

Force est de reconnaître qu’au Tibet cette stratégie fonctionne mal. Alors que, dans le Tibet Daily, Chen Chuanguo, secrétaire général du Parti à Lhassa promet « la guerre contre le sabotage sécessionniste », le moins qu’on puisse dire est que la confiance entre une large fraction du peuple tibétain et le pouvoir central chinois s’est évaporée. Depuis un an, au moins 23 moines, nones, anciens moines ou membres de la société civile, se sont immolés par le feu et au moins 15 d’entre eux y ont perdu la vie. Les plus récentes immolations ayant eu lieu les 11, 13 et 17 février derniers.

S’il est vrai que nombreux sont les Tibétains qui n’approuvent pas les immolations considérées par eux comme des actes extrémistes irréfléchis et que d’autres ne nient pas que les politiques chinoises aient apporté des bienfaits à la population du plateau, il n’en reste pas moins que la société monastique persécutée par la police et les cadres locaux, apparaît aujourd’hui acculée à un profond désespoir, dont les symptômes avaient déjà été dénoncés 6 mois après les émeutes de Lhassa en 2008, par Wang Lixiong, qui accusait le Parti de poser « une menace mortelle pour le bouddhisme lamaïque » (Lire notre article).

Durcissement des contrôles, panne du dialogue.

Des zones entières du Tibet et celles limitrophes de l’ouest du Sichuan, centrées sur la préfecture autonome d’Aba où ont eu lieu au moins 50% des immolations, sont quadrillées par la police anti émeute et coupées du monde. L’internet et le téléphone sont fermés et les zones interdites aux journalistes, dans une situation qui s’apparente, par endroits, à l’imposition d’une loi martiale.

Récemment, les autorités chinoises qui craignent une explosion des émeutes ont procédé au déplacement forcé de centaines de moines, tandis que les associations de soutien au Tibet accusent la police d’avoir abattu 2 Tibétains et blessé une dizaine d’autres au cours d’une manifestation dans le district autonome de Seda, le 24 janvier dernier.

L’administration locale dit avoir réagi à des agressions contre des commissariats, ce qui n’est pas impossible, sinon probable, dans un contexte alourdi par les quadrillages policiers et pourrait être une redite des événements de mars 2008 à Lhassa, où des émeutiers tibétains s’en étaient pris aux commerçants Han. Les autres versions qui courent, cependant invérifiables, expliquent la fureur des Tibétains par des provocations de la police.

Il n’en reste pas moins que la fracture culturelle et les incompréhensions sont réelles.

Celles-ci sont d’autant plus sensibles pour le Parti que, plus que le Xinjiang, dont l’image est assombrie par les méfiances contre l’Islamisme, le Tibet renvoie, dans l’opinion publique occidentale, aux références positives et apaisées d’une religion dont l’une des caractéristiques uniques est de prôner le contrôle du corps et de l’esprit par la méditation.

Certains diront que l’engouement occidental pour le Tibet est excessif ; que le Parti a délivré le plateau de l’arriération moyenâgeuse d’une société féodale asservie par les moines et secouée par la rivalité meurtrière des sectes ; et que les investissements massifs consentis par Pékin ont accéléré la scolarisation, étendu la couverture sanitaire et sorti une part importante de la population de la misère. Ils n’auront pas tort.

Il n’empêche que la machine de la « sinisation », que les Tibétains voient comme une « mise aux normes chinoises » de la société tibétaine, est en panne. Le choc des modes de vie et des cultures est tel qu’en dépit des succès indéniables du développement à la chinoise, les frustrations surnagent dans un contexte où les mécanismes de concertation et de dialogue, qui permettraient de « gérer » les différences, les désaccords et les agressivités, fonctionnent très mal.

Leur efficacité est en effet obérée par les méfiances réciproques, les intentions cachées, la crainte des contagions séparatistes, les postures arc-boutées, dont la pire est probablement de considérer le Dalai Lama comme un dangereux sécessionniste, alors qu’il n’exige que le respect des accords en 17 points qu’il avait signés en 1951 avec Mao.


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